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08/10/2001 | LUXEMBOURG | N°13096

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 octobre 2001, 13096


Numéro 13096 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 mars 2001 Audience publique du 8 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … CINDRAK, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13096 du rôle, déposée le 20 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, assisté de Maître

Olivier TOTH, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembou...

Numéro 13096 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 mars 2001 Audience publique du 8 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … CINDRAK, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13096 du rôle, déposée le 20 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Olivier TOTH, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CINDRAK, né le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 15 janvier 2001, lui notifiée le 23 février 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier TOTH et Madame le délégué du Gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 septembre 2001.

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Le 3 mai 1999, Monsieur … CINDRAK, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur CINDRAK fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur CINDRAK fut entendu en date du 11 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur CINDRAK, par lettre du 15 janvier 2001, notifiée en date du 23 février 2001, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il ne pourrait pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à sa race, à ses opinions politiques, à sa religion, à sa nationalité ou à son appartenance à un groupe social en cas de retour dans son pays d’origine.

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet, Monsieur CINDRAK a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 20 mars 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire du Kosovo, de confession musulmane et appartenir à la minorité ethnique des bochniaques. Il fait valoir que l’élément objectif de sa crainte de persécution serait documenté à suffisance par la situation régnant encore actuellement au Kosovo, laquelle serait marquée par des tensions ethniques et religieuses et des affrontements les accompagnant et ne permettrait pas de garantir à toute personne habitant le Kosovo une vie décente. Il se réfère aux hostilités « entre les Albanais et les musulmans » et plus particulièrement à des pressions et menaces que les Albanais exerceraient contre les musulmans afin d’assurer leur prédominance, agissements qui n’auraient pas cessé suite aux récentes élections municipales, les nouvelles autorités locales étant incapables de garantir la sécurité de toute personne alors même qu’elles ne sembleraient plus soutenir ces agissements.

Au titre de sa crainte subjective, le demandeur se fonde sur le fait que « les Albanais sont à sa recherche avec tous les moyens à leur disposition » et il ajoute que son oncle, ayant une forte ressemblance physique avec lui, aurait été tué pour avoir été confondu avec lui. Il estime que ce fait démontrerait à suffisance le risque existant pour sa personne malgré la fin officielle de la guerre au Kosovo qui ne saurait ainsi servir d’argument pour nier la subsistance de tout danger pour sa personne. Après avoir critiqué la motivation de la décision qui serait standardisée et loin de la réalité au Kosovo, le demandeur conclut pouvoir faire état d’une crainte raisonnable de persécution pour l’un des motifs énoncés par la Convention de Genève et reproche au ministre de ne pas avoir concrètement vérifié la situation générale au Kosovo et sa situation particulière.

2 Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 11 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Le demandeur se prévaut en effet essentiellement d’une crainte émanant de la majorité albanaise dans sa région d’origine. Force est néanmoins de constater que la persécution ainsi alléguée proviendrait non pas d’autorités étatiques ou locales, mais d’un groupe de la population en place. Or, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de 3 défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruxelles, Bruylant 1998, p. 113, nos 73-s ; Cour adm. 30 janvier 2001, Hajdarpasic, n° 12483C, Pas. adm. 1/2001, v° Etrangers, n° 32).

Dans ce cadre, il y a lieu de relever qu’une force armée et une administration civile internationales, agissant sous l’égide des Nations Unies, sont actuellement en place au Kosovo pour assurer la protection adéquate de la population. Le reconnaissance de l’existence d’une crainte justifiée de persécutions suppose dès lors la preuve concrète d’un défaut caractérisé d’une telle protection de la part desdites forces armées et administration civile internationales. Le demandeur reste cependant en défaut à la fois de rapporter la preuve d’actes de persécution personnellement subis, voire d’un risque réel pour lui de subir de tels actes, et d’établir le défaut caractérisé de protection de la part des forces internationales en place.

Concernant la mise à mort de l’oncle du demandeur, force est de constater qu’au-

delà du caractère dramatique que cet événement revêt par ailleurs, il n’est susceptible de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef du demandeur que si celui-ci établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières. A défaut par le demandeur d’avoir étayé à suffisance l’existence d’un lien entre ladite mise à mort et d’éléments liés à sa propre personne l’exposant à des actes similaires, ces faits ne sont pas de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle il est toujours difficile pour un membre de la minorité bosniaque musulmane du Kosovo, originaire de la région de Pec, de s’y réinstaller, le demandeur ne précise pas des raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre partie de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans son pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

4 Ainsi jugé par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge et lu à l’audience publique du 8 octobre 2001 par Mme le premier juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13096
Date de la décision : 08/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-08;13096 ?

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