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01/10/2001 | LUXEMBOURG | N°13182

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 octobre 2001, 13182


Tribunal administratif N° 13182 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 avril 2001 Audience publique du 1er octobre 2001

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Recours formé par les époux … AJDARPASIC et … … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13182 du rôle et déposée le 5 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître

Nicolas BAUER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des épo...

Tribunal administratif N° 13182 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 avril 2001 Audience publique du 1er octobre 2001

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Recours formé par les époux … AJDARPASIC et … … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13182 du rôle et déposée le 5 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicolas BAUER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … AJDARPASIC, né le … à Vrsevo (Monténégro/Yougoslavie), et … …, née le … à Berane (Monténégro/Yougoslavie), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 octobre 2000, leur notifiée le 31 janvier 2001, refusant de faire droit à leur demande d’asile, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 14 mars 2001 portant rejet de leur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Elisabeth ALEX, en remplacement de Maître Nicolas BAUER, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 septembre 2001.

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En date du 11 juin 1999, les époux … AJDARPASIC et … …, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur leur identité.

En date du 13 juillet 1999, les époux AJDARPASIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux AJDARPASIC-… par lettre datant du 17 octobre 2000, leur notifiée en date du 31 janvier 2001, que leur demande d’asile avait été rejetée aux motifs qu’aucun des époux ne ferait état de mauvais traitements et que la seule crainte de Monsieur AJDARPASIC d’encourir une peine du chef d’insoumission invoquée à la base de leur demande ne constituerait pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. Par la même décision le ministre invita les époux AJDARPASIC-… à quitter le territoire du Luxembourg dans le mois suivant la notification de la décision, sinon, dans le cas où ils exerceraient un recours devant les juridictions administratives, dans le mois suivant le jour où la décision confirmative des juridictions administratives aura acquis le caractère de force de chose jugée.

A l’encontre de cette décision, les époux AJDARPASIC-… ont fait introduire un recours gracieux par courrier de leur mandataire datant du 27 février 2001 en faisant valoir que les persécutions par eux subies justifieraient la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et auraient par ailleurs été telles que Madame AJDARPASIC souffrirait encore actuellement de troubles psychiatriques graves. Soutenant qu’un retour de cette dernière dans son pays d’origine serait tout à fait impossible actuellement, ils demandent en ordre subsidiaire un permis de séjour pour raisons humanitaires afin de permettre à Madame AJDARPASIC d’être soignée au Grand-Duché de Luxembourg. Ce recours gracieux s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 14 mars 2001, les époux AJDARPASIC-… ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 17 octobre 2000 et 14 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée dans la mesure où elle porte le refus d’octroi du statut de réfugié.

Concernant le volet des décisions déférées ayant trait à l’ordre de quitter le territoire, ainsi que le refus de faire droit à leur demande subsidiaire tendant à l’octroi d’une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires, seul un recours en annulation a pu être introduit, la loi ne prévoyant pas de recours au fond en ces matières. Dans une matière dans laquelle seul un recours en annulation est prévu, le recours introduit sous forme de recours en réformation est néanmoins recevable dans la mesure des moyens de légalité invoqués, à condition d’observer les règles de procédure et les délais sous lesquels le recours en annulation doit être introduit (cf. trib. adm. 26 mai 1997, n° 9370 du rôle, Friser, Pas. adm. 2001, V° Recours en annulation, n° 26 et autres références y citées).

Le recours est dès lors également recevable pour autant que lesdits volets des décisions déférées sont concernés pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

2 Quant au fond, les demandeurs exposent être originaires du Monténégro, que Monsieur … AJDARPASIC a effectué en 1986/1987 son service militaire en Serbie et que, début mai 1999, des militaires serbes seraient venus le chercher pour l’emmener à la réserve.

Ils font valoir que dans la mesure où Monsieur AJDARPASIC aurait été opposé au régime de Monsieur Milosévic et n’aurait pas voulu cautionner sa politique, il aurait décidé de quitter son domicile et de s’enfuire à l’étranger, de manière à risquer actuellement d’encourir une importante peine de prison pour insoumission en cas de retour dans son pays d’origine. Les demandeurs relèvent en outre qu’après la fuite de son mari, la demanderesse … … aurait fait l’objet « d’un chicanement policier permanent » par des hommes qui auraient été à la recherche de son mari, qu’elle se serait fait insulter par les militaires qui venaient perquisitionner sa maison et que, depuis, elle serait victime de graves troubles psychologiques lesquels seraient documentés par un certificat médical établi par le Docteur Droulans datant du 27 février 2001 et versé au dossier. Les demandeurs précisent à cet égard que Madame … éprouverait une peur panique et irréfléchie à l’idée d’un retour au Monténégro, de sorte qu’elle serait prête à mettre sa vie en danger en cas de mesure d’expulsion. Ils relèvent que c’est pour cette raison que dans leur courrier du 27 février 2001 ils ont formulé en ordre subsidiaire une demande de permis de séjour pour raisons humanitaires.

