Tribunal administratif N° 12443 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 octobre 2000 Audience publique du 25 juillet 2001
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Recours formé par Monsieur … MATIAS RIBEIRO, … contre une décision du ministre des Transports en matière de permis de conduire
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JUGEMENT
Vu la requête déposée le 26 octobre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Steve COLLART, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MATIAS RIBEIRO, …, de nationalité portugaise, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l'annulation d’une décision du ministre des Transports du 22 août 2000 portant retrait de son permis de conduire un véhicule automoteur et un cycle à moteur auxiliaire et des permis internationaux qui lui avaient été délivrés;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2001;
Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Steve COLLART et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.
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Par lettre datée au 15 janvier 2000, Monsieur … MATIAS RIBEIRO, préqualifié, demeurant à cette époque au Centre Pénitentiaire de Schrassig, introduisit auprès du ministre des Transports, dénommé ci-après le « ministre », une demande en obtention d’un « nouveau » permis de conduire, en exposant qu’il aurait perdu le sien qui aurait par ailleurs été confisqué par le prédit ministre pour conduite « en état de toxicomanie ».
Par transmis daté du 22 février 2000, le ministre a saisi le procureur général d’Etat pour que ce dernier, conformément à l’article 2 paragraphe 1er sous 1) de la loi du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, lui fasse parvenir un avis au sujet de cette demande, et le cas échéant sur le retrait administratif éventuel du permis de conduire.
2 Il ressort d’un rapport du commissariat de police de Limpertsberg du 8 mars 2000, que « l’intéressé n’habite plus à l’adresse indiquée 88, Avenue Pasteur. Il a été rayé d’office de cette adresse en date du 15 novembre 1997. Une nouvelle adresse ne nous est pas connue ».
Sur base de ce rapport ainsi que sur base d’un extrait du casier judiciaire, renseignant sur un nombre impressionnant d’infractions aux règles de la circulation routière, sur 3 condamnations pénales subies pour infraction à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie, ainsi que pour vol à l’étalage intervenues respectivement les 28 avril 1997, 10 décembre 1998 et 1er juillet 1999, le procureur général d’Etat a soumis en date du 20 mars 2000 un avis négatif au ministre.
Suivant lettre du 4 avril 2000, Monsieur MATIAS RIBEIRO aurait été convoqué pour le 23 mai 2000 devant la commission spéciale des permis de conduire pour être entendu dans ses moyens et explications.
Monsieur MATIAS RIBEIRO ne s’étant pas présenté à la date précitée, sans se faire excuser, il aurait été reconvoqué par lettre du 26 mai 2000 pour le 3 juillet 2000, tel que cela ressort d’un courrier versé au tribunal.
Le 3 juillet 2000, la commission spéciale des permis de conduire, en l’absence de Monsieur MATIAS RIBEIRO, statua par défaut à son égard, et, sur base des éléments du dossier et en relevant entre autres que l’intéressé n’a présenté ni la preuve d’un travail rémunéré ni la preuve de son abstinence en matière de drogues, proposa à l’unanimité de procéder au retrait administratif du permis de conduire de Monsieur MATIAS RIBEIRO.
Par arrêté ministériel du 22 août 2000, le ministre retira le permis de conduire un véhicule automoteur et un cycle à moteur auxiliaire de Monsieur MATIAS RIBEIRO et les permis internationaux qui lui avaient été délivrés. L'arrêté en question retient notamment que Monsieur MATIAS RIBEIRO « a été convoqué les 23 mai 2000 et 3 juillet 2000 pour être entendu dans ses explications et moyens de défense par la Commission spéciale prévue à l’article 90 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 précité, convocations auxquelles il n’a pas donné suite ; que l’intéressé est ainsi censé avoir renoncé à faire valoir ses explications et moyens de défense et qu’il y a lieu de statuer par défaut » et qu’il « présente des signes manifestes d’intoxication ».
Par requête déposée en date du 26 octobre 2000 au greffe du tribunal administratif, Monsieur MATIAS RIBEIRO a introduit un recours tendant à la réformation sinon à l'annulation de l'arrêté ministériel précité du 22 août 2000.
Aucune disposition légale ne prévoyant en matière de retrait du permis de conduire un recours de pleine juridiction, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le recours subsidiaire en annulation est par contre recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il convient en premier lieu d’examiner le moyen du demandeur, bien que soulevé seulement en ordre subsidiaire, tenant à la régularité formelle de la décision litigieuse, moyen consistant à soutenir qu’il n’aurait pas été convoqué avant la prise de la décision ministérielle, 3 devant la commission spéciale des permis de conduire tel que requis par l’article 90 du règlement grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toues les voies publiques, de sorte que la décision litigieuse devrait encourir l’annulation pour violation de ses droits de la défense.
Le délégué du gouvernement soutient que la procédure telle que prévue à l’article 90 précité aurait été respectée, étant donné qu’il ressortirait du dossier que l’intéressé aurait été convoqué en date des 4 avril et 26 mai 2000 et que la convocation du 4 avril 2000 aurait été remise en mains propres à l’intéressé en date du 10 mai 2000.
