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03/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12909

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 octobre 2001, 12909


Tribunal administratif N° 12909 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 février 2001 Audience publique du 3 octobre 2001

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Recours formé par M. … CECURA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12909 et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 février 2001 par Maître François COLLOT, avocat à la Cour, assisté de Maître Andreas KOMNINOS, avocat, le

s deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … CECURA, né le … à Ruma (S...

Tribunal administratif N° 12909 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 février 2001 Audience publique du 3 octobre 2001

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Recours formé par M. … CECURA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12909 et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 février 2001 par Maître François COLLOT, avocat à la Cour, assisté de Maître Andreas KOMNINOS, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … CECURA, né le … à Ruma (Serbie), de nationalité yougoslave, appartenant à la minorité croate de Serbie, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 10 octobre 2000, notifiée le 15 janvier 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Andreas KOMNINOS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 10 mai 1999, M. … CECURA, préqualifié, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. CECURA fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 M. CECURA fut ensuite entendu le 2 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 10 octobre 2000, notifiée le 15 janvier 2001, le ministre de la Justice informa M. CECURA de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations à la Police Judiciaire que vous avez quitté votre domicile de Subotica en direction [de] Budapest où vous avez séjourné trois semaines chez des amis. De là, vous avez pris place dans une camionnette qui vous a emmené en Autriche.

Ensuite, vous êtes venu au Luxembourg en auto-stop.

Il résulte de vos déclarations faites à l’agent du Ministère de la Justice que vous avez fait votre service militaire en 1979/1980 à Banja Luka. Vous n’avez plus été appelé à la réserve par la suite. Vous précisez cependant qu’en 1992, lors de la guerre en Croatie, vous avez été appelé, mais que vous avez déserté. Par après, vous avez quitté votre pays. En 1996, vous y êtes retourné sans toutefois vous y déclarer. Vous avez peur, si vous rentrez au pays, d’être reconnu et incorporé à l’armée. Vous ajoutez que vous ne voulez pas faire la guerre car vous êtes issu d’une famille mixte, moitié catholique et moitié orthodoxe. Vous ignorez si vous vous trouvez sur la liste des appelés, mais vous dites que ceux qui ont quitté le pays seraient considérés comme déserteurs. Vous dites que les conditions de vie sont difficiles pour les catholiques en Serbie, ceci d’autant plus que les partis traditionnels sont dotés de milices paramilitaires.

Vous dites n’avoir jamais été membre d’un parti politique.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi, et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

En l’espèce, vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée en date du 15 février 2001, M. CECURA a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 10 octobre 2000.

2 Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer que la situation générale dans son pays d’origine serait instable et dangereuse en raison de conflits ethniques et religieux, que ces problèmes se seraient accentués après la fin de la guerre au Kosovo, qu’il serait issu « d’une famille ethniquement et religieusement mixte, son père étant catholique et d’origine croate et sa mère serbe orthodoxe de Bosnie », qu’il serait « de nationalité croate et son épouse est de nationalité serbe », qu’il aurait effectué son service militaire en 1979-1980, qu’au début du conflit armé en Bosnie, il aurait été appelé à la réserve militaire « au sein de l’armée serbe afin d’être envoyé en Croatie »; qu’il aurait refusé de donner une suite à cette convocation au motif qu’il n’aurait pas voulu « prendre les armes contre ses compatriotes », qu’en raison de son insoumission, il risquerait d’encourir une peine pénale grave et qu’en outre, en cas de retour dans son pays d’origine, il craindrait pour sa vie et pour celle de sa famille.

En droit, le demandeur conclut à la réformation de la décision ministérielle pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec son insoumission et la situation générale de son pays d’origine qui constitueraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de M. CECURA et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. CECURA.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. CECURA lors de son audition en date du 2 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur l’état d’insoumission du demandeur, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

CECURA risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. CECURA n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Ensuite, concernant l’hostilité des Serbes à l’égard de la minorité croate et la situation du demandeur dans son pays d’origine en raison de son appartenance à ladite minorité, la crainte y afférente qu’il a exprimée s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que Monsieur CECURA, considéré individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires en raison de son appartenance ethnique ou de sa religion ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé dans son pays d’origine.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

4 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 3 octobre 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12909
Date de la décision : 03/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-03;12909 ?

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