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25/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12969

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 juillet 2001, 12969


Numéro 12969 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 février 2001 Audience publique du 25 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … DURAKOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12969 du rôle, déposée le 26 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Maître Josée WEYDERT, avocat à l

a Cour, assistée de Maître Tine A. LARSEN, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de ...

Numéro 12969 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 février 2001 Audience publique du 25 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … DURAKOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12969 du rôle, déposée le 26 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Maître Josée WEYDERT, avocat à la Cour, assistée de Maître Tine A. LARSEN, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DURAKOVIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 8 novembre 2000, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 29 janvier 2001 prise sur recours, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le courrier de Maître Tine A. LARSEN du 27 février 2001 informant le tribunal de ce que Monsieur … DURAKOVIC bénéficie de l’assistance judiciaire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Tine A. LARSEN et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 juin 2001.

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Le 14 septembre 1998, Monsieur … DURAKOVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur DURAKOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur DURAKOVIC fut entendu en date du 17 juin 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur DURAKOVIC, par lettre du 8 novembre 2000, notifiée en date du 27 décembre suivant, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il ne se dégagerait pas de ses allégations qu’il risquerait d’être persécuté pour l’une des raisons énumérées par la Convention de Genève, telles que ses opinions politiques, sa race, sa religion, sa nationalité ou son appartenance à un groupe social.

Le recours gracieux formé par Monsieur DURAKOVIC suivant courrier par porteur de son mandataire daté au 23 janvier 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 29 janvier suivant, il a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de ces deux décisions ministérielles des 8 novembre 2000 et 29 janvier 2001 par requête déposée le 26 février 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

Le demandeur reproche en premier lieu au ministre de ne pas avoir pris position, dans sa décision confirmative du 29 janvier 2001, par rapport aux différents moyens n’ayant pas figuré dans son dossier initial et développés dans le recours gracieux, mais d’avoir rejeté ledit recours à travers une réponse standard sans préciser concrètement les raisons de fait permettant de justifier la décision, de manière à avoir pris une décision non motivée et donc entachée d’irrégularité.

Force est de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé de la décision initiale du 8 novembre 2000 que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur. Le fait par la décision confirmative du 29 janvier 2001 de 2 confirmer purement et simplement la décision initiale, implique que cette deuxième décision se base sur les mêmes dispositions légales et réglementaires ainsi que sur les mêmes motifs en fait que ceux sur lesquels s’est basée la décision initiale malgré les éléments nouveaux fournis par le recours gracieux qui ont été qualifiés par le ministre comme n’étant pas pertinents.

L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit d’analyser la justification au fond des deux décisions de refus d’accorder le statut de réfugié politique.

Le demandeur fait exposer qu’il est originaire de la ville de Bérane et de confession musulmane, qu’il aurait accompli son service militaire prolongé de 1991 à 1993, qu’il se serait engagé lors de son départ à se présenter régulièrement à la réserve, qu’il n’aurait cependant pas donné suite à un premier appel à la réserve en 1994, fait resté sans conséquences immédiates pour lui, mais qu’il se serait vu refuser la prolongation de son passeport en 1998 pour non-présentation à la réserve et que les autorités auraient même voulu le garder pour l’envoyer sur le champ à la caserne. Il relève qu’il aurait seulement pu échapper à l’emprise des autorités grâce à une astuce pour immédiatement s’enfuire du pays et que la police militaire se serait présentée dans les jours suivants à plusieurs reprises à son domicile afin de l’emmener par la force. Il fait valoir avoir refusé de participer au conflit au Kosovo, aux motifs que, d’une part, les forces militaires et de police se seraient rendues coupables de graves atteintes aux droits de l’homme à l’égard de la population albanaise et que, d’autre part, il aurait risqué de tomber entre les mains de l’UCK qui, de son côté, aurait commis de multiples exactions envers les Serbes. Il soutient que son insoumission l’exposerait à des traitements dégradants en raison de sa religion musulmane et à une peine manifestement disproportionnée, étant donné que les tribunaux continueraient à appliquer les peines applicables lors de l’état de guerre qui reviendraient au double ou au triple des peines normalement encourues de ce chef et que son droit à un procès équitable respectant ses droits de la défense ne serait pas garanti. Après avoir ajouté que les changements politiques survenus en Yougoslavie après les élections de septembre 2000 ne résoudraient pas immédiatement les conflits inter-ethniques secouant les Balkans et que l’applicabilité de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave aux réservistes ou aux militaires professionnels ne serait pas certaine, le demandeur conclut que les conditions pour un retour en sécurité dans son pays d’origine ne se trouveraient pas encore réunies.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

En cours de procédure contentieuse, le demandeur a pu prendre inspection, par l’intermédiaire de son mandataire, d’une traduction de la loi d’amnistie votée récemment par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave produite en cause par le délégué du Gouvernement.

Aux termes de l’article 1er, section A,2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du 3 demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 17 juin 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée le cas échéant de ce chef serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont notamment, à travers les articles du code pénal yougoslave énumérés dans son article 1er, également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Les craintes de persécutions du demandeur en raison de son appartenance à la communauté musulmane constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. Il y a lieu de relever à cet égard qu’il a déclaré lors de son audition ne pas avoir subi de 4 persécutions et fonder sa crainte exclusivement sur son refus d’accomplir son service militaire.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, donne acte au demandeur de ce qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 juillet 2001 par:

Mme LENERT, premier juge, Mme LAMESCH, juge M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12969
Date de la décision : 25/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-25;12969 ?

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