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25/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12887

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 juillet 2001, 12887


Tribunal administratif N° 12887 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2001 Audience publique du 25 juillet 2001 Recours formé par les époux … ADROVIC et … … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12887 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 février 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l

’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ADROVIC, né le … à Pec (Kosovo/Yougosl...

Tribunal administratif N° 12887 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2001 Audience publique du 25 juillet 2001 Recours formé par les époux … ADROVIC et … … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12887 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 février 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ADROVIC, né le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie) et … …, née le … à Dobrusa/Istok (Kosovo/Yougoslavie), tous les deux de nationalité yougoslave, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, … et … ADROVIC, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 10 octobre 2000, notifiée en date du 28 novembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que contre une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre datant du 5 janvier 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 juin 2001.

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Le 1er septembre 1998, les époux ADROVIC-…, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, … et … ADROVIC, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».En date du même jour les époux ADROVIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux ADROVIC-… furent entendus séparément en date du 2 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux ADROVIC-…, par lettre du 10 octobre 2000, notifiée en date du 28 novembre 2000, de ce que leur demande avait été rejetée aux motifs qu’une situation de paix se serait établie dans leur région d’origine, qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies est installée au Kosovo pour y assurer la coexistance pacifique des différentes communautés, et que par ailleurs la crainte d’une sanction pour désertion dans le chef de Monsieur ADROVIC, ainsi que les autres motifs invoqués, même à les supposer établis, ne constitueraient pas des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.

Le recours gracieux introduit par les époux ADROVIC-… par courrier de leur mandataire datant du 27 décembre 2000 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 10 octobre 2000 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 5 janvier 2001, les époux ADROVIC-… ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 10 octobre 2000 et 5 janvier 2001 par requête déposée en date du 12 février 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer que Monsieur ADROVIC aurait exercé la fonction de policier sous commandement serbe depuis 1990 jusqu’au 20 août 1998 et que la fuite de leur pays d’origine aurait été motivée, pour partie, par le fait que Monsieur ADROVIC avait déserté des forces militaires yougoslaves, ainsi que par le fait que toute recherche de protection à l’intérieur de la Yougoslavie, respectivement dans la province du Kosovo aurait été illusoire, voire dangereuse, alors qu’ils maîtriseraient la seule langue serbo-

croate. Les demandeurs reprochent au ministre d’avoir fait une appréciation erronée des faits de l’espèce pour ne pas avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées par rapport au fait que Monsieur ADROVIC aurait refusé, en sa qualité de policier, de servir au sein des forces militaires yougoslaves, au motif qu’il n’aurait pas souhaité « tuer des gens » et qu’il n’aurait légitimement et raisonnablement pas pu accepter de participer aux répressions commises par les forces militaires yougoslaves lesquelles sont responsables de nombreuses et inadmissibles exactions à l’égard de la communauté musulmane, notamment dans la province du Kosovo.

Les demandeurs estiment que le risque dans le chef de Monsieur ADROVIC d’encourir une condamnation à une peine de prison du fait d’avoir refusé d’intégrer les forces militaires yougoslaves lors du conflit armé au Kosovo serait constitutif dans leur chef d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Ils relèvent que leur situation se trouverait par ailleurs aggravée du fait qu’ils sont d’origine bosniaques, mais parlent uniquement la langue serbo-croate, de manière à appartenir à une minorité dont la présence au Kosovo ne 2 serait que très difficilement acceptée par les Albanais, largement majoritaires, lesquels commettraient régulièrement des actes de persécution à l’égard de non-albanais du seul fait de leur origine ethnique.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux ADROVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux ADROVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 2 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur ADROVIC risque à l’heure actuelle de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

3 A cet égard il y a lieu de relever plus particulièrement que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées par rapport à un acte de désertion remontant à l’époque du conflit au Kosovo et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant ensuite la crainte de persécution de la part de la population albanaise du Kosovo invoquée par les demandeurs et présentée comme étant due à leur appartenance à la minorité ethnique des goranis, force est de constater qu’il se dégage des pièces versées au dossier et plus particulièrement des déclarations mêmes de Monsieur ADROVIC renseignées dans la pièce référencée sous le numéro 4 et versées au dossier par les demandeurs, que les sentiments de vengeance à leur encontre émanant d’Albanais du Kosovo trouvent leur source non pas dans l’appartenance ethnique de Monsieur ADROVIC, mais clairement dans ses activités et son attitude, tant passive qu’active, dans le cadre de son activité professionnelle en tant que policier. Monsieur ADROVIC a en effet déclaré avoir amené des Albanais aux interrogatoires durant lesquelles ils ont été battus par ses collègues policiers et que c’était après s’en être sortis que lesdits Albanais l’auraient menacé, de même qu’il a admis que dans le cadre de ses activités professionnelles il a participé à des opérations militaires lors desquelles « souvent, de simple villageois devenaient victimes de la colère des policiers », et que, suite à un de ses raids, un dénommé Fatmir a été emmené au commissariat où il a été tabassé et torturé jusqu’à perdre conscience et que c’est suite à cet incident que ce dernier aurait exprimé le souhait de vengeance à l’égard de Monsieur ADROVIC.

Même si Monsieur ADROVIC, au bout d’un certain temps, a décidé d’abandonner ses fonctions de policier, ainsi que ses activités professionnelles ayant engendré des interventions du type de celles ci-avant relevées, il n’en reste cependant pas moins la crainte de persécution mise en avant par les demandeurs à l’appui de leur recours trouve sa source clairement dans la nature des agissements de Monsieur ADROVIC dans le cadre de son activité professionnelle et non pas dans le fait qu’ils appartiennent à une minorité ethnique.

Or, les craintes de persécution afférentes invoquées par les demandeurs en raison des prédites activités de Monsieur ADROVIC ne tombent pas, en tant que telles, sous le champ d’application de la Convention de Genève.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le dit non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

4 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 juillet 2001 par:

Mme Lenert, premier juge Mme Lamesch, juge M. Schroeder, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12887
Date de la décision : 25/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-25;12887 ?

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