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25/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12794

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 juillet 2001, 12794


Tribunal administratif N° 12794 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 janvier 2001 Audience publique du 25 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … HASANI, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12794 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2001 par Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, inscrit au tab

leau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HASANI, déclarant être né le … à Pre...

Tribunal administratif N° 12794 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 janvier 2001 Audience publique du 25 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … HASANI, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12794 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2001 par Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HASANI, déclarant être né le … à Preshevo (Serbie) et être de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 5 octobre 2000, notifiée le 18 décembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mars 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Martine WODELET, en remplacement de Maître Charles KAUFHOLD, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 14 avril 2000, une personne déclarant se nommer … HASANI, né le … à Preshevo (Serbie) et de nationalité yougoslave, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le requérant fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 31 mai 2000, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

1 Par décision du 5 octobre 2000, notifiée le 18 décembre 2000, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations qu’en date du 6 avril 2000 vous avez quitté Preshevo en Serbie à bord d’un camion de couleur blanche, immatriculé au Danemark. Vous ne pouvez donner aucun détail sur le chemin emprunté jusqu’au Luxembourg où vous êtes arrivé le 13 avril 2000.

Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le lendemain de votre arrivée.

Vous exposez que vous n’avez jamais été appelé pour faire le service militaire. Vous dites que vous avez quitté votre pays parce que vous avez peur que la guerre y éclate. Et puis vous affirmez que les conditions de vie en Serbie sont mauvaises et que vous avez quitté votre pays également pour des raisons économiques.

Il résulte également de vos déclarations que vous n’êtes pas membre d’un parti politique et que vous n’avez jamais eu d’activités politiques. Vous faites cependant état de plusieurs interpellations dans la rue par la police. Ainsi vous auriez été amené à plusieurs reprises au poste de police. Vous prétendez qu’à ces occasions vous auriez été frappé, ceci parce que vous êtes Albanais.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la condition particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

En l’espèce, même si le récit relatif aux interpellations par la police et des mauvais traitements infligés par les policiers a trait à des pratiques certainement condamnables, ces faits ne sont cependant pas d’une gravité telle – même à les supposer établis – qu’ils justifient une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Concernant les mauvaises conditions de vie en Serbie, il est vrai que la situation économique n’y est pas des meilleures, mais un tel motif ne saurait fonder une demande d’asile politique au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par requête déposée en date du 18 janvier 2001, Monsieur … HASANI a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 5 octobre 2000.

2 L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le délégué du gouvernement a soulevé en son mémoire du 23 mars 2001 l’irrecevabilité de la demande en annulation de la décision ministérielle ainsi introduite.

Ce moyen n’est pas fondé. Si, dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, le demandeur conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité, et à condition d’observer les règles de procédure spéciales pouvant être prévues et les délais dans lesquels le recours doit être introduit.

Au fond, le demandeur fait exposer que, habitant en Serbie, il appartient à la minorité ethnique des Albanais et que de ce fait, il y ressent un sentiment justifié de peur en raison des persécutions exercées contre la population albanaise, se concrétisant dans le fait de pouvoir être à chaque instant interpellé, frappé et torturé par la police serbe.

Le demandeur conclut partant à la réformation de la décision déférée pour cause d’appréciation inexacte des faits.

Dans son mémoire en réplique du 23 mars 2001, le délégué du gouvernement relève au fond en premier lieu que le requérant avait fait de nouvelles déclarations devant la police en date du 20 février 2001, selon lesquelles sa véritable identité serait celle de … DERVISAJ, né le … à Kostrc (Kosovo). Il serait partant hautement improbable qu’il ait jamais habité en Serbie, mais il faudrait au contraire retenir qu’il n’a déclaré avoir habité la Serbie que dans l’unique but de faire apparaître sa demande d’asile sous un jour plus favorable.

Pour autant que le requérant entend actuellement faire valoir qu’il risquerait des persécutions en tant qu’Albanais au Kosovo, il faudrait retenir que depuis le départ du Kosovo des forces armées yougoslaves, il n’y a plus guère de risque de persécution par les autorités yougoslaves.

Le délégué du gouvernement relève encore que le requérant ne ferait pas état de faits de persécution personnels en Serbie et qu’il faudrait de toute façon tenir compte de la nouvelle situation politique en Yougoslavie, qui ferait apparaître comme non fondée la crainte d’éventuelles persécutions.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière dus demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Afin de statuer sur la demande dont il est actuellement saisi, le tribunal tient au préalable à préciser qu’il tiendra compte des qualités déclarées par le requérant en dernier lieu sur le procès-verbal de police du 20 février 2001 en ce qu’il s’appelle … DERVISAJ, qu’il est né le … à Kostrc (Kosovo) et qu’il est Albanais du Kosovo avec nationalité yougoslave.

Au regard de ces éléments, l’argumentation développée par le demandeur, qui fait valoir un risque de persécution émanant des Serbes, n’est pas de nature à établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le tribunal estime être contraire à la réalité les affirmations premières du requérant selon lesquelles il aurait demeuré avant son départ en Serbie, ces affirmations n’étant appuyées par aucun élément concret et actuellement contredites par ses nouvelles déclarations faites en date du 20 février 2001. Il ne risque donc aucune persécution de la part de la population serbe en Serbie. Par ailleurs, le tribunal tient à relever qu’une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce de la population serbe, ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur a fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais n’a pas démontré que les autorités yougoslaves ne seraient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants serbes de la République yougoslave.

Dans la mesure où il faut tenir compte du fait que le demandeur est originaire du Kosovo et qu’il fait valoir des actes de persécution y perpétrés à l’encontre de la population albanaise, force est de retenir que le requérant ne fait qu’état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre pas non plus que les forces onusiennes et l’administration civile actuellement en place ne seraient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

4 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Ravarani, président M. Hoscheit, juge suppléant Mme Didlinger, juge suppléant et lu à l’audience publique du 25 juillet 2001 par le président, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12794
Date de la décision : 25/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-25;12794 ?

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