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08/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12924

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 octobre 2001, 12924


Tribunal administratif N° 12924 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2001 Audience publique du 8 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … AGOVIC et, son épouse Madame … …, et consorts, … contre quatre décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12924 du rôle, déposée le 16 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Sandra CORTINOVIS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … AGOVIC, né le … à Bérane (Monténégro),...

Tribunal administratif N° 12924 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2001 Audience publique du 8 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … AGOVIC et, son épouse Madame … …, et consorts, … contre quatre décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12924 du rôle, déposée le 16 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Sandra CORTINOVIS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … AGOVIC, né le … à Bérane (Monténégro), et de son épouse, Madame … …, née le … à Bijelo Polje (Monténégro), ainsi que de leurs enfants communs … AGOVIC, née le …, … AGOVIC, né le …, et … AGOVIC, né le …, pour lequel agissent ses parents, les époux AGOVIC-…, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice prises en date du 23 novembre 2000, leurs notifiées en date du 12 décembre 2000, portant rejet de leurs demandes en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 16 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé en date du 18 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Luc SCHANEN au nom des demandeurs ;

Vu le mémoire en duplique déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sandra CORTINOVIS, en remplacement de Maître Luc SCHANEN, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date des 30 septembre et 30 novembre 1998, Madame … …, épouse de Monsieur … AGOVIC, agissant tant en son nom personnel qu’en nom et pour compte de ses enfants … et …, sa fille … AGOVIC et Monsieur … AGOVIC, préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux AGOVIC-… furent entendus respectivement en date des 30 septembre et 30 novembre 1998 par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus en date des 24 février et 16 décembre 1999, ainsi qu’en date du 11 août 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile. Leurs enfants … et … furent également entendus en dates respectivement des 16 décembre 1999 et 4 août 2000 sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile par un agent dudit ministère.

Le ministre de la Justice informa les époux AGOVIC-…, par lettre du 23 novembre 2000, notifiée en date du 12 décembre 2000, de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Il résulte de vos déclarations que vous, Madame, vous avez quitté la Yougoslavie le 25 septembre 1998 et que vous êtes arrivée au Luxembourg le 30 septembre 1998.

Monsieur, vous avez quitté la Yougoslavie le 25 novembre 1998.

Vous exposez avoir été appelé à la réserve aux environs du 20 juillet 1998. Vous auriez déserté après 3 jours. La police militaire aurait été à votre recherche. La raison de votre fuite aurait été que vous auriez dû aller vous battre au Kosovo.

Vous indiquez déjà avoir été condamné par le tribunal militaire.

Vous déclarez avoir été membre du SDA depuis 1990. Vous décrivez les problèmes que vous auriez eus à cause de votre adhésion à ce parti.

Vous invoquez que votre fils Ramo aurait été convoqué pour le service militaire.

Vous expliquez que les musulmans n’auraient plus de droits depuis le décès de Tito.

2 Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari. Vous exposez avoir été maltraitée par la police militaire.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité en raison de votre religion musulmane. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En plus, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par une décision séparée, prise également en date du 23 novembre 2000, notifiée le 12 décembre 2000, leur fille … AGOVIC fut informée par le ministre de la Justice de ce que sa demande en obtention du statut de réfugié a été refusée au motif que « vous exposez que votre père aurait eu des problèmes à cause de la politique et de la réserve. La police militaire serait venue chez vous depuis juillet 1998 parce que votre père et votre frère aîné auraient déserté. Votre maison aurait été perquisitionnée tous les jours.

Vous expliquez avoir peur de la guerre, de l’armée et de la police yougoslave.

Force est cependant de constater qu’il n’y a actuellement aucun conflit armé dans la région de la Yougoslavie. La crainte d’une guerre n’est donc pas justifiée.

Il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité en raison de la situation politique en Yougoslavie. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En outre, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

3 Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par une autre décision, également datée du 23 novembre 2000, notifiée le 12 décembre 2000, leur fils … AGOVIC fut informé par le ministre de la Justice de ce que sa demande en obtention du statut de réfugié a été refusée au motif que « Vous exposez que votre père aurait été appelé à la réserve et que votre frère aurait été convoqué pour le service militaire. Votre père aurait déserté lorsqu’il aurait dû être envoyé au Kosovo. La police et la police militaire vous auraient arrêté à trois reprises. Vous auriez été giflé lors d’un interrogatoire.

