Tribunal administratif N° 11272 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 avril 1999 Audience publique du 26 septembre 2001
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Recours formé par Monsieur … LUTGEN contre une décision du bourgmestre de la Ville de Dudelange en présence de la société à responsabilité limitée S. s. à r.l. et de Madame … B.
en matière de permis de construire
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 11272 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 avril 1999 par Maître Henri FRANK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … LUTGEN, …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du bourgmestre de la Ville de Dudelange du 1er février 1999, par laquelle la société à responsabilité limitée S. s. à r.l., établie à L-…, a été autorisée à rénover et à transformer une annexe située sur un terrain sis à Dudelange, …;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Jean-Claude STEFFEN, demeurant à Esch-sur-
Alzette, du 29 avril 1999, portant signification de ce recours à l’administration communale de Dudelange, à la société à responsabilité limitée S., préqualifiée, ainsi qu’à Madame … B., sans état particulier, demeurant à Dudelange, …;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 10 septembre 1999 par Maître Jean MEDERNACH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Dudelange ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Pierre KREMMER, demeurant à Luxembourg, du 14 septembre 1999, portant signification de ce mémoire en réponse au demandeur ainsi qu’à la société à responsabilité limitée S. et à Madame … B. ;
Vu le mémoire en réponse, intitulé mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 septembre 2000 par Maître Felix LAPLUME, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée S. s. à r.l. et de Madame … B. ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Michelle THILL, demeurant à Luxembourg, du 11 septembre 2000, portant signification de ce mémoire en réponse au demandeur, ainsi qu’à l’administration communale de Dudelange ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 janvier 2001 par Maître Henri FRANK, pour compte de Monsieur … LUTGEN ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 8 janvier 2001, portant signification de ce mémoire en réplique à l’administration communale de Dudelange, à la société à responsabilité limitée S., ainsi qu’à Madame … B. ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 janvier 2001 par Maître Jean MEDERNACH, pour compte de l’administration communale de Dudelange ;
Vu l’acte d’avocat à avocat du 17 janvier 2001 portant notification de ce mémoire en duplique au mandataire du demandeur et à celui de la société à responsabilité limitée S. et de Madame B. ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maîtres Christian-Charles LAUER, en remplacement de Maître Henri FRANK, Anne-Flora JARDEL, en remplacement de Maître Felix LAPLUME et Luc REDING, en remplacement de Maître Jean MEDERNACH en leurs plaidoiries respectives.
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Par décision n° 29/1999 du 1er février 1999, le bourgmestre de la Ville de Dudelange autorisa la société à responsabilité limitée S., préqualifiée, à procéder à la rénovation ainsi qu’à la transformation d’annexes situées sur un terrain sis à Dudelange, …, portant le numéro cadastral … de la section … de ….
Par requête déposée le 30 avril 1999, Monsieur … LUTGEN préqualifié, a fait introduire un recours en annulation contre la décision précitée du bourgmestre de la Ville de Dudelange du 1er février 1999.
L’administration communale de la Ville de Dudelange ainsi que la société à responsabilité limitée S. et Madame B. se rapportent à prudence de justice quant à la recevabilité du recours, notamment pour ce qui est de l’intérêt à agir de Monsieur LUTGEN.
Le demandeur expose dans sa requête introductive d’instance que sa maison d’habitation serait située sur une parcelle située à «une trentaine de mètres de l’ouvrage litigieux », c’est-à-dire de la parcelle sur laquelle a été autorisée la rénovation et la transformation des annexes appartenant à la société à responsabilité limitée S., en précisant que les travaux autorisés par la décision précitée du bourgmestre de la Ville de Dudelange du 1er février 1999 concerneraient une construction sur laquelle il aurait une vue directe, qui s’intégrerait dans un ensemble de bâtiments répartis sur deux parcelles, donnant également sur la rue … et qui hébergerait une ou plusieurs entreprises industrielles ou artisanales « dans des conditions d’une légalité douteuse et causant dans le voisinage des nuisances de plus en plus graves ». Il estime partant avoir un intérêt « à la fois moral et patrimonial » du fait que les prétendues nuisances dévalueraient les immeubles situés dans les environs.
