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01/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12922

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 octobre 2001, 12922


Tribunal administratif N° 12922 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2001 Audience publique du 1er octobre 2001

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Recours formé par Monsieur … QMEGA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12922 et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 février 2001 par Maître Mario DI STEFANO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de Monsieur … QMEGA, né le … à Orahovac (Kosovo), de nationalité yougoslave, sans état particul...

Tribunal administratif N° 12922 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2001 Audience publique du 1er octobre 2001

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Recours formé par Monsieur … QMEGA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12922 et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 février 2001 par Maître Mario DI STEFANO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … QMEGA, né le … à Orahovac (Kosovo), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 5 octobre 2000, notifiée le 28 novembre 2000, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 16 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé en date du 18 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Mario DI STEFANO au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Stéphanie JACQUET, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 11 septembre 1997, Monsieur … QMEGA, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Il fut en outre entendu en date des 11 septembre et 11 décembre 1997, ainsi qu’en date du 11 novembre 1998 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur QMEGA, par lettre du 5 octobre 2000, notifiée en date du 28 novembre 2000, de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Il résulte de vos déclarations faites à l’agent du ministère de la Justice que vous n’avez pas fait votre service militaire. Vous avez cependant été appelé mais vous ne vous êtes pas présenté. Vous ajoutez que cela n’a eu aucune suite fâcheuse pour vous.

Vous dites avoir été membre du parti politique UCK et avoir, à de nombreuses reprises, passé et distribué des armes pour le parti.

Vous avez dit n’avoir subi personnellement aucune persécution, mais vous pensez avoir des ennuis en cas de retour au pays à cause de vos activités de passeur d’armes pour l’UCK.

Je vous signale que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

S’il est vrai qu’au moment de votre départ pour le Luxembourg, la situation des Albanais du Kosovo était difficile, tel n’est plus le cas actuellement. De plus, une force internationale, sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies, est installée dans cette région pour assurer la coexistence pacifique des différentes communautés ethniques.

Je dois donc constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 27 décembre 2000, Monsieur QMEGA introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 5 octobre 2000.

Par décision du 16 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 16 février 2001, Monsieur QMEGA a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 5 octobre 2000 et 16 janvier 2001.

2 L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

Le demandeur estime en premier lieu que les décisions du ministre de la Justice seraient insuffisamment motivées tant en fait qu’en droit. Il soutient que les décisions ne seraient pas « véritablement motivées alors que ce sont des stéréotypes, la même motivation étant reprise dans toutes les décisions rendues par le ministère de la Justice » Le moyen d’annulation invoqué par le demandeur consistant à soutenir que les décisions ministérielles critiquées seraient entachées d’illégalité pour défaut de motivation suffisante n’est pas fondé, étant donné qu’il se dégage du libellé susénoncé de la décision ministérielle du 5 octobre 2000 que le ministre a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur. – Cette conclusion n’est pas ébranlée par le fait que la décision ministérielle confirmative du 16 janvier 2001 ne contient pas de motivation propre, étant donné qu’en l’absence d’éléments nouveaux, le ministre a pu, à bon droit, se borner à renvoyer à la décision initiale, les deux décisions critiquées ayant ainsi vocation à constituer un tout indissociable.

Ensuite, à l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il est né à Orahovac au Kosovo, qu’il serait musulman parlant l’albanais, qu’il serait membre du parti politique UCK depuis 1994 et qu’il aurait été chargé, à de nombreuses reprises, par le prédit parti, de distribuer des armes à d’autres militants. Il soutient que les armes auraient souvent été stockées chez lui à son domicile et que, peu avant son départ, la police serbe serait venue à son domicile pour y effectuer une perquisition, qu’à cette occasion, lui-même ainsi que ses parents auraient été injuriés et frappés par la police serbe. Il relève encore que son oncle, qui aurait été très actif dans la vie politique au Kosovo, aurait, à cette époque, été arrêté et mis en prison en raison de ses convictions politiques, que cet oncle l’aurait convaincu à quitter le pays, étant donné que ce dernier craignait que le demandeur subirait le même sort. Il fait encore valoir que son père aurait été tué par les Serbes au moment des bombardements par l’OTAN. Il estime qu’il lui serait encore impossible de retourner dans son pays d’origine au vu de l’instabilité politique et l’insécurité qui y régneraient encore, qu’il y aurait un « certain désordre qui se manifeste notamment par des exactions et des règlements de compte à l’encontre des personnes de confession musulmane (…) c’est pourquoi [il] craint encore au jour de la présente [requête] d’être pourchassé et persécuté par les autorités serbes du fait de ses convictions politiques ».

Sur ce, il estime qu’il ferait valoir des craintes justifiées de persécution et il demande à se voir reconnaître le statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur QMEGA et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait 3 de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 1/2001, V° Recours en réformation, n°11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, Pas. adm. 1/2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur QMEGA lors de ses auditions en dates des 11 septembre et 11 décembre 1997, ainsi qu’en date du 11 novembre 1998, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécutions du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En l’espèce, le demandeur a déclaré lors de son audition qu’il aurait peur des Serbes, « c’est-à-dire le gouvernement yougoslave qui a le pouvoir au Kosovo ».

A ce titre, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place. Il suit du constat qui précède que le demandeur n’a, à l’heure actuelle, plus de raison de craindre dans son pays d’origine, à savoir le Kosovo, une persécution de la part des autorités serbes.

Le demandeur soutient encore qu’il lui serait impossible de retourner au Kosovo, étant donné que l’OTAN serait incapable d’assurer une protection « totale ».

4 Force est encore de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, en l’occurrence, la population serbe qui réside toujours au Kosovo, mais ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo. En effet, il doit faire valoir des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir des traitements discriminatoires, de sorte qu’en l’espèce, en l’absence d’un quelconque élément individuel et concret, la crainte exprimée par le demandeur s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

5 M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 1er octobre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12922
Date de la décision : 01/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-01;12922 ?

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