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25/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12914

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 juillet 2001, 12914


Numéro 12914 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2001 Audience publique du 25 juillet 2001 Recours formé par les époux … SABOTIC et … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12914 du rôle, déposée le 16 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc WALCH, avocat à la C

our, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … SABOTIC, né le...

Numéro 12914 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2001 Audience publique du 25 juillet 2001 Recours formé par les époux … SABOTIC et … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12914 du rôle, déposée le 16 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … SABOTIC, né le … à Tucanje (Monténégro), et de son épouse, Madame … …, née le … à Trepzi (Monténégro), tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 9 octobre 2000 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Marc WALCH et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 juin 2001.

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Le 17 mai 1999, Monsieur … SABOTIC et son épouse, Madame … …, préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux SABOTIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Ils furent entendus séparément en date du 19 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux SABOTIC-…, par lettre du 9 octobre 2000, notifiée en date du 1er décembre 2000, que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait pas établie dans leur chef.

Les époux SABOTIC-… formèrent à l’encontre de la décision ministérielle précitée un recours gracieux par courrier de leur mandataire daté au 1er janvier 2001 dans lequel ils demandèrent de « surseoir à toute mesure d’expulsion en l’état actuel ». Ce recours gracieux fut rencontré par une décision purement confirmative du ministre du 18 janvier 2001.

A l’encontre de la décision ministérielle initiale du 9 octobre 2000, les époux SABOTIC-… ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 16 février 2001. A travers la même requête, ils concluent à voir « surseoir à toute mesure d’expulsion en l’état actuel ».

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation en ce qu’il est dirigé contre le refus de reconnaissance du statut de réfugié politique, ce même recours étant pareillement recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable dans la même mesure.

Les conclusions des demandeurs tendant à voir « surseoir à toute mesure d’expulsion en l’état actuel » s’analyse en substance en un recours contre l’invitation à quitter le territoire contenue dans la décision déférée du 9 octobre 2000. Aucune disposition légale n’instaurant un recours au fond à l’encontre d’une telle décision, le tribunal est incompétent pour connaître d’un recours dirigé à son encontre en tant que juge de la réformation. Le recours subsidiaire en annulation est partant recevable en tant que dirigé contre cette décision.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre de ne pas avoir apprécié à sa juste valeur leur situation spécifique qui serait telle qu’elle laisserait supposer dans leur chef une crainte légitime de persécution dans leur pays d’origine. Ils exposent être de religion musulmane et provenir de la ville de Bérane, « ville serbe à la frontière entre le Monténégro et la Serbie, région dominée par les Serbes ». Ils se prévalent en premier lieu de ce qu’ils « se sont vus menacer à maintes reprises des pires maux » en raison de leur religion musulmane. Ils font valoir que Monsieur SABOTIC aurait déjà dû servir durant 11 mois dans un conflit armé, qu’il aurait reçu avant leur fuite un nouvel appel pour rejoindre l’armée et que, comme il n’y aurait pas donné suite, la police militaire se serait plusieurs fois présentée à leur domicile et elle aurait lancé un mandat d’arrêt à son encontre, de manière qu’il 2 risquerait « un emprisonnement prolongé dans les pires conditions » en cas de retour dans son pays d’origine.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

En cours de procédure contentieuse, les demandeurs ont pu prendre inspection, par l’intermédiaire de leur mandataire, d’une traduction de la loi d’amnistie votée récemment par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave produite en cause par le délégué du Gouvernement.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission de Monsieur SABOTIC n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas 3 établi qu’actuellement, Monsieur SABOTIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée le cas échéant de ce chef serait encore effectivement exécutée à l’heure actuelle. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

En outre, les craintes de persécutions des demandeurs en raison de leur appartenance à la communauté musulmane constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Dans le cadre de leurs auditions, tant Monsieur SABOTIC que Madame … ont en effet déclaré qu’ils n’auraient pas fait l’objet de persécutions personnelles en raison de leur religion et Monsieur SABOTIC a ajouté que l’appel à la réserve et la peur de la prison constitueraient ses seuls motifs ayant justifié le départ de son pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Quant à l’invitation à quitter le territoire contenue dans la décision ministérielle déférée du 9 octobre 2000 et réaffirmée par la décision confirmative du 18 janvier 2001, les demandeurs demandent à titre subsidiaire qu’il soit sursis à toute mesure d’expulsion en l’état actuel, étant donné que Madame … se trouverait en état de grossesse avancé, respectivement serait sur le point d’accoucher, de sorte qu’il serait dans l’intérêt de l’enfant à naître que toute agitation soit évitée à l’heure actuelle, au motif qu’on ne saurait forcer une femme enceinte, respectivement une famille avec un enfant nouveau-né à retourner dans son pays d’origine au vu des « hivers particulièrement froids et rugueux » y régnant. A l’audience, le mandataire des demandeurs a précisé que l’enfant était en fait déjà né au moment de l’introduction du recours.

Lorsque le juge administratif statue en tant que juge de l’annulation, il est amené à vérifier la légalité de la décision lui soumise au vu de la situation de droit et de fait à la date où l’autorité compétente a statué sur la demande en cause. En l’espèce, le tribunal constate qu’il ressort des faits et éléments du dossier qu’aucune erreur manifeste d’appréciation des faits ne peut être reprochée au ministre en ce qu’il a invité les demandeurs à quitter le territoire dans un mois à partir du moment où la décision de refus de reconnaissance du statut de réfugié politique aura acquis autorité de chose décidée.

Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.

4 PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme dans la mesure où il est dirigé contre la décision ministérielle litigieuse en ce qu’elle porte rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable dans cette mesure au fond, déclare le recours en réformation ainsi délimité non justifié et en déboute, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation en ce qu’il est dirigé contre l’invitation à quitter le territoire contenue dans la décision ministérielle litigieuse, reçoit le recours en annulation en la forme dans la mesure où il est dirigé contre la décision ministérielle en ce qu’elle invite les demandeurs à quitter le territoire, au fond, déclare ce recours en annulation non fondé et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 juillet 2001 par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. SCHOCKWEILER 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12914
Date de la décision : 25/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-25;12914 ?

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