A qualité et intérêt à agir à l’encontre d’une autorisation de construire le voisin direct longeant le terrain devant accueillir la construction projetée et ayant une vue immédiate sur celui-ci (trib. adm. 4 juin 1997, n° 9278 du rôle, Pas. adm. 1/2001, V° Procédure contentieuse, I. Intérêt à agir, n° 11, p. 351 et autres références y citées).
2 En l’espèce, il ressort tant des pièces et éléments versés au greffe du tribunal administratif que des explications orales fournies au cours des plaidoiries que l’immeuble de Monsieur LUTGEN est implanté sur un terrain situé en face du terrain sur lequel se trouve la construction visée par le permis de construire litigieux. Il s’ensuit que le demandeur a intérêt à agir contre ledit permis de construire et que le moyen afférent est à rejeter.
Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Il est constant en cause que les constructions litigieuses se situent sur un terrain classé, d’après la partie graphique du plan d’aménagement général de la Ville de Dudelange, dans un secteur d’habitation. Par ailleurs, et contrairement aux développements contenus dans la requête introductive d’instance, dans laquelle il a été question que, par l’autorisation litigieuse, le bourgmestre aurait autorisé S. à agrandir son établissement « en couvrant les seuls mètres carrés non encore construits de la parcelle…», les mandataires de toutes les parties à l’instance ont déclaré lors des plaidoiries que le permis de construire litigieux n’aurait autorisé aucun agrandissement de l’immeuble litigieux qui garderait une implantation identique à celle ayant existé avant ledit permis de construire, tout en conservant un volume identique à celui ayant existé antérieurement, les travaux autorisés ayant pour seul objet une rénovation des locaux en question. Par ailleurs, le mandataire de la Ville de Dudelange a déclaré lors des plaidoiries que seule la destination des locaux en question changerait dans la mesure où les magasins et dépôts ayant antérieurement existé dans l’immeuble litigieux seraient remplacés par des bureaux.
Le demandeur soulève au titre des premier et deuxième moyens la violation des articles 2.4.2 alinéa 3 et 2.4.2. alinéa 6 de la partie écrite du plan d’aménagement général de la Ville de Dudelange, erronément qualifié de règlement des bâtisses, en soutenant, d’une part, que la construction prétendument autorisée dépasserait la profondeur autorisée pour une construction nouvelle ou un agrandissement d’un immeuble accolé à une ou deux constructions existantes, et, d’autre part, que la réalisation de la « construction » ne permettrait pas de garder libre de toute construction une aire représentant 30% de la surface totale du lot.
C’est à bon droit que tant l’administration communale de la Ville de Dudelange que la société à responsabilité limitée S. et Madame … B. soutiennent que tant l’article 2.4.2 alinéa 3, que l’article 2.4.2. alinéa 6 de la partie écrite du plan d’aménagement général ne sauraient trouver application en l’espèce, alors que, d’une part, les travaux autorisés par le permis de construire litigieux ne visent ni une construction nouvelle ni un agrandissement d’un immeuble existant et, d’autre part, aucune emprise supplémentaire au sol n’a été autorisée par le bourgmestre. Lesdits mandataires relèvent à juste titre dans ce contexte que par la décision incriminée du 1er février 1999, le bourgmestre de la Ville de Dudelange a simplement autorisé la rénovation de l’immeuble existant.
Il suit de ce qui précède que les deux moyens d’annulation précités, invoqués par le demandeur, sont à rejeter comme n’étant pas fondés.
Le demandeur soutient enfin que le permis de construire litigieux violerait l’article 2.4.1 de la partie écrite du plan d’aménagement général, en ce que par le fait de ce permis de construire serait autorisé l’exercice d’une activité dans le secteur d’habitation en question, incompatible avec la destination des immeubles susceptibles d’être autorisés dans ledit 3 secteur, conformément à la disposition précitée du plan d’aménagement général. A ce titre, il expose que déjà avant l’émission dudit permis de construire, au moins deux établissements industriels, sinon artisanaux auraient existé sur la parcelle litigieuse, ainsi que sur la parcelle voisine, ayant tous existé « sous la dénomination commune S. », situation qui, d’après lui, ne pourrait plus être mise en cause, une aggravation de laquelle il y aurait toutefois lieu d’éviter en refusant l’autorisation d’«agrandir » des locaux qui serviraient aux prédits établissements industriels ou artisanaux.