L’article 2 de la loi précitée du 14 février 1955 prévoit que le ministre ou son délégué peuvent retirer le permis de conduire notamment lorsque l’intéressé « 1) .. présente des signes manifestes d’alcoolisme ou d’autres intoxications ».
L’article 90 du règlement grand-ducal précité du 23 novembre 1955 exige que « les mesures administratives à prendre à l’égard de requérants ou de titulaires de permis de conduire sous les conditions prévues sous 1), 2), 3), 5) et 6) de l’article 2 modifié de la loi du 14 février 1955 exigent au préalable une enquête judiciaire avisée par le procureur général de l’Etat ainsi qu’un avis motivé de la commission spéciale des permis de conduire. Cette commission est instituée par le ministre des Transports ; elle est composée pour chaque affaire de trois membres et elle a pour mission d’instruire le dossier, d’entendre l’intéressé dans ses explications et moyens de défense, de dresser un procès-verbal et d’émettre un avis motivé pris à la majorité des voix. A ces fins, le ministre des Transports adresse quinze jours au moins avant la séance de la commission une convocation par lettre recommandée à l’intéressé, l’invitant à s’y présenter soit seul, soit assisté par un avocat. Si l’intéressé ne comparaît pas devant la commission spéciale malgré deux convocations par lettre recommandée, la procédure déterminée ci-dessus est faite par défaut (…) ».
En l’espèce, le délégué du gouvernement soutient que le demandeur aurait été convoqué devant ladite commission par lettre datée du 4 avril 2000. Il ressort de la photocopie de la lettre en question, versée parmi les pièces du dossier, qu’il y est notamment indiqué « lettre recommandée » et l’adresse suivante: « L-2310 Luxembourg, 88, avenue Pasteur ». Il ressort encore d’un procès-verbal de police que le demandeur n’a pas pu être joint à cette adresse et qu’il a été rayé d’office de celle-ci en date du 15 novembre 1997. Il se dégage encore de la convocation précitée qu’une « copie de la présente a été remise à l’intéressé le 10 mai 2000 actuellement au centre de Givenich », cette mention manuscrite étant suivie d’une paraphe d’une personne non autrement identifiée.
Le représentant étatique expose que, comme le demandeur ne s’est pas présenté à la date fixée par la commission pour être entendu en ses explications, il aurait été convoqué une 2ième fois par lettre recommandée datée du 26 mai 2000, une photocopie de cette lettre a été versée au tribunal sur laquelle figure l’adresse suivante : « L-4382 Ehlerange, 62, rue de Sanem ».
A l’audience fixée pour les plaidoiries, le tribunal a demandé des renseignements complémentaires quant à l’adresse indiquée sur la 2ième convocation, étant donné que le demandeur a déclaré n’avoir jamais demeuré à une telle adresse et qu’il conteste avoir reçu non seulement la première mais également la deuxième convocation. Le tribunal a en outre demandé des explications complémentaires quant à la mention figurant sur la 1ière convocation 4 suivant laquelle celle-ci aurait été remise en mains propres à l’intéressé et quant à l’identité de la personne ayant paraphé la prédite mention.
Le représentant étatique n’a pas pu fournir des éléments de réponse par rapport aux questions posées par le tribunal.
Force est de relever qu’en présence des contestations de la part du demandeur quant à la réception des deux prétendues convocations des 4 avril et 26 mai 2000, il appartient au ministre de prouver que la notification des deux convocations a été valablement faite. Bien qu’il devrait s’agir de deux lettres recommandées, aucun récépissé attestant l’envoi des prédites convocations n’a été remis au tribunal. Le fait que sur la 1ière convocation figure la mention qu’elle aurait été remise en mains propres de l’intéressé ne saurait être retenue pour établir la réception par le demandeur de ladite lettre, étant donné que l’auteur de cette mention n’a pas pu être identifié, de sorte qu’il n’est pas possible de vérifier si la convocation a effectivement été remise à l’intéressé. En outre, il n’a pas pu être établi que l’adresse figurant sur la 2ième convocation était bien celle du demandeur et que le demandeur a habité ou a été inscrite à cette adresse, de sorte qu’il est établi qu’il n’a pas pu être valablement touché par cette convocation.
Il se dégage de ce qui précède que l’Etat n’a pas établi que le demandeur a été convoqué devant la commission spéciale des permis de conduire. Comme toutefois le demandeur dispose, en vertu de l’article 90 du règlement grand-ducal précité du 23 novembre 1955 du droit d’être entendu par la prédite commission, préalablement à toute décision de retrait administratif de son permis de conduire, et comme, en l’espèce, il n’est pas établi qu’il a pu exercer ses droits de la défense, faute d’avoir été convoqué régulièrement, la procédure d’instruction administrative est viciée, ce vice étant de nature à entraîner la nullité de la décision administrative du 22 août 2000 prise sur base et à la suite de la procédure en question.
Il suit des considérations qui précèdent que la décision ministérielle du 22 août 2000 est à annuler pour violation de la loi.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
déclare le recours en annulation recevable et fondé ;
partant annule la décision du ministre des Transports du 22 août 2000 et renvoie l’affaire devant ledit ministre ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par:
5 M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 25 juillet 2001, par le vice-président, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Schockweiler