Force est de constater que les problèmes que vous auriez eus avec la police militaire en raison de la désertion de votre père - même à les supposer établis - ne sauraient être considérés comme étant suffisamment graves pour justifier l’octroi du statut de réfugié.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En plus, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire des consorts AGOVIC en date du 11 janvier 2001 à l’égard des décisions ministérielles précitées fut rencontré par une décision confirmative du 16 janvier 2001.

Bien que le recours contentieux n’a été dirigé que contre une décision du ministre de la Justice prise en date du 23 novembre 2000, il y a lieu d’admettre que les consorts AGOVIC ont entendu introduire un recours à l’encontre des 3 décisions prises en date du même jour par le ministre de la Justice, visant les différents membres majeurs de leur famille, tel que cela se dégage également du libellé du recours et des moyens développés par les parties à l’instance.

4 Il y a dès lors lieu de retenir qu’à l’encontre des décisions ministérielles de rejet des 23 novembre 2000 et 16 janvier 2001, les consorts AGOVIC ont fait introduire un recours en réformation sinon en annulation par requête déposée le 16 février 2001.

Comme ses décisions visent respectivement les parents et les enfants de la famille AGOVIC-… et comme ces personnes ont invoqué à la base de leurs demandes d’asile respectives les mêmes motifs de persécution, il y a lieu de les analyser dans un seul et même jugement.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

Les demandeurs estiment en premier lieu que les décisions du ministre de la Justice seraient insuffisamment motivées tant en fait qu’en droit, dans la mesure où « ce sont des [décisions] stéréotypes, la même motivation étant reprise dans toutes les décisions rendues par le ministère de la Justice ».

Ce moyen d’annulation n’est cependant pas fondé, étant donné qu’il se dégage des libellés susénoncés des décisions ministérielles des 23 novembre 2000 que le ministre a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier ses décisions de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance des demandeurs. – Cette conclusion n’est pas ébranlée par le fait que la décision ministérielle confirmative du 16 janvier 2001 ne contient pas de motivation propre, étant donné qu’en l’absence d’éléments nouveaux, le ministre a pu, à bon droit, se borner à renvoyer aux décisions initiales, les décisions critiquées ayant ainsi vocation à constituer un tout indissociable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de leur situation de fait, étant donné que leur situation spécifique et subjective serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans leur pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

Ils font exposer plus particulièrement qu’ils ont quitté leur pays en raison des persécutions subies par l’ensemble de la famille en raison des convictions politiques et religieuses de Monsieur … AGOVIC. Ils font valoir plus particulièrement que Monsieur … AGOVIC aurait été un membre actif de la SDA depuis 1990, qu’il aurait collé des affiches, organisé des réunions, collecté des signatures et mis sa voiture à la disposition du parti, que suite à ses activités au sein du parti politique SDA, la police aurait procédé à des perquisitions et des saisies dans le bistrot qu’il aurait exploité, que certains membres du SDA, qui auraient été très proches de Monsieur AGOVIC, auraient été arrêtés par la police, de sorte que les demandeurs auraient été contraint de quitter leur pays et qu’ils se seraient réfugiés en Allemagne de 1994 à juin 1998. Lors de leur retour, ils auraient dû constater que la situation se serait aggravée au Monténégro, qu’outre les problèmes liés aux activités politiques de Monsieur AGOVIC, ils auraient été confrontés à la guerre et notamment au fait que Monsieur … AGOVIC et leur fils aîné … auraient été convoqués pour la réserve. Ils relèvent qu’au moment de la convocation, Monsieur … AGOVIC aurait été âgé de 46 ans, de sorte que, compte tenu de son âge, il aurait été voué à une mort certaine, dans la mesure où les Serbes 5 enverraient les musulmans à la guerre et qu’ils les mettraient « en première ligne ». Ils soutiennent que depuis la désertion de Monsieur AGOVIC, au mois de juillet 1998, leur famille aurait vécu dans la terreur, que pendant un mois, la police civile et militaire serait venue chaque jour à leur domicile pour s’enquérir sur la cachette de Monsieur AGOVIC, que les membres de leur famille auraient été insultés et frappés et que leur fils … aurait subi différents interrogatoires qui auraient durés entre 2 et 5 heures. Ils soutiennent finalement que Monsieur … AGOVIC aurait été condamné du chef de sa désertion à une peine d’emprisonnement de 2 ans et demi, tel que cela se dégagerait d’un jugement versé en cause et daté du 26 août 1998.