Il échet tout d’abord de relever comme l’a indiqué à bon droit l’administration communale de la Ville de Dudelange, que la circonstance qu’une construction existante n’est pas conforme à une ou plusieurs dispositions d’un plan d’aménagement ou d’un règlement sur les bâtisses ne s’oppose pas à délivrance ultérieure d’un permis de construire concernant l’immeuble en question, au cas où, bien entendu, le permis de construire en question a pour objectif de rendre la construction conforme aux dispositions légales et réglementaires applicables.
Au vu de l’article 2.4.1 de la partie écrite du plan d’aménagement général de la Ville de Dudelange « les secteurs d’habitation comprennent les parties du territoire de la Ville réservées aux habitations isolées, jumelées ou groupées en bande de 5 unités au plus, de résidences avec un maximum de 15 unités d’habitation et les édifices et aménagements servant aux besoins propres de ces secteurs et ne gênant pas l’habitat. (…. ) ».
Tant l’administration communale de la Ville de Dudelange que les parties S. et B.
soutiennent que le demandeur n’aurait aucun intérêt à invoquer ce moyen, alors que la transformation d’un ancien magasin (dépôt) en bureaux ne pourrait, pour le moins, avoir aucune influence sur la situation du demandeur et, au mieux, constituer une amélioration de sa situation. Ainsi, aucune aggravation concrète de sa situation de voisin ne pourrait être constatée et, de ce fait, ledit changement de destination ne saurait lui porter grief.
C’est toutefois à tort que les mandataires des parties précitées estiment que le demandeur n’aurait aucun intérêt personnel et direct, né et actuel à soulever ledit moyen d’annulation, en soutenant que la transformation d’un ancien magasin en bureaux, entraînerait pour le moins des nuisances moins importantes que celles auxquelles le demandeur aurait pu être antérieurement exposé, étant donné que le demandeur, tel que cela ressort notamment de ses explications orales, craint à bon droit que l’exploitation par la société à responsabilité limitée S. de bureaux à l’endroit litigieux l’exposerait à un trafic plus dense de véhicules de la société dans la rue dans laquelle il habite.
En effet, il ressort des pièces et éléments du dossier ainsi que des explications orales fournies lors des plaidoiries que le demandeur craint une aggravation de sa situation dans la mesure où il estime que du fait de l’aménagement de bureaux dans l’ancien magasin entraînerait un accroissement de la circulation et du stationnement de véhicules dans les rues situées dans les environs immédiats de l’établissement litigieux, et notamment dans celle dans laquelle il habite. Il a partant établi son intérêt à invoquer ledit moyen à suffisance de droit et partant il n’y a pas lieu de faire droit aux demandes tendant au rejet dudit moyen, telles que formulées par les autres parties à l’instance.
En l’espèce, ni l’administration communale de la Ville de Dudelange ni les parties S.
et B. n’ont ni établi ni même allégué que l’exploitation de bureaux dans le secteur d’habitation tel que défini par la partie écrite du plan d’aménagement général constitue des « aménagements servant aux besoins propres » de ce secteur et « ne gêne pas l’habitat ». En 4 outre, il y a lieu de retenir, à la lecture de l’article 2.4.1 précité que le secteur d’habitation est essentiellement réservé à l’habitation privée et que seuls sont autorisés dans ces quartiers d’autres immeubles dont la destination sert aux besoins d’un secteur d’habitation. Toutefois, en l’espèce, l’examen des pièces et éléments du dossier ainsi que les explications fournies par les parties à l’instance n’ont permis de dégager aucun élément permettant de retenir que l’installation de bureaux d’une société privée dans un secteur d’habitation soit de nature à servir aux besoins de celui-ci. Il y a partant lieu de conclure à la violation, par le permis de construire litigieux, de l’article 2.4.1 de la partie écrite du plan d’aménagement général, entraînant son annulation.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant annule la décision du bourgmestre de la Ville de Dudelange du 1er février 1999 portant autorisation de la société à responsabilité limitée S. à rénover et à transformer des annexes situées sur un terrain sis à Dudelange, …, inscrit au cadastre de la commune de Dudelange, section … de …, sous le n°…;
renvoie le dossier pour prosécution de cause à l’administration communale de la Ville de Dudelange ;
condamne l’administration communale de la Ville de Dudelange aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 26 septembre 2001 par le vice-président, en présence de M.
Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 5