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25/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12908

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 juillet 2001, 12908


Numéro 12908 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 février 2001 Audience publique du 25 juillet 2001 Recours formé par les époux … MURATOVIC et … …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12908 du rôle, déposée le 15 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Mathias PONCIN, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MURA...

Numéro 12908 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 février 2001 Audience publique du 25 juillet 2001 Recours formé par les époux … MURATOVIC et … …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12908 du rôle, déposée le 15 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Mathias PONCIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MURATOVIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame … …, née le … à Bérane, tous les deux de nationalité yougoslave, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur fils mineur … MURATOVIC, demeurant actuellement ensemble à L-

…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 octobre 2000, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 16 janvier 2001, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le courrier de Maître Mathias PONCIN du 27 février 2001 informant le tribunal de ce que les époux MURATOVIC-… bénéficient de l’assistance judiciaire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Josiane BIEL, en remplacement de Maître Mathias PONCIN, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 juin 2001.

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Le 24 novembre 1998, Madame … …, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ». En date du même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

En date du 26 janvier 1999, son époux, Monsieur … MURATOVIC, également préqualifié, introduisit une demande tendant aux mêmes fins. Il fut pareillement entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Les époux MURATOVIC-… furent entendus séparément en date du 28 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux MURATOVIC-…, par lettre du 12 octobre 2000, notifiée en date du 29 novembre 2000, que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Par courrier de leur mandataire daté au 21 décembre 2000, les époux MURATOVIC-

… formèrent un recours gracieux à l’encontre de cette décision de rejet de leur demande d’asile et sollicitèrent à titre subsidiaire l’octroi du statut de tolérance.

Ce recours gracieux s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 16 janvier 2001, ils ont fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles prévisées des 12 octobre 2000 et 16 janvier 2001 par requête déposée le 15 février 2001, principalement en ce qu’elles ont rejeté leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique et subsidiairement en ce qu’elles leur ont refusé l’octroi du statut de tolérance prévu par l’article 13 de la loi prévisée du 3 avril 1996 sur base des considérations familiales particulières de leur famille.

Encore que les demandeurs concluent principalement à l’annulation des décisions ministérielles critiquées, le tribunal est tenu d’analyser la question de l’existence d’un recours au fond en la matière, étant donné que l’existence de cette voie de recours rendrait le recours principal en annulation irrecevable.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître dans cette mesure du recours subsidiaire en 2 réformation en ce qu’il est dirigé contre le refus de reconnaissance du statut de réfugié politique, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il s’ensuit que le recours principal en annulation est irrecevable dans cette mesure.

Le recours doit être qualifié de prématuré en ce que les demandeurs concluent en ordre subsidiaire que ce serait à tort que le ministre n’a pas fait droit à leur demande en obtention du statut de tolérance sur base de l’article 13 de la loi prévisée du 3 avril 1996 formulée à travers le recours gracieux introduit pour leur compte.

En effet, alors même que l'article 13 alinéa 3 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit que si l'exécution matérielle de l'éloignement des personnes ayant été déboutées de leur demande d’asile s'avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre de la Justice peut décider de les tolérer provisoirement sur le territoire jusqu'au moment où ces circonstances de fait auront cessé, il résulte de l'alinéa premier du même article 13 que le problème de l'éloignement ne se pose que si le statut de réfugié est refusé, de sorte qu'une demande ayant pour objet le statut de tolérance ne peut être présentée que si la décision de refus du statut de réfugié est devenue définitive. Partant, au stade actuel de la procédure cette demande du statut de tolérance est à déclarer irrecevable (trib. adm. 27 mars 2001, Kurpejovic, n° 12525, non encore publié), abstraction faite de ce que les demandeurs restent en défaut d'invoquer une circonstances de fait rendant impossible leur éloignement du territoire luxembourgeois.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer que leur crainte est motivée notamment par leur appartenance à la communauté musulmane qui serait minoritaire dans leur pays d’origine, le Monténégro « où la classe dominante serbe contrôle l’appareil étatique, fait régner l’arbitraire et se moque des règles élémentaires de protection des droits individuels en procédant à la torture et en persécutant les nationaux aux croyances religieuses divergentes ». Ils font valoir que la désertion de Monsieur MURATOVIC l’exposerait à une « sentence arbitraire serbe qui sera accompagnée de mesures d’exécution draconiennes méprisantes et barbares dans des établissements d’incarcération spécialisés d’où aucun cri de secours ne s’échappe ». Ils reprochent au ministre de ne pas avoir pris en considération leur situation familiale particulière, étant donné que leur famille demeurerait au Luxembourg depuis le milieu des années 1990.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

En cours de procédure contentieuse, les demandeurs ont pu prendre inspection, par l’intermédiaire de leur mandataire, d’une traduction de la loi d’amnistie votée récemment par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave produite en cause par le délégué du Gouvernement.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

3 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, Monsieur MURATOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée le cas échéant de ce chef serait encore effectivement exécutée à l’heure actuelle. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

En outre, les craintes de persécutions des demandeurs en raison de leur appartenance à la communauté musulmane constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou 4 une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Dans le cadre de son audition, Monsieur MURATOVIC a en effet déclaré qu’il a quitté le Monténégro « pour la seule raison que j’ai déserté de l’armée » et qu’il a « peur de la prison ». En tant qu’élément concret en relation avec son appartenance religieuse au-delà de sa désertion, Monsieur MURATOVIC a déclaré : « Je n’ai pas été maltraité physiquement, mais il y a eu des provocations de la part des Serbes. Il y avait les chansons par lesquelles on insultait les musulmans ». Madame … a pareillement déclaré lors de son audition qu’elle n’a pas subi de persécutions et qu’elle a peur « de la situation là-bas. J’ai peur que la guerre va s’étendre sur le Monténégro ».

La situation familiale des demandeurs, en ce que plus particulièrement la mère et la sœur de Monsieur MURATOVIC demeurent déjà au Grand-Duché, ne constitue pas un motif admis par la Convention de Genève en vue de la reconnaissance du statut de réfugié.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, donne acte aux demandeurs qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire, reçoit le recours en réformation en la forme dans la mesure où il est dirigé contre les deux décisions ministérielles portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours irrecevable pour le surplus, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 juillet 2001 par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

5 s. SCHMIT s. SCHOCKWEILER 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12908
Date de la décision : 25/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-25;12908 ?

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