Numéro 13069 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 mars 2001 Audience publique du 25 juillet 2001 Recours formé par les époux … SKENDEROVIC et … …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 13069 du rôle, déposée le 15 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick REUTER, avocat à la Cour, assisté de Maître Michèle OSWEILER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SKENDEROVIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame … …, née le … à Bérane, tous les deux de nationalité yougoslave, agissant tant en leur nom propre qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et … SKENDEROVIC, demeurant actuellement ensemble à L-
…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 décembre 2000, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 19 février 2001 prise sur recours gracieux, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;
Vu le courrier du bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg du 8 février 2001, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 mars 2001, désignant Maître Michèle OSWEILER pour assister les époux SKENDEROVIC-… dans le cadre de l’assistance judiciaire dont ils bénéficient;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2001;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Michèle OSWEILER et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 juillet 2001.
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Le 24 juin 1999, Monsieur … SKENDEROVIC et son épouse, Madame … …, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et … SKENDEROVIC, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
En date du même jour, les époux SKENDEROVIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.
Monsieur SKENDEROVIC fut entendu en date du 28 juin 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, tandis que l’audition correspondante de Madame … eut lieu le 1er juillet suivant.
Le ministre de la Justice informa les époux SKENDEROVIC-…, par lettre du 4 décembre 2000, notifiée en date du 22 janvier 2001, que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait pas établie dans leur chef.
Le recours gracieux formé par les époux SKENDEROVIC-… moyennant courrier de leur mandataire daté au 12 février 2001 à l’encontre de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 19 février 2001.
A l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 4 décembre 2000 et 19 février 2001, les époux SKENDEROVIC-… ont fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 15 mars 2001.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent provenir de la ville monténégrine de Bérane et être de confession musulmane. Ils font valoir qu’ils auraient fui leur pays d’origine au moment où Monsieur SKENDEROVIC aurait été appelé à la réserve, mais aurait refusé d’y donner suite au motif que le service militaire « aurait comme unique finalité de le forcer à tuer » et que ce dernier risquerait dès lors d’être emprisonné en raison de son insoumission. Ils estiment que la situation d’après-guerre resterait très instable au Monténégro et qu’ils seraient partant toujours exposés au risque de représailles et surtout d’épurations ethniques, de manière à devoir toujours craindre pour leur bien-être et celui de leurs enfants. Les demandeurs affirment ainsi avoir quitté leur pays d’origine à la suite d’une 2 crainte légitime d’avoir à subir les répressions violentes et injustes des autorités suite à l’insoumission de Monsieur SKENDEROVIC et de la crainte légitime de nouvelles épurations ethniques. Estimant qu’une crainte devrait être considérée comme raisonnable lorsqu’elle est basée sur une évaluation objective de la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile, les demandeurs font valoir que leur crainte de persécution résulterait du défaut par les autorités en place dans leur pays d’origine de satisfaire à leurs obligations de protection à l’égard des citoyens du pays résultant de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée plénière des Nations Unies le 10 décembre 1948, à la quelle le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, entré en vigueur le 23 mars 1976, aurait conféré une force obligatoire.
Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.
En cours de procédure contentieuse, les demandeurs ont pu prendre inspection, par l’intermédiaire de leur mandataire, d’une traduction de la loi d’amnistie votée récemment par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave produite en cause par le délégué du Gouvernement.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en réformation, n° 9).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux SKENDEROVIC-… lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
3 En effet, en ce qui concerne l’insoumission de Monsieur SKENDEROVIC, force est de relever que les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, Monsieur SKENDEROVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou que la peine afférente soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.
Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.
En outre, les craintes de persécutions des demandeurs en raison de leur appartenance à la communauté musulmane constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, étant remarqué que les demandeurs ont déclaré lors de leurs auditions respectives ne pas avoir personnellement subi de persécutions et fonder leur peur sur la guerre et la situation générale au Monténégro.
Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, donne acte aux demandeurs qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.
4 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 juillet 2001 par:
M. CAMPILL, premier juge, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
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