Numéro 13076 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mars 2001 Audience publique du 25 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … MURATOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 13076 du rôle, déposée le 16 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Olivier TOTH, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MURATOVIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 2 janvier 2001 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2001;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier TOTH et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 juillet 2001.
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Le 7 juin 1999, Monsieur … MURATOVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
En date du même jour, Monsieur MURATOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Monsieur MURATOVIC fut entendu en date du 8 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre de la Justice informa Monsieur MURATOVIC, par lettre du 2 janvier 2001, notifiée en date du 15 février 2001, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.
A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet, Monsieur MURATOVIC a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 16 mars 2001.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.
A l’appui de son recours, le demandeur expose provenir de la ville monténégrine de Bérane et être de confession musulmane. Il fait valoir que l’élément objectif de sa crainte légitime de persécution ressortirait à suffisance du seul fait de la situation régnant au Monténégro marquée par des tensions et affrontements ethniques et religieux. Tout en concédant que cette situation aurait connu des améliorations par la cessation officielle de la guerre et des changements politiques, il affirme que ces faits ne suffiraient pas à eux seuls pour garantir à ce jour la paix et que « les affrontements armés restent à l’ordre du jour ». Le demandeur déclare fonder sa crainte personnelle directement sur cette situation générale, étant donné que la simple possibilité ou la probabilité de voir commettre des actes de violence à son égard devrait être considérée comme suffisante pour fonder une crainte légitime de persécution et qu’il ne serait pas admissible d’attendre la commission effective de tels actes pour admettre la réalité de leur commission. Le demandeur estime dès lors que la situation dans son pays d’origine serait de nature à lui rendre la vie intolérable au vu du risque imminent de faire l’objet de persécutions pour un des motifs visés par la Convention de Genève et que la fin officielle de la guerre n’aurait pas mis fin aux « conséquences violentes de cette guerre » lesquelles devraient être prises en compte dans l’appréciation in concreto de sa situation. Le demandeur ajoute enfin que la Déclaration universelle des droits de l’homme préverrait que chaque personne a droit à voir préserver son intégrité physique et sa dignité humaine.
Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait 2 de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en dates du 8 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre de la procédure contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, c’est à juste titre que le ministre a considéré que la peur avancée par le demandeur reflète plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte justifiée de persécution. La situation générale ne saurait être admise comme justifiant à elle seule l’existence d’une crainte légitime de persécution, mais le demandeur d’asile doit faire le lien entre ladite situation générale et sa situation subjective spécifique qui doit être telle qu’elle laisse supposer un danger sérieux pour sa personne. Il y a lieu de relever en l’espèce que le demandeur a déclaré lors de son audition qu’il a quitté son pays d’origine « à cause de la guerre et parce que je ne trouve aucun travail dans mon pays ». Quant à sa peur de retourner au Monténégro, le demandeur a affirmé qu’il aurait peur de la guerre et qu’il « n’y a personne qui peut garantir la paix », de même qu’il s’est référé exclusivement au fait que « dans mon voisinage il y a un bistrot qui est fréquenté par des réservistes. Ils boivent beaucoup et se bagarrent. Personne peut me garantir ma sécurité dans ma propre maison ».
Force est de constater que ces faits constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. Il s’ensuit que le demandeur ne saurait pas non plus faire valoir une persécution ou un risque de persécution dans son pays d’origine pour établir l’existence dans son chef d’une violation de son droit à l’intégrité physique et à la dignité humaine au sens des dispositions internationales par lui invoquées.
3 Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 juillet 2001 par:
M. CAMPILL, premier juge, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
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