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03/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12918

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 octobre 2001, 12918


Tribunal administratif N° 12918 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2001 Audience publique du 3 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … HODOVIC-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12918 et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 février 2001 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale

PETOUD, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … HODOVIC...

Tribunal administratif N° 12918 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2001 Audience publique du 3 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … HODOVIC-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12918 et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 février 2001 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale PETOUD, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … HODOVIC, né le … à Rastenovice (Yougoslavie), et de son épouse, Madame Jasmina …, née le …, à Novi Pazar (Yougoslavie), demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 9 octobre 2000, notifiée le 13 décembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 19 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2001 au nom des demandeurs;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Pascale PETOUD, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 4 janvier 1999, M. … HODOVIC et son épouse, Madame Jasmina …, préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux HODOVIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent ensuite entendus séparément le 9 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 9 octobre 2000, notifiée le 13 décembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux HODOVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la ville de Novi Pazar le 28 décembre 1998 pour aller au Monténégro. De là, vous êtes allés en Albanie où vous avez passé une nuit. Ensuite, vous avez pris un bateau jusqu’à Bari. De là, vous avez pris place dans une camionnette qui vous a conduits au Luxembourg. Vous ne pouvez pas donner d’autres précisions quant au déroulement du voyage, si ce n’est que vous avez traversé la France.

Vous, Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire à Split en 1981/1982. Vous dites que lors des guerres précédentes, vous aviez reçu des convocations pour la réserve. Cette fois-ci, vous avez réussi à partir avant d’en avoir une. Vous dites que vous ne vouliez pas faire la guerre au Kosovo car vous êtes musulman. Vous aviez déjà auparavent refusé de faire la guerre en Bosnie alors que vous aviez été appelé.

Vous pensez que vous risquez d’être traité comme déserteur et d’être condamné à une peine de prison.

Vous dites encore que vous étiez membre du parti politique SDA depuis 1987 mais que vous n’y étiez pas très actif.

Vous affirmez avoir été interrogé une fois par la police parce que vous aviez votre carte du parti sur vous. Vous ajoutez que vous vous êtes fait insulter. Vous dites que, bien que la guerre soit finie, le régime, l’armée et la police n’ont pas changé et que c’est pour cela que vous ne voulez pas rentrer au pays.

Vous, Madame, vous confirmez les assertions de votre mari. Vous ajoutez que la situation au Sandjak ressemble à celle du Kosovo avant la guerre et que les musulmans subissent des discriminations, notamment dans leurs rapports avec les administrations.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

2 Il ne se dégage, Madame, Monsieur, d’aucune de vos allégations que vous risquiez d’être persécutés pour une des raisons énumérées par l’article 1er A,2 de la Convention de Genève.

Vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social ».

Par lettre du 12 janvier 2001, les époux HODOVIC-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 9 octobre 2000.

Par décision du 19 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 16 février 2001, les époux HODOVIC-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 9 octobre 2000 et 19 janvier 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires de Serbie et, plus particulièrement, de la ville de Novi Pazar, qu’ils appartiendraient à la minorité musulmane, que M. HODOVIC aurait effectué son service militaire en 1981-1982, qu’au début du conflit armé au Kosovo, il aurait été appelé par l’armée fédérale à la réserve militaire, qu’il aurait refusé de donner une suite à cette convocation au motif qu’il n’aurait pas voulu être envoyé au front au Kosovo et d’être contraint de tuer des Albanais de confession musulmane ou, en cas de refus, d’être exposé à des mauvais traitements et des persécutions et qu’il risquerait d’être condamné comme déserteur à une peine de prison lourde. Ils font encore ajouter que M.

HODOVIC aurait été membre du parti « SDA » dont certains membres auraient été poursuivis, arrêtés et condamnés en raison de leurs opinions politiques, que lui-même aurait été interrogé et insulté, qu’en général, les musulmans seraient discriminés en Serbie en raison de leur appartenance ethnique et de leur religion, que Mme … aurait été harcelée par des collègues de travail qui lui auraient dit que la Serbie ne serait pas son pays et qu’elle ferait mieux de partir et qu’eu égard à la situation générale dangereuse, les demandeurs estiment pouvoir légitimement craindre pour leur vie.

En droit, les demandeurs concluent à la réformation des décisions ministérielles pour erreur d’appréciation des faits.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec l’insoumission et le rôle politique de M.

3 HODOVIC et la situation générale des musulmans en Serbie qui constitueraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux HODOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux HODOVIC-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux HODOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 9 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur l’état d’insoumission de M. HODOVIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

HODOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la 4 condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. HODOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Ensuite, la simple appartenance à un mouvement ou parti politique d’opposition de la part de M. HODOVIC, sans que les demandeurs n’aient précisé en quoi auraient consisté les activités de M. HODOVIC, ne constitue pas l’expression d’une persécution vécue ou d’une crainte de persécution. - Dans ce contexte, l’interrogatoire et les insultes de la part de la police, à les supposer vrais, constituent des pratiques certainement condamnables, mais n’établissent pas que la vie des demandeurs soit devenue insupportable dans leur pays d’origine.

Enfin, concernant l’hostilité des Serbes à l’égard de la minorité musulmane et la situation des demandeurs dans leur pays d’origine en raison de leur appartenance à ladite minorité, la crainte y afférente qu’ils ont exprimée s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que les époux HODOVIC-…, considérés individuellement et concrètement, risquent de subir des traitements discriminatoires en raison de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou que de tels traitements leur auraient été infligés dans le passé dans leur pays d’origine, étant relevé que les prétendus harcèlements par des collègues de travail de l’épouse ne sont pas à eux-seuls suffisants pour établir pareil risque.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, 5 M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 3 octobre 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12918
Date de la décision : 03/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-03;12918 ?

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