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24/09/2001 | LUXEMBOURG | N°13155

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 septembre 2001, 13155


Tribunal administratif N° 13155 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 avril 2001 Audience publique du 24 septembre 2001

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Recours formé par Monsieur … BAJRAMI, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13155 du rôle et déposée le 2 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie BAULER, avocat Ã

  la Cour, assisté de Maître Arzu AKTAS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des a...

Tribunal administratif N° 13155 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 avril 2001 Audience publique du 24 septembre 2001

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Recours formé par Monsieur … BAJRAMI, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13155 du rôle et déposée le 2 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, assisté de Maître Arzu AKTAS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BAJRAMI, né le … à Pristina (Kosovo/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 novembre 2000, notifiée le 19 janvier 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre datant du 13 mars 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Bieneke BLECH, en remplacement de Maître BAULER, et Madame le délégué du Gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries à l’audience publique du 18 septembre 2001.

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En date du 3 novembre 1999, Monsieur … BAJRAMI, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité.

En date du 15 novembre 1999, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur BAJRAMI par lettre du 20 novembre 2000, lui notifiée en date du 19 janvier 2001, que sa demande d’asile avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

A l’encontre de cette décision, Monsieur BAJRAMI a fait introduire un recours gracieux par courrier de son mandataire datant du 19 février 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 13 mars 2001, il a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 20 novembre 2000 et 13 mars 2001 par requête déposée en date du 2 avril 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en la matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il appartient à la minorité goranaise, de religion musulmane, qu’il ne pourrait retourner vivre au Kosovo n’étant pas Albanais, que la force internationale agissant sous l’égide des Nations Unies ne s’acquitterait pas efficacement de sa mission, que les minorités non albanaises seraient systématiquement exposées à des représailles et des actes de persécution. Il relève dans ce contexte que son snack-bar, qu’il exploitait ensemble avec son père, aurait été détruit et qu’il aurait été exproprié de son mini-market. Le requérant relève encore qu’il aurait été appelé à la réserve, ce qu’il aurait refusé et ce qui l’aurait contraint à quitter son pays d’origine. D’après le requérant, les tensions ethniques actuelles seraient de nature à constituer un danger imminent pour sa vie et l’autorité en place serait incapable d’offrir une protection appropriée.

Le délégué du Gouvernement relève que la situation générale du pays d’origine ne justifierait pas à elle seule la reconnaissance du statut de réfugié et qu’il conviendrait d’examiner la situation particulière du demandeur et de vérifier concrètement et individuellement si celui-ci a raison de craindre d’y être persécuté. Le représentant étatique estime encore qu’une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de population ne saurait être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié et que par ailleurs une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place respectivement que celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée pour l’hypothèse où le demandeur ait sollicité pareille protection. Il fait valoir qu’un sentiment général de crainte ou d’insécurité ne saurait constituer une crainte au sens de la Convention de Genève. Relativement à la destruction du snack-bar et à l’expropriation du magasin, le délégué estime que ces faits, à les supposer établis, ne seraient pas d’une gravité suffisante. Le délégué du Gouvernement relève encore en relation avec la qualité d’insoumis et de déserteur que l’insoumission ne constituerait pas un motif valable de 2 reconnaissance du statut de réfugié et que pour le surplus, en vertu de la loi d’amnistie adoptée par le Parlement de la République Fédérale de Yougoslavie les personnes ayant commis le délit d’insoumission seraient amnistiées. A cela s’ajouterait encore que la paix régnerait dans la région dont le requérant est originaire. Finalement le représentant étatique estime que la situation des minorités au Kosovo se serait nettement améliorée depuis les élections d’automne 2000 et qu’une force internationale sous l’égide de l’organisation des Nations Unies serait installée dans la région ce qui laisserait à exclure une persécution systématique.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljag, n° 12179C du rôle).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions respectives du 3 novembre et 15 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble avec les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission de Monsieur BAJRAMI, le tribunal constate que les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que la paix s’est établie dans la région originaire du demandeur, de sorte qu’il n’est pas établit actuellement que Monsieur BAJRAMI risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés dans le cadre de son service militaire. Il convient encore de relever que Monsieur BAJRAMI n’établit pas qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à 3 son encontre de ce chef, voir qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, et ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le Parlement Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.

Concernant les craintes de persécutions du demandeur en raison de son appartenance à la minorité goranaise et de sa confession musulmane, il convient de constater que ses craintes constituent plutôt l’expression d’un sentiment général de peur sans qu’il n’établit concrètement en quoi à l’heure actuelle il serait encore exposé à un risque de persécution telle que sa vie serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Finalement en ce qui concerne le moyen du recours basé sur la destruction du snack-

bar et l’expropriation du mini-market par des Albanais, force est de constater que les faits relatés, même à les supposer établis, ne sont pas d’une gravité suffisante pour constituer un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 24 septembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge M. Spielmann, juge Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 4 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13155
Date de la décision : 24/09/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-09-24;13155 ?

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