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27/09/2001 | LUXEMBOURG | N°12920

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 septembre 2001, 12920


Tribunal administratif N° 12920 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2001 Audience publique du 27 septembre 2001 Recours formé par Monsieur … LICINA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12920 du rôle, déposée le 16 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, assisté de Maître Michaël DANDOIS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mo

nsieur … LICINA, né le … à Bérane (Monténégro), demeurant actuellement à L-…, tendant ...

Tribunal administratif N° 12920 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2001 Audience publique du 27 septembre 2001 Recours formé par Monsieur … LICINA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12920 du rôle, déposée le 16 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, assisté de Maître Michaël DANDOIS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … LICINA, né le … à Bérane (Monténégro), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 29 septembre 2000 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 18 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Linda SCHUMACHER, en remplacement de Maître Roger NOTHAR, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 10 mai 1999, Monsieur … LICINA, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur LICINA fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 14 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur LICINA, par lettre du 29 septembre 2000, notifiée en date du 1er décembre 2000, de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Vous avez déclaré au service de police judiciaire avoir de la famille et des connaissances au Luxembourg.

Il résulte de vos déclarations faites à l’agent du ministère de la Justice que vous n’avez pas fait votre service militaire. En 1998, vous avez été au contrôle d’aptitude physique préalable au service militaire. Vous deviez être convoqué à l’armée, mais vous avez quitté votre pays avant de recevoir la convocation car vous ne vouliez pas faire votre service militaire au Kosovo.

Vous précisez n’être membre d’aucun parti politique et n’avoir aucune activité politique.

Vous dites craindre les Serbes, mais n’avoir subi personnellement aucune persécution.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Il ne se dégage d’aucune de vos allégations que vous risquiez d’être persécuté pour une des raisons énumérées par l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève. Vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays, telle une crainte en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 22 décembre 2000, Monsieur LICINA introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 29 septembre 2000.

Par décision du 18 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

2 Par requête déposée en date du 16 février 2001, Monsieur LICINA a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 29 septembre 2000 et 18 janvier 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation de fait, étant donné que sa situation spécifique et subjective serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans son pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

Il fait exposer plus particulièrement qu’il est de religion musulmane, originaire du Monténégro et qu’il aurait décidé de quitter son pays lorsqu’il fut appelé par les autorités de son pays à la réserve militaire. Il fait valoir que son refus d’intégrer l’armée se serait imposé, étant donné que, d’une part, la guerre avait éclaté au Kosovo et, d’autre part, en raison de ses objections de conscience. Il considère qu’en cas de retour dans son pays, il risquerait d’être gravement sanctionné et que la peine susceptible d’être prononcée à son encontre du chef de sa désertion risquerait d’être discriminatoire en raison de sa religion musulmane et du fait qu’il appartient à une minorité ethnique.

Sur base des faits ainsi soumis, le demandeur estime avoir établi des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’il risquerait de se voir exposer à des exactions en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte à devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la 3 valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C, Pas.

adm. 1/2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur LICINA lors de son audition en date du 14 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur LICINA risque actuellement de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Enfin, les craintes de persécutions en raison de son appartenance à la communauté religieuse musulmane et la situation politique générale dans son pays d’origine, en raison de sa peur du régime politique et des Serbes en général, constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, 4 reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 27 septembre 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12920
Date de la décision : 27/09/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-09-27;12920 ?

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