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01/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12923

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 octobre 2001, 12923


Tribunal administratif N° 12923 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2001 Audience publique du 1er octobre 2001 Recours formé par Monsieur … ADROVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12923 du rôle, déposée le 16 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Stéphanie JACQUET, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M

onsieur … ADROVIC, né le … à Bérane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant...

Tribunal administratif N° 12923 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2001 Audience publique du 1er octobre 2001 Recours formé par Monsieur … ADROVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12923 du rôle, déposée le 16 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Stéphanie JACQUET, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ADROVIC, né le … à Bérane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 20 novembre 2000, lui notifiée en date du 18 décembre 2000, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 19 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé en date du 18 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Luc SCHANEN au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sandra CORTINOVIS, en remplacement de Maître Luc SCHANEN, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 26 avril 1999, Monsieur … ADROVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur ADROVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 28 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur ADROVIC, par lettre du 20 novembre 2000, notifiée en date du 18 décembre 2000, de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Il résulte de vos déclarations que vous auriez reçu un appel pour effectuer la réserve auquel vous n’auriez pas donné suite. Vous pensez risquer d’être traduit devant le tribunal militaire. Vous auriez peur en raison de votre religion sans pour autant donner d’autres explications. Enfin, vous auriez souvent été insulté par les réservistes.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionné par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécution au sens de la prédite Convention. Il n’est pas non plus établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Les insultes que vous relevez, même à les supposer établies, ne sont pas non plus de nature à justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure 2 relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire de Monsieur ADROVIC en date du 11 janvier 2001 à l’égard de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 19 janvier 2001.

A l’encontre des décisions ministérielles de rejet des 20 novembre 2000 et 19 janvier 2001, Monsieur ADROVIC a fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 16 février 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur estime que les décisions du ministre de la Justice seraient insuffisamment motivées tant en fait qu’en droit, dans la mesure que ces dernières ne contiendraient que des clauses de style.

Ce moyen d’annulation n’est cependant pas fondé, étant donné qu’il se dégage du libellé susénoncé de la décision ministérielle du 20 novembre 2000 que le ministre a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur. – Cette conclusion n’est pas ébranlée par le fait que la décision ministérielle confirmative du 19 janvier 2001 ne contient pas de motivation propre, étant donné qu’en l’absence d’éléments nouveaux, le ministre a pu, à bon droit, se borner à renvoyer à la décision initiale, les deux décisions critiquées ayant ainsi vocation à constituer un tout indissociable.

Ensuite, à l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation de fait, étant donné que sa situation spécifique et subjective serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans son pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

Il fait exposer plus particulièrement qu’il est de confession musulmane et qu’il ne se serait pas présenté à la réserve suite à une convocation qu’il aurait reçue le 20 ou 21 avril 1999, de sorte qu’il risquerait actuellement d’être traduit devant le tribunal militaire et d’être condamné à une lourde peine d’emprisonnement pouvant allant jusqu’à 20 ans en cas de retour dans son pays, à savoir le Monténégro.

Il soutient ensuite qu’il aurait été insulté à plusieurs reprises par des réservistes en raison de sa religion musulmane. Il conclut qu’un retour dans son pays d’origine serait encore à l’heure actuelle impossible, étant donné que malgré les élections récentes ayant eu lieu au Monténégro, il y régnerait encore une « réelle et dangereuse instabilité politique et sociale, un certain désordre qui se manifeste encore par des exactions et des règlements de compte à l’encontre de personnes de religion musulmane ».

Sur base des faits ainsi soumis, le demandeur estime avoir établi des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’il risquerait de se voir exposer à des 3 exactions en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte à devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur se réfère à un certain nombre d’articles de presse parus dans des journaux yougoslaves pour conclure que la paix ne régnerait pas encore au Monténégro. Il souligne également que la Convention de Genève n’exigerait pas d’un demandeur d’asile d’établir qu’il a effectivement fait l’objet d’actes de persécutions mais qu’il suffirait qu’il établisse une crainte légitime de persécution. Il relève finalement qu’il ne bénéficierait d’aucune assurance en ce qui concerne l’application de la loi d’amnistie adoptée par le parlement yougoslave à son cas d’espèce.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 1/2001, V° Recours en réformation, n°11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, Pas. adm. 1/2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur ADROVIC lors de son audition en date du 28 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, 4 de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur ADROVIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

En ce qui concerne le fait qu’il aurait subi des insultes en raison de sa religion musulmane de la part de réservistes stationnés dans sa ville natale, il échet de constater que ce fait, même à le supposer établi, n’est pas suffisamment grave pour conclure que la vie au Monténégro lui serait à l’heure actuelle devenue insupportable.

Les arguments et déclarations faits par le demandeur constituent plutôt l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il fasse état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

5 Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 1er octobre 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12923
Date de la décision : 01/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-01;12923 ?

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