Les demandeurs relèvent encore qu’en cas de retour dans leur pays d’origine , ils seraient contraints de vivre dans un pays où régnerait une instabilité politique, religieuse et sociale et qu’ils seraient donc contraints de vivre dans la terreur du fait des disparités religieuses et politiques.

Sur base des faits ainsi soumis, les demandeurs estiment avoir établi des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’ils risqueraient de se voir exposer à des exactions en cas de retour dans leur pays d’origine, de sorte à devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs font notamment valoir qu’ils ne bénéficieraient d’aucune garantie en ce qui concerne l’application de la loi d’amnistie adoptée par le parlement yougoslave à leur cas d’espèce. Ils estiment plus particulièrement que l’infraction d’insoumission constituerait une infraction continue et « qu’il aurait fallu, pour tomber sous le coup de la loi et ainsi pouvoir bénéficier de la mesure d’amnistie, que l’infraction ait cessé de se continuer après le 7 octobre 2000, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque [Monsieur AGOVIC] n’est pas retourné dans son pays avant cette date ».

Dans son mémoire en duplique, le représentant étatique prend position quant à l’application de loi d’amnistie yougoslave au cas de Monsieur AGOVIC.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 1/2001, V° Recours en réformation, n°11).

6 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, Pas. adm. 1/2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les consorts AGOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date des 24 février, 16 décembre 1999, 4 et 11 août 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur … AGOVIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que le jugement prononcé en date du 26 août 1998 est encore exécuté effectivement.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par les demandeurs tenant au fait que l’insoumission constitue une infraction continue, excluant les personnes ayant quitté le pays, du champ d’application de la loi d’amnistie, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par les affirmations du représentant étatique suivant lesquelles le nouveau régime politique de la République Fédérale Yougoslave ferait de cette loi « une priorité politique absolue ».

Ensuite, concernant les prétendues persécutions subies par les demandeurs ou risques de persécutions en raison des activités politiques et de la désertion de Monsieur AGOVIC, il 7 convient de relever que les interrogatoires et perquisitions effectués par la police civile et militaire constituent certainement, à les supposer établies, des pratiques condamnables, mais ne dénotent pas, en l’espèce, une gravité telle qu’ils justifient, à l’heure actuelle, une crainte justifiée de persécution dans le pays d’origine des demandeurs.

En effet, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que les demandeurs, considérés individuellement et concrètement, risquent de subir des traitements discriminatoires en raison de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou que de tels traitements discriminatoires en raison de leur appartenance ethnique ou de leur religion leur auraient été infligés dans le passé dans leur pays. Force est de constater à ce sujet, que les demandeurs se sont trouvés en Allemagne de 1994 jusqu’en juin 1998, que Monsieur AGOVIC était retourné à Bijelo Polje fin novembre 1997, afin d’obtenir un nouveau passeport des autorités yougoslaves, passeport qui lui fut délivré sans problème le 31 décembre 1997, qu’il a ensuite pu quitter la Yougoslavie sans difficulté, qu’il a déclaré lors de son audition du 16 décembre 1999 qu’en « 1998, je n’avais plus d’activités politiques. Le SDA n’existait pratiquement plus » et qu’il se serait enfui « principalement à cause de [ses] problèmes avec l’armée ».

Ainsi, les arguments et déclarations faites par les demandeurs constituent plutôt l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils fassent état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui seraient telles que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, 8 Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 8 octobre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12924
Date de la décision : 08/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-08;12924 ?

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