Le délégué du Gouvernement se réfère à la loi d’amnistie qui a été adoptée par le parlement yougoslave au mois de février 2001 selon laquelle les personnes ayant commis, jusqu’au 7 octobre 2000, le délit de refus d’obtempération à l’appel et d’insoumission, ainsi que le délit d’éloignement arbitraire et de désertion des unités de l’armée yougoslave seraient amnistiées, pour soutenir qu’en tout état cause le moyen fondé sur l’insoumission de Monsieur AJDARPASIC laisserait d’être fondé au vu de la situation actuelle dans son pays d’origine. Concernant les chicaneries et insultes de la part de la police et de militaires dont Madame … aurait fait l’objet, le représentant étatique signale d’abord que ces faits ne se trouveraient corroborés par aucun élément de preuve tangible et fait valoir ensuite que même à les supposer établis, quod non, ils ne seraient pas d’une gravité suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. Relativement à l’état psychique de Madame AJDARPASIC, le délégué du Gouvernement fait valoir qu’il ne serait pas établi par le certificat médical versé au dossier en quoi cet état mental serait à imputer aux évènements par elle vécus dans son pays d’origine. Il estime par ailleurs que l’état de santé d’un demandeur d’asile ne serait pas de nature à justifier l’octroi du statut de réfugié, au sens de la Convention de Genève, faute d’y être prévu en tant que tel. Il estime par conséquent que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en 3 réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives du 13 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble avec les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission de Monsieur AJDARPASIC, le tribunal constate que les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que la paix s’est établie dans la région originaire du demandeur, de sorte qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur AJDARPASIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient encore de relever que Monsieur AJDARPASIC n’établit pas qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le Parlement Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.

Quant aux chicaneries et intimidations de la part de la police et des militaires à l’encontre de la demanderesse … …, force est de constater que les déclarations afférentes des demandeurs sont fort imprécises et que, même à supposer ces faits établis, ils ne revêtent pas une gravité suffisante pour justifier l’existence dans le chef des demandeurs d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il se dégage par ailleurs des déclarations mêmes de la demanderesse … … que les provocations et insultes dont elle fait état ont essentiellement eu lieu lorsque les militaires sont venus chercher son mari et que la peur l’ayant poussée à fuir son pays d’origine avait trait à la situation générale de guerre, de sorte qu’à l’heure actuelle, et au regard des développements qui précèdent concernant les craintes de persécution en raison de l’insoumission de Monsieur AJDARPASIC, les moyens fondés sur une crainte de persécution dans le chef de la demanderesse … … laissent d’être fondé.

Cette conclusion ne saurait être énervée par les considérations tenant à l’état de santé de Madame … … étant donné que l’état de santé d’un demandeur d’asile n’est pas un motif d’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Le recours est donc à rejeter comme non fondé à cet égard.

Quant à l’invitation de quitter le territoire national insérée dans les décisions entreprises, l’article 14 de la loi précitée du 3 avril 1996 dispose que « si le statut de réfugié est refusé, soit au titre de l’article 10, soit au titre de l’article 12, le demandeur d’asile sera éloigné du territoire, en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers.

4 Un éloignement ne peut avoir lieu ni au cours de la procédure d’examen de la demande, ni pendant le délai d’introduction du recours prévu à l’article 13 ».

Dans la mesure où la décision déférée du 17 octobre 2000, confirmée intégralement sur recours gracieux en date du 14 mars 2001, précise expressément que l’obligation de quitter le territoire national dans le mois prend effet le jour où la décision, soit celle initiale émanant du ministre soit la décision confirmative ultime des juridictions administratives, aura acquis un caractère inattaquable et où le présent jugement confirme le caractère infondé de la demande d’asile présentée par les demandeurs, le ministre pouvait prendre cette mesure sans se heurter aux dispositions dudit article 14.

S’il est certes constant que les demandeurs ont invoqué, tant à l’appui de leur recours gracieux que dans le cadre de la procédure contentieuse sous examen l’état de santé de la demanderesse … … pour s’opposer à l’ordre de quitter le territoire leur adressé, les demandeurs restent cependant en défaut d’établir que cet état de santé serait de nature à rendre un retour dans leur pays d’origine impossible.

Le ministre a partant valablement pu ordonner aux demandeurs de quitter le territoire luxembourgeois en se basant sur son refus de reconnaissance du statut de réfugié politique et l’absence d’un autre motif ayant légalement pu justifier la présence des demandeurs sur le territoire luxembourgeois.

Quant au refus du ministre de faire droit à la demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires formulée à travers le courrier du mandataire des demandeurs du 27 février 2001, force est encore de constater que le moyen des demandeurs tenant à l’état de santé de Madame … et appuyé sur le certificat médical du Dr. Droulans du 27 février 2001 n’est pas de nature à établir l’existence d’éléments de fait susceptibles d’affecter la légalité de la décision de refus déférée.

Il résulte de l’ensemble des développements faits ci-avant que le recours doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme pour autant que dirigé contre le refus d’octroi du statut de réfugié ;

se déclare incompétent pour en connaître pour le surplus ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

reçoit le recours en réformation dans la limite des moyens de légalité invoqués pour autant que dirigé contre l’ordre de quitter le territoire et le refus d’accorder aux demandeurs une autorisation de séjour ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

le déclare irrecevable pour le surplus ;

5 condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er octobre 2001 par:

Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13182
Date de la décision : 01/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-01;13182 ?

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