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01/10/2001 | LUXEMBOURG | N°13013

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 octobre 2001, 13013


Tribunal administratif N° 13013 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mars 2001 Audience publique du 1er octobre 2001

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Recours formé par Monsieur … CRNOVRSANIN, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13013 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2001 par Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, assisté de MaÃ

®tre Olivier TOTH, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au ...

Tribunal administratif N° 13013 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mars 2001 Audience publique du 1er octobre 2001

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Recours formé par Monsieur … CRNOVRSANIN, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13013 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2001 par Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Olivier TOTH, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CRNOVRSANIN, né le … à Jasen/Bijelo Polje (Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 12 janvier 2001, lui notifiée en date du 7 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2001 ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé en date du 22 juin 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier TOTH et Madame le délégué du Gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 septembre 2001.

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Le 10 mai 1999, Monsieur … CRNOVRSANIN, préqualifié, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au 1 statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur CRNOVRSANIN fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu le 10 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 12 janvier 2001, lui notifiée en date du 7 février 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur CRNOVRSANIN de ce que sa demande avait été rejetée aux motifs qu’une persécution systématique des minorités ethniques serait actuellement à exclure au Kosovo et que ses déclarations s’analyseraient en l’expression d’un sentiment général d’insécurité, non constitutif en tant que tel d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par requête déposée en date du 6 mars 2001, Monsieur CRNOVRSANIN a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 12 janvier 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Kosovo et qu’il appartient à la minorité ethnique des bochniaques. Il estime que l’existence d’une crainte objective de persécution au sens de la Convention de Genève serait démontrée à suffisance dans son chef par le seul fait de la situation régnant au Kosovo marquée par des tensions ethniques et religieuses et par des affrontements qui accompagnent ces tensions. Il fait valoir plus particulièrement que même si à l’heure actuelle cette situation aurait connu des améliorations, il serait cependant impossible, à l’heure actuelle, de garantir à toute personne habitant le Kosovo une vie décente. Le demandeur signale encore qu’« il devrait être bien connu que les Albanais profitent de toute occasion pour démontrer leur prédominance aux musulmans » et que les autorités en place ne seraient pas capables d’assurer la sécurité de chaque personne habitant sur leur territoire. Le demandeur reproche dès lors aux autorités chargées de l’examen de son dossier de ne pas avoir vérifié concrètement, en plus de la situation générale du pays d’origine et de sa situation particulière, s’il pouvait à raison craindre d’y être persécuté, alors que les circonstances de l’espèce seraient de nature à justifier dans son chef l’existence d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le délégué du Gouvernement rétorque en substance que le demandeur resterait en défaut d’établir que les forces onusiennes présentes au Kosovo seraient incapables de lui offrir une protection appropriée et que de plus, il resterait en défaut d’établir qu’il serait dans 2 l’impossibilité de s’établir dans une autre partie de son pays d’origine et de profiter d’une possibilité de fuite interne. Pour le surplus, il estime que les déclarations du demandeur ainsi que les moyens avancés à l’appui du recours s’analyseraient en l’expression d’un sentiment général d’insécurité, lequel ne saurait être retenu comme justifiant une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Il conclut encore que dans la mesure où une persécution systématique des minorités ethniques serait à exclure à l’heure actuelle, le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur CRNOVRSANIN, lors de son audition en date du 10 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisi d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9). - Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place. Il suit du constat qui précède que le demandeur ne saurait, à l’heure actuelle, se prévaloir d’une persécution systématique de la part des autorités en place au Kosovo.

Force est encore de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce de la population albanaise et, plus particulièrement de groupuscules extrémistes et terroristes du Kosovo, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son 3 pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo. - Il convient de rappeler, dans ce contexte, en ce qui concerne la situation des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », que s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes ou des discriminations de la part des groupuscules extrémistes et terroristes, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité visée aurait de ce seul chef raison de craindre une persécution au sens de la Convention de Genève, mais il doit faire valoir des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir des traitements discriminatoires. En l’espèce, en l’absence d’un quelconque élément individuel et concret, la crainte exprimée par le demandeur s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er octobre 2001 par:

Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge Mme Thomé, juge 4 en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13013
Date de la décision : 01/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-01;13013 ?

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