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25/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12716

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 juillet 2001, 12716


Tribunal administratif N° 12716 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 décembre 2000 Audience publique du 25 juillet 2001

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Recours formé par les époux … DURAKOVIC et … … et consort, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12716 et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 décembre 2000 par Maître Isabel DIAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau

de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom des époux … DURAKOVIC, né le … à Trpezi (Monténégro/Yougoslavie)...

Tribunal administratif N° 12716 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 décembre 2000 Audience publique du 25 juillet 2001

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Recours formé par les époux … DURAKOVIC et … … et consort, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12716 et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 décembre 2000 par Maître Isabel DIAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom des époux … DURAKOVIC, né le … à Trpezi (Monténégro/Yougoslavie), et … …, née le … à Vrbica (Monténégro), agissant pour eux-

mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur …, né le … à Bar (Monténégro), tous les trois de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 octobre 2000, notifiée le 1er décembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 février 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Louis TINTI, en remplacement de Maître Isabel DIAS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 31 décembre 1998, les époux … DURAKOVIC et … …, préqualifiés, agissant pour eux-mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur …, préqualifié, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux DURAKOVIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Ils furent entendus séparément en date du 1er septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 12 octobre 2000, notifiée le 1er décembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux DURAKOVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « (…) Il résulte de vos déclarations qu’en date du 21 décembre 1998 vous avez quitté, en train, Bar au Monténégro pour vous rendre à Budapest en Hongrie. Là vous avez réussi à obtenir un visa pour la Slovénie, grâce à une déclaration de prise en charge de votre neveu qui habite la Slovénie. Après avoir passé quatre ou cinq nuits à Lublijana, un passeur vous a conduits au Luxembourg où vous êtes arrivés le 29 décembre 1998.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 31 décembre 1998.

Vous Monsieur, vous exposez que vous avez été convoqué pour la réserve à deux ou trois reprises. Vous n’étiez jamais à la maison. Lorsque le coursier militaire a dit à votre femme que la prochaine fois ce serait la police militaire qui allait venir pour vous emmener à la réserve, vous avez pris la fuite avec votre famille. Vous ne vouliez pas rejoindre l’armée, que vous qualifiez comme n’étant pas la vraie armée, parce que vous ne vouliez pas aller au Kosovo. Vous soulignez que vous ne vouliez tuer personne. Vous affirmez par ailleurs qu’un esprit nationaliste règne au sein de l’armée fédérale yougoslave et que les Serbes sont traités différemment des musulmans.

Vous indiquez dans vos déclarations que cet esprit nationaliste prévaut également dans tout le pays et que cet état de fait a des incidences négatives sur les relations avec le voisinage.

En ce qui vous concerne, Madame, vous confirmez les dires de votre mari, auxquels vous vous ralliez, ajoutant que vous avez quitté votre pays également à cause de la guerre.

Il résulte par ailleurs de vos déclarations à tous les deux que vous n’êtes pas membre d’un parti politique et que vous n’avez pas eu d’activités politiques.

Concernant le premier motif invoqué par vous, Monsieur, à l’appui de votre demande d’asile, à savoir la crainte d’une sanction pénale pour insoumission, je souligne que la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, constituer une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Quant à l’esprit nationaliste qui régnerait au Monténégro en général, et au sein de l’armée en particulier, je signale que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile, qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

2 Or il ne résulte pas de vos allégations à tous les deux, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquez d’être persécutés pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

Finalement, force est de constater que le conflit armé entre l’ex-Yougoslavie et le Kosovo est terminé et qu’une situation de paix s’est établie dans la région.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par requête déposée en date du 29 décembre 2000, les époux DURAKOVIC-…, agissant pour eux-mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leur fils …, ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 12 octobre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant également été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font soutenir que le ministre de la Justice n’aurait pas apprécié à leur juste valeur leurs craintes de persécution et qu’il aurait mal appliqué les dispositions de la Convention de Genève.

Ils estiment remplir les conditions de reconnaissance du statut de réfugié politique, au motif qu’ils auraient fui leur pays d’origine en raison de la persécution de Monsieur DURAKOVIC du fait de sa religion musulmane, ainsi que du fait qu’il aurait été convoqué à deux reprises pour « faire la réserve militaire », ce qu’il aurait refusé de faire par crainte de devoir participer à la guerre qui sévissait au Kosovo et de devoir tuer des hommes et, qu’à l’heure actuelle, il risquerait d’être sanctionné pénalement et maltraité en raison de son insoumission, cette sanction risquant d’être d’autant plus grave pour une personne appartenant à la minorité musulmane du Monténégro. Enfin, ils ajoutent encore avoir été insultés en raison de leur religion et, plus particulièrement, d’avoir été traités de « turcs » et invités à quitter le pays.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts DURAKOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

3 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux DURAKOVIC-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. et Mme DURAKOVIC-…, lors de leurs auditions respectives en date du 1er septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse, et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, l’insoumission, principal motif de persécution allégué, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur DURAKOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines 4 prononcées et de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Ensuite, concernant la situation des demandeurs au Monténégro en raison de leur religion musulmane, il est vrai que la situation générale des musulmans au Monténégro est difficile, mais elle n’est cependant pas telle que tout musulman du Monténégro, du seul fait de sa religion, aurait raison de craindre une persécution de la part des autorités en place, et, en l’espèce, il ne ressort pas des éléments du dossier que les demandeurs, considérés individuellement et concrètement, risquent de subir des traitements discriminatoires en raison de leur religion musulmane ou que de tels traitements leur auraient été infligés dans le passé, de sorte que la crainte y afférente qu’ils ont exprimée s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève. Dans ce contexte, le tribunal relève que le fait unique dont les demandeurs font état, à savoir leurs allégations vagues en rapport avec des insultes par des personnes non autrement précisées est insuffisant à lui-seul pour justifier que leur vie serait devenue insupportable dans leur pays d’origine.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 25 juillet 2001, par le vice-président, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12716
Date de la décision : 25/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-25;12716 ?

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