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03/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12917

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 octobre 2001, 12917


Tribunal administratif N° 12917 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2001 Audience publique du 3 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … ALOMEROVIC-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12917 et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 février 2001 par Maître Raphaël COLLIN, avocat à la Cour, inscrit au ta

bleau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … ALOMEROVIC, né le … à Prijepolje (Serbie/Yougo...

Tribunal administratif N° 12917 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2001 Audience publique du 3 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … ALOMEROVIC-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12917 et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 février 2001 par Maître Raphaël COLLIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … ALOMEROVIC, né le … à Prijepolje (Serbie/Yougoslavie), et de son épouse, Mme … …, née le … à Foc (Bosnie), agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 octobre 2000, notifiée le 17 janvier 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Raphaël COLLIN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date des 8 et 11 octobre 1999, M. … ALOMEROVIC et son épouse, Mme … …, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, … et …, préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux ALOMEROVIC-… et leur fils … furent entendus respectivement en date des 8 et 11 octobre 1999 par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Les époux ALOMEROVIC-… furent entendus en date des 13 janvier et 10 février 2000 sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 23 octobre 2000, notifiée le 17 janvier 2001, le ministre de la Justice informa les époux ALOMEROVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Je me dois tout d’abord de constater que vos récits quant au trajet emprunté pour venir au Luxembourg ainsi que ceux quant aux moyens de transport utilisés sont contradictoires et il m’est difficile de retracer le chemin parcouru. La version des faits fournie par votre fils Alen ne vient que renforcer ma conviction que les conditions dans lesquelles vous auriez quitté votre pays sont douteuses.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 8 respectivement le 11 octobre 1999.

Vous, Monsieur, vous exposez que lors de la mobilisation générale au moment de la guerre au Kosovo, vous vous seriez caché, ne voulant pas être enrôlé de force pour participer à la guerre. Vous aviez surtout peur qu’il vous arrive malheur, mais vous dites également que vous ne voulez tuer personne. Vous dites que des gens en uniforme se seraient présentés à votre domicile et auraient menacé votre épouse.

Il résulte par ailleurs de vos déclarations que vous êtes membre du parti SDA et qu’en raison de cette adhésion vous auriez eu des problèmes avec les Serbes. Vous invoquez un incident au cours duquel vous auriez été insulté et menacé par un chef de gare serbe.

D’ailleurs vous dites qu’en raison de la pression exercée en permanence sur vous, les musulmans, vous auriez eu peur. C’est aussi une raison pour laquelle vous auriez quitté votre pays.

En ce qui vous concerne, Madame, vous confirmez les dires de votre mari en ce que vous auriez quitté le pays parce que votre mari aurait dû rejoindre la réserve et parce qu’il aurait eu des problèmes à cause de son adhésion au parti SDA. Sur d’autres points, vous ne donnez pas la même version des faits que votre mari, notamment en ce qui concerne l’incident avec le chef de gare serbe. Ainsi vous affirmez que vous n’avez pas pris le train après l’incident, alors que votre mari a dit que, grâce à l’intervention d’un gardien, vous auriez pu le prendre. De même affirmez-vous que votre mari savait que vous alliez vous rendre au Luxembourg, alors que votre mari dit qu’il ne serait jamais venu au Luxembourg si ça n’avait pas été pour vous rejoindre ainsi que vos enfants.

Vous exposez par ailleurs que vous êtes également membre du parti SDA, mais que vous n’avez pas d’opinions politiques. Contrairement à votre mari, vous n’avez pas participé à des manifestations politiques.

Concernant le premier motif invoqué par vous, Monsieur, à l’appui de votre demande d’asile, à savoir la crainte d’une peine pénale pour insoumission, je souligne que la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. J’ajoute qu’une situation de paix s’est installée dans la région et il n’est pas établi que l’accomplissement de la réserve au sein de l’armée fédérale yougoslave entraînerait actuellement la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

2 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas non plus uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécutés dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie ».

Par requête déposée en date du 16 février 2001, les époux ALOMEROVIC-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 23 octobre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont de religion musulmane, que M.

ALOMEROVIC aurait effectué son service militaire en 1978-1979, qu’il aurait été appelé à diverses reprises par l’armée fédérale à la réserve militaire, que s’il avait, dans un premier temps, donné suite à ces convocations, il aurait refusé d’y donner suite tant à l’occasion de la guerre de Bosnie que lors de la guerre au Kosovo, qu’à l’occasion de cette dernière guerre, il se serait caché pour éviter de devoir y participer, que son refus serait motivé par sa crainte de devoir tuer des gens ou d’être blessé voire tué, que son épouse aurait été « questionnée avec violence » par des militaires qui auraient voulu l’enrôler de force, que leur fils aurait été giflé à l’école en raison de l’insoumission de M. ALOMEROVIC et de sa fuite « à la campagne ». Ils exposent avoir quitté leurs pays d’origine en raison de la montée des violences à leur encontre et parce que M. ALOMEROVIC risquerait de subir des représailles et d’être condamné comme déserteur à une peine de prison. Ils font encore ajouter que M. ALOMEROVIC aurait été membre du parti « SDA » et qu’en raison de son adhésion audit parti, il aurait subi des persécutions par des Serbes.

En droit, les demandeurs concluent à la réformation de la décision ministérielle pour erreur d’appréciation des faits.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec l’insoumission et les actes de persécutions subis dans le passé par M. ALOMEROVIC, son épouse et son fils et la situation générale des 3 musulmans en Serbie, qui constitueraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux ALOMEROVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux ALOMEROVIC-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux ALOMEROVIC-… lors de leurs auditions respectives en date des 13 janvier et 10 février 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le premier et principal motif fondé sur l’état d’insoumission de M.

ALOMEROVIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

ALOMEROVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance 4 ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. ALOMEROVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Ensuite, concernant les prétendues persécutions subies par le demandeur, son épouse et son fils ou risques de persécutions en rapport avec le prétendu acharnement des autorités militaires et d’inconnus lors de sa fuite « à la campagne » pour se soustraire à son enrôlement à l’armée, il convient de relever que ces chicaneries, non autrement apportées en preuve, constituent certes des pratiques condamnables, mais, en l’espèce, ne dénotent pas une gravité telle qu’elles justifient, à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution des demandeurs dans leur pays d’origine.

En ce qui concerne la simple appartenance à un mouvement ou parti politique d’opposition de la part de M. ALOMEROVIC et de son épouse, sans que les demandeurs n’aient précisé en quoi auraient consisté leurs activités voire même la reconnaissance qu’ils n’en avaient pas, ne saurait constituer l’expression d’une persécution vécue ou d’une crainte de persécution. - Dans ce contexte, des prétendues provocations par des Serbes, à les supposer vraies, n’établissent pas que la vie des demandeurs soit devenue insupportable dans leur pays d’origine.

Enfin, concernant l’hostilité des Serbes à l’égard de la minorité musulmane et la situation des demandeurs dans leur pays d’origine en raison de leur appartenance à ladite minorité, la crainte y afférente qu’ils ont exprimée s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que les époux ALOMEROVIC-…, considérés individuellement et concrètement, risquent de subir des traitements discriminatoires en raison de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou que de tels traitements leur auraient été infligés dans le passé dans leur pays d’origine.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

5 au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 3 octobre 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12917
Date de la décision : 03/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-03;12917 ?

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