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25/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12769

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 juillet 2001, 12769


Tribunal administratif N° 12769 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 janvier 2001 Audience publique du 25 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … KOLASINAC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12769 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2001 par Maître Guillaume RAUCHS, avocat à la Cour, assisté de Ma

ître Isabelle HOMO, avocat, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mon...

Tribunal administratif N° 12769 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 janvier 2001 Audience publique du 25 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … KOLASINAC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12769 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2001 par Maître Guillaume RAUCHS, avocat à la Cour, assisté de Maître Isabelle HOMO, avocat, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KOLASINAC, né le … à Novi Pazar, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 30 août 2000, notifiée le 10 novembre 2000, sinon d’une deuxième décision confirmative rendue sur recours gracieux en date du 14 décembre 2000 par lesquelles il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Isabelle HOMO, en remplacement de Maître Guillaume RAUCHS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 14 juin 1999, Monsieur … KOLASINAC, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … KOLASINAC fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 16 août 1999, Monsieur … KOLASINAC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

1 Par décision du 30 août 2000, notifiée le 10 novembre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur … KOLASINAC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile en date du 1er juin 1999. Vous avez séjourné pendant cinq jours à Sarajevo. Un passeur vous a ensuite conduit au Luxembourg où vous êtes arrivé en date du 13 juin 1999. Vous dites être passé par Mostar, Makarska, Zagreb, Ljubljana, Gorizia, Lyon et Paris.

Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le lendemain de votre arrivée au Luxembourg.

Vous exposez que vous n’auriez pas effectué le service militaire. Vous auriez reçu un appel en juillet 1998, mais vous ne l’auriez pas accepté. Vous ajoutez que la police militaire serait venu à plusieurs reprises en votre absence.

Vous expliquez votre insoumission par le fait que vous ne voudriez pas participer à des opérations militaires et que vous ne voudriez pas être tué.

Vous relevez que votre insoumission serait sanctionnée par une peine d’emprisonnement de 3 à 5 ans.

De plus, vous dites appartenir au parti SDA. Vous relevez cependant aussi que la politique ne vous intéresserait pas.

Vous affirmez que vous auriez quitté votre pays en raison de l’appel. Vous refuseriez également d’être emprisonné pour votre insoumission.

Vous admettez en outre ne pas avoir personnellement subi de persécutions.

Enfin, vous déclarez que vous auriez peur de la police militaire et que cette peur serait liée au fait que vous seriez musulman.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, à savoir une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social.

Concernant votre crainte d’une éventuelle sanction pénale en raison de votre insoumission, je me permets de souligner que des poursuites pénales ne peuvent pas être considérées en tant que telles comme une persécution au sens de la prédite Convention.

Par ailleurs, étant donné qu’une situation de paix s’est établie dans la région, il n’est pas établi que le fait d’effectuer le service militaire impliquerait la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

En ce qui concerne votre prétendue appartenance au SDA, j’insiste sur le fait que vous ne fournissez aucun élément de preuve permettant d’établir la véracité de vos déclarations. D’ailleurs, la simple appartenance à un parti politique, sans exercer une 2 fonction précise au sein dudit parti, ne saurait suffire pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié.

Enfin, il y a lieu de relever que vous admettez ne pas avoir personnellement subi de persécutions.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par lettre datée du 6 décembre 2000, Monsieur … KOLASINAC fit introduire, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 30 août 2000.

Par décision du 14 décembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 12 janvier 2001, Monsieur … KOLASINAC a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 30 août 2000 et 14 décembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par le demandeur. Ledit recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer que, habitant en Serbie, il appartient à la minorité religieuse musulmane et que de ce fait, il y ressent un sentiment justifié de peur en raison des persécutions exercées contre la population musulmane, dont il aurait par ailleurs déjà personnellement été la cible. Il ressentirait encore un sentiment de peur justifié en raison de son appartenance au parti politique SDA et du fait qu’il avait refusé de servir dans les rangs de l’armée serbe.

Le demandeur conclut partant à la réformation de la décision déférée pour cause d’appréciation inexacte des faits.

Le délégué du Gouvernement réplique qu’il n’existerait pas d’éléments au dossier permettant de conclure objectivement à la réalité d’un sentiment de crainte justifié, que le seul fait de l’insoumission pour avoir refusé de servir dans les rangs de l’armée ne serait pas un motif valable pour l’octroi du statut de réfugié et que les éléments acquis au dossier ne permettraient pas de qualifier le requérant de membre actif d’un parti politique. Il relève encore l’amélioration de la situation générale en Yougoslavie dont il conviendrait de tenir compte.

3 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’argumentation développée par le demandeur, qui fait valoir un risque de persécution émanant des Serbes, n’est pas de nature à établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce de la population serbe, ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre point que les autorités yougoslaves ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants serbes de la République Yougoslave.

Concernant la crainte initialement invoquée à l’appui de sa demande d’asile par le demandeur de se voir sanctionner pour cause d’insoumission en cas de retour dans son pays d’origine, force est de constater que l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié politique (Trib. adm. 7 juillet 1999, n° 10861 4 du rôle, Ajdarpasic, confirmé par Cour adm. 11 novembre 1999, n° 11454C du rôle, Pas. adm.

1/2000, V° Etrangers, n° 30), de sorte que les faits ainsi avancés n’auraient en tout état de cause pas été de nature à justifier dans le chef du demandeur l’existence d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

C’est encore à bon droit que le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tant que reposant sur la crainte qui découlerait pour Monsieur … KOLASINAC de son appartenance à un parti politique, dès lors qu’il n’établit effectivement pas qu’il a été un membre actif du parti SDA, et qu’il n’affirme par ailleurs dans le rapport d’audition du 16 août 1999 pas avoir rencontré de quelconques problèmes du fait de cette adhésion.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Ravarani, président M. Hoscheit, juge suppléant Mme Didlinger, juge suppléant et lu à l’audience publique du 25 juillet 2001 par le président, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12769
Date de la décision : 25/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-25;12769 ?

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