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03/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12899

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 octobre 2001, 12899


Tribunal administratif N° 12899 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 février 2001 Audience publique du 3 octobre 2001

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Recours formé par M. … SABANOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12899 et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 février 2001 par Maître Jean KAUFFMAN, avocat à la Cour, assisté de Maître Carole BESCH, avocat, les

deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … SABANOVIC, né le … à Bijel...

Tribunal administratif N° 12899 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 février 2001 Audience publique du 3 octobre 2001

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Recours formé par M. … SABANOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12899 et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 février 2001 par Maître Jean KAUFFMAN, avocat à la Cour, assisté de Maître Carole BESCH, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … SABANOVIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 22 septembre 2000, notifiée le 11 décembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 16 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2001;

Vu la lettre de Maître Jean KAUFFMAN, déposée au greffe du tribunal en date du 20 septembre 2001, après la prise en délibéré de l’affaire, sollicitant la rupture du délibéré;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Carole BESCH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 9 novembre 1998, M. … SABANOVIC, préqualifié, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 M. SABANOVIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

M. SABANOVIC fut ensuite entendu le 10 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 22 septembre 2000, notifiée le 11 décembre 2000, le ministre de la Justice informa M. SABANOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations à la Police Judiciaire que vous avez quitté Bijelo Polje le 10 octobre 1998 pour aller à Sarajevo où vous êtes resté jusqu’au 25 octobre 1998. Ensuite, vous avez trouvé un passeur qui vous a emmené en Slovénie où vous êtes resté six jours. Vous avez traversé la frontière à pied. Ensuite, vous avez quitté Ljublijana, en Slovénie, dans une voiture blanche de marque Mercedes immatriculée en Slovénie et vous êtes arrivé le lendemain au Luxembourg après avoir traversé l’Italie et la France. Vous avez ajouté avoir de la famille, à savoir un oncle, au Luxembourg.

Il résulte ensuite de vos déclarations faites à l’agent du Ministère de la Justice que vous avez reçu une convocation pour le service militaire le 29 octobre 1998, que vous l’avez acceptée mais que vous ne vous êtes pas rendu à la caserne. Vous dites être parti directement pour Sarajevo. Vous ne vouliez pas faire la guerre car vous dites que toute l’armée devait partir pour le Kosovo. Vous ajoutez que vous ne vouliez pas tuer des gens ni être tué. Vous dites aussi risquer entre deux et cinq ans de prison.

Vous précisez n’être membre d’aucun parti politique et n’avoir aucune activité politique.

Vous dites n’avoir subi personnellement aucune persécution, mais seulement craindre la guerre et la prison car vous pensez que les Serbes et les musulmans sont traités différemment.

Il convient d’abord de remarquer que le récit de votre voyage tel que vous l’avez exposé est sujet à caution ; en effet, la date que vous avez donnée pour votre départ lors de votre audition à la Police Judiciaire ( 10 octobre 1998) ne correspond pas à celle que vous avez donnée lors de votre audition par l’agent du Ministère de la Justice (29 octobre 1998).

De la même façon, il y a une différence entre la date que vous avez donnée pour votre convocation militaire (29 octobre 1998) et celle relevée sur la convocation elle-même (23 septembre 1998).

Ensuite, je vous informe que la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

De plus, il ne se dégage, Monsieur, d’aucune de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément tangible, que vous risquiez d’être persécuté pour une des raisons énumérées par l’article 1er A,2 de la Convention de Genève. Je dois donc constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions 2 politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 9 janvier 2001, M. SABANOVIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 22 septembre 2000.

Par décision du 16 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 14 février 2001, M. SABANOVIC a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 22 septembre 2000 et 16 janvier 2001.

L’affaire ayant été plaidée et prise en délibéré à l’audience publique du 17 septembre 2001, Maître Jean KAUFFMAN, par lettre du 20 septembre 2001, informe le tribunal, pièces à l’appui, de ce que son mandant a introduit une demande en obtention d’un permis de séjour au Luxembourg et, en attendant l’aboutissement de cette procédure de « régularisation », sollicite la rupture du délibéré. Il convient de ne pas faire droit à cette demande, au motif que la procédure en vue de l’obtention d’un permis de séjour est étrangère et sans incidence quant au litige relatif à un refus de reconnaissance du statut de réfugié politique dont le tribunal est appelé à connaître dans l’affaire sous examen.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro, qu’il a quitté son pays parce qu’il aurait refusé de donner suite à une convocation pour faire son service militaire, au motif qu’il serait pacifiste et n’aurait pas voulu participer à la guerre qui sévissait au Kosovo et « dont il ne comprenait ni les tenants ni les aboutissements », qu’en raison de son insoumission, il risquerait de subir des représailles et d’encourir une peine pénale disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction, qu’en outre, la situation au Monténégro et, plus particulièrement, dans sa ville d’origine, ne serait pas encore « revenue à la normale », mais resterait tendue à cause des tendances indépendantistes vis-à-vis de la Serbie, de sorte que des exactions entre « police et militaires serbes sont à l’ordre du jour ».

En droit, le demandeur conclut à la réformation des décisions ministérielles pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

3 En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec son insoumission et la situation générale de son pays d’origine qui constitueraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de M. SABANOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. SABANOVIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. SABANOVIC lors de son audition en date du 10 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur l’état d’insoumission du demandeur, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

SABANOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque 4 d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. SABANOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant l’instabilité de la situation générale qui existe dans le pays d’origine du demandeur, il y a lieu de constater que le demandeur n’a pas spécifié en quoi il est individuellement et concrètement exposé à des risques de persécution, de sorte que la crainte y afférente qu’il a exprimée s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

dit qu’il n’y a pas lieu à rupture du délibéré;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 3 octobre 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12899
Date de la décision : 03/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-03;12899 ?

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