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01/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12994

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 octobre 2001, 12994


Tribunal administratif N° 12994 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mars 2001 Audience publique du 1er octobre 2001 Recours formé par Monsieur … METJAHIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12994 du rôle et déposée le 2 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jos STOFFEL, avocat à la Cour, assisté de Maître Nicky STOFFEL, avocat, tous les deux inscrits

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … METJAHIC, né le … à...

Tribunal administratif N° 12994 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mars 2001 Audience publique du 1er octobre 2001 Recours formé par Monsieur … METJAHIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12994 du rôle et déposée le 2 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jos STOFFEL, avocat à la Cour, assisté de Maître Nicky STOFFEL, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … METJAHIC, né le … à Podgorica (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 7 décembre 2000, lui notifiée en date du 7 février 2001, par laquelle le ministre a refusé de faire droit à sa demande d’asile ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2001 ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé en date du 29 juin 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nicky STOFFEL et Madame le délégué du Gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 septembre 2001.

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Le 10 mai 1999, Monsieur … METJAHIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur METJAHIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur METJAHIC fut entendu en outre en date du 9 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur METJAHIC par lettre du 7 décembre 2000, lui notifiée le 7 février 2001, de ce que sa demande avait été rejetée aux motifs que la seule crainte d’encourir une peine du chef d’insoumission ne serait pas constitutive d’un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécution au sens de la Convention de Genève, que par ailleurs il ne serait pas établi que l’appartenance à la réserve impliquerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser et que le régime politique en Yougoslavie aurait de toute façon changé depuis le mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement.

A l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 7 décembre 2000, Monsieur METJAHIC a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 2 mars 2001.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation, au motif que les dispositions légales applicables prévoiraient un recours au fond.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation devant le tribunal administratif en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro et de confession musulmane, qu’en avril 1999 il aurait été appelé pour rejoindre l’armée, qu’il aurait cependant refusé de se présenter, d’une part, pour échapper au danger de mort que représenterait toute guerre et, d’autre part, pour ne pas devoir prendre les armes contre des populations de même confession et de même origine ethnique que lui-même ni de commettre des atrocités du type de celles perpétrées à l’encontre de civils albanais au Kosovo. Il fait valoir qu’en raison de cette insoumission il aurait été recherché en tant que déserteur et traître à la patrie par la police militaire au début du mois de mai 1999, partant juste avant sa fuite, et que, ayant déjà dû faire face à des harcèlements, menaces et intimidations violents de la part de la police, il aurait décidé de quitter son pays d’origine. Il signale qu’une affaire serait actuellement pendante devant le tribunal militaire, de sorte qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait de graves persécutions et sanctions tant de la part de la police militaire que de la part de ses voisins extrémistes serbes et monténégrins, lesquels poursuivraient les gens qui ont quitté le pays pour éviter de joindre l’armée. Il signale encore que les autorités fédérales yougoslaves auraient, depuis le 25 mars 1999, instauré l’état d’urgence et que de ce 2 fait les peines pour désertion auraient été renforcées pour atteindre un maximum de 20 années de prison. Concernant la situation générale dans son pays d’origine, il fait relever en outre que malgré la présence de troupes internationales dans la région, il n’en demeurerait pas moins qu’il ne serait pas à l’abri de toute persécution du fait de sa race ou de sa position vis-à-vis de la politique menée par la Serbie en ex-Yougoslavie, alors que dans certaines régions des groupes paramilitaires serbes auraient été remilitarisés et que la population non serbe de cette partie du territoire serait déjà victime d’actions de terreur motivées par l’esprit de vengeance des troupes serbes.

Le demandeur reproche d’abord au ministre de la Justice de ne pas avoir respecté les prescriptions de l’article 10 (1) de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée au vœux duquel la décision du ministre sera prise au plus tard dans un délai de deux mois à partir de l’introduction de la demande d’asile dans les cas d’irrecevabilité et d’infondement manifeste d’une demande d’obtention du statut de réfugié. Subsidiairement il conclut à la réformation de la décision ministérielle déférée pour violation de la loi, défaut de motifs, erreur manifeste d’appréciation des faits et violation des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité.

Il fait valoir en outre que la décision déférée serait contraire à la recommandation n° 1042 de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe relative aux déserteurs et réfractaires de l’ex-Yougoslavie.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait encore valoir que malgré la loi d’amnistie, la conjoncture politique actuelle en ex-Yougoslavie ne permettrait en rien de croire avec certitude à un retour à la démocratie et à la paix, et qu’à l’heure actuelle, la situation serait encore trop floue pour permettre une appréciation saine de la situation. Il fait relever à cet égard que bien qu’une loi d’amnistie soit intervenue, il n’existerait pas de certitude quant à un retour sans danger dans son chef, étant donné qu’une affaire serait pendante devant le tribunal militaire et que l’ex-Yougoslavie serait connue pour ses rebondissements politiques en chaîne.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Concernant d’abord le moyen invoqué basé sur les dispositions de l’article 10 (1) de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, c’est à juste titre que le délégué du Gouvernement a relevé dans son mémoire en réponse que la décision déférée a été prise sur base de l’article 11 de la prédite loi, de sorte que ledit article 10, applicable uniquement aux cas visés aux articles 8 et 9 de la même loi, ne saurait être utilement invoqué en l’espèce.

Le demandeur reproche ensuite à la décision déférée d’être dépourvue d’une motivation circonstanciée tant en droit qu’en fait.

Or, force est de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé de la décision déférée que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur.

L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit d’analyser la justification au fond de la décision de refus d’accorder le statut de réfugié politique.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait 3 de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur METJAHIC lors de son audition en date du 9 novembre 1999 telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur METJAHIC risquait ou risque encore actuellement de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales entamées sont encore susceptibles et, d’être continuées, que des jugements le cas échéant déjà prononcés sont encore exécutés effectivement.

Enfin, les craintes de persécutions avancées par le demandeur en raison de son appartenance à la communauté religieuse musulmane et de la situation politique générale dans son pays d’origine, en raison de sa peur du régime politique et des Serbes en général, constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

4 Il se dégage en effet des déclarations du demandeur qu’il n’a pas personnellement subi des persécutions et que sa peur tient en grande partie au risque d’encourir une condamnation par le tribunal militaire en raison de son insoumission, étant entendu que la crainte de persécution afférente ne saurait être utilement retenue pour les raisons plus amplement exposées ci-avant.

Concernant ensuite le risque de persécution de la part de ses voisins extrémistes serbes et monténégrins invoqué par le demandeur, force est de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre point que les autorités en place ne seraient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Monténégro. - Il convient de rappeler, dans ce contexte, en ce qui concerne la situation des membres de minorités ethniques, notamment de celle des « bochniaques », que s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes et des discriminations par les groupuscules extrémistes et terroristes, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité visée aurait de ce seul chef raison de craindre une persécution au sens de la Convention de Genève. En l’absence d’un quelconque élément individuel et concret de nature à établir que le demandeur, considéré individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires, la crainte par lui exprimée s’analyse dès lors, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

donne acte au demandeur de ce qu’il a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

5 déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er octobre 2001 :

Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12994
Date de la décision : 01/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-01;12994 ?

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