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08/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12995

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 octobre 2001, 12995


Tribunal administratif N° 12995 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mars 2001 Audience publique du 8 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … BABACIC et son épouse Madame … … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12995 du rôle et déposée le 2 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, assisté de Maître Marc LEMAL, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats

à Luxembourg, au nom des époux … BABACIC, né le … à Podgorica (Monténégro/Yougoslavie)...

Tribunal administratif N° 12995 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mars 2001 Audience publique du 8 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … BABACIC et son épouse Madame … … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12995 du rôle et déposée le 2 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, assisté de Maître Marc LEMAL, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … BABACIC, né le … à Podgorica (Monténégro/Yougoslavie), et … …, née le … à Krusevo (Monténégro/Yougoslavie), agissant tant pour eux mêmes qu’en nom et pour compte de leurs enfants communs … BABACIC, née le … et … BABACIC, né le … , tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-

…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 7 décembre 2000, leur notifiée le 7 février 2001, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2001 ;

Vu le mémoire en réplique déposé en date du 8 juin 2001 ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nicky STOFFEL, en remplacement de Maître Charles KAUFHOLD, et Madame le délégué du Gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 septembre 2001.

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En date du 12 mai 1999, Monsieur … BABACIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du 21 mai 1999, son épouse, Madame … …, accompagnée de leurs enfants communs … et … BABACIC, préqualifiés, introduisirent une demande tendant aux mêmes fins.

En date de l’introduction de leurs demandes d’asile respectives, les époux BABACIC-

… furent chacun entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux BABACIC-… furent en outre entendus séparément en date du 13 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux BABACIC-…, par lettre du 7 décembre 2000, leur notifiée en date du 7 février 2001, de ce que leurs demandes avaient été rejetées au motif que ni l’insoumission de Monsieur BABACIC, ni les provocations invoquées par Madame … ne seraient de nature à fonder dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés par la Convention de Genève et que les craintes invoquées par les demandeurs s’analyseraient plutôt en un sentiment général d’insécurité n’entrant pas dans le champ d’application de ladite Convention.

Par requête déposée en date du 2 mars 2001, les époux BABACIC-… ont fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 7 décembre 2000.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation, au motif que les dispositions légales applicables prévoiraient un recours au fond.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

A l’appui de leur recours les demandeurs font d’abord valoir que la décision ministérielle déférée n’aurait pas respecté les prescriptions de l’article 10 (1) de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée en ce que cet article prescrit que dans les cas d’irrecevabilité et d’infondement manifeste d’une demande d’obtention du statut de réfugié, la décision sera prise au plus tard dans un délai de deux mois à partir de l’introduction de la demande. Ils font remarquer ensuite que leurs droits de la défense n’auraient pas été respectés du fait que la nouvelle loi du 18 mars 2000 qui a modifié la loi du 3 avril 1996 précitée a supprimé le recours obligatoire à la commission consultative pour les réfugiés, laquelle commission aurait 2 été le garant du principe de l’examen individuel de la demande d’asile. Ils estiment que la décision déférée aurait été prise discrétionnairement par le ministre.

Quant au fond, ils font exposer qu’ils sont de confession musulmane et que de ce fait ils appartiennent à une communauté largement minoritaire au Monténégro. Ils font valoir que si le régime politique en Yougoslavie a certes changé, il n’en resterait pas moins que les nouveaux dirigeants, tant de la Serbie que du Monténégro, seraient des représentants de tendance nationaliste et qu’il y aurait donc peu de chances que la situation et les mentalités changent d’une année à l’autre, étant entendu que le Balkan aurait été la poudrière de l’Europe depuis des siècles et que les persécutions entre communautés religieuses et nationales y ont été à l’ordre du jour et seraient toujours d’actualité. Ils font valoir plus particulièrement que par leur confession musulmane et par le fait que Monsieur BABACIC aurait déserté de l’armée serbe, ils risqueraient, en cas de retour à Podgorica, peuplée majoritairement de Serbes, de faire l’objet de mesures de représailles.

Concernant le premier moyen tendant à déclarer la décision déférée tardive, il y a lieu de constater que c’est à juste titre que le délégué du Gouvernement a relevé que la décision ministérielle déférée est basée ni sur l’irrecevabilité de la demande telle que prévue à l’article 8 de la loi du 3 avril 1996 précitée, ni sur le caractère manifestement infondé de la demande prévu à l’article 9 de la même loi, de sorte que les dispositions invoquées de l’article 10 ne sont applicables en l’espèce. Il s’ensuit que le moyen afférent laisse d’être fondé.

Il se dégage encore des pièces versées au dossier que préalablement à la décision ministérielle déférée, les demandeurs ont fait l’objet d’une audition détaillée et individuelle par un agent du service de police judiciaire ainsi que par un agent du ministère de la Justice, de sorte que le reproche de l’absence d’un examen individuel et d’une violation afférents des droits de la défense des demandeurs ne saurait être utilement retenu en l’espèce à défaut d’autres éléments concrets avancés à cet égard.

Quant aux moyens avancés relativement au fond, le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

3 En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux BABACIC-… lors de leurs auditions en date du 13 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur BABACIC risquait ou risque encore à l’heure actuelle de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et ils restent en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans leur chef en raison de leur prétendue insoumission.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées, voire que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Enfin, les craintes de persécutions en raison de leur appartenance à la communauté religieuse musulmane et de la situation politique générale dans leur pays d’origine, en raison de leur peur du régime politique et des Serbes en général, constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, 4 condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 octobre 2001 par:

Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12995
Date de la décision : 08/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-08;12995 ?

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