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25/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12033

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 juillet 2001, 12033


Tribunal administratif Numéro 12033 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 juin 2000 Audience publique du 25 juillet 2001 Recours formé par les époux … et … FISCHER-JEITZ, … contre deux bulletins d’impôt émis par le bureau d'imposition … en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12033 du rôle, déposée le 2 juin 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Fernand ENTRINGER,

avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ...

Tribunal administratif Numéro 12033 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 juin 2000 Audience publique du 25 juillet 2001 Recours formé par les époux … et … FISCHER-JEITZ, … contre deux bulletins d’impôt émis par le bureau d'imposition … en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12033 du rôle, déposée le 2 juin 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Fernand ENTRINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … FISCHER, …, et de son épouse, Madame … JEITZ, …, demeurant ensemble à L-… tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision implicite de rejet suite au silence observé par le directeur de l’administration des Contributions directes face à leur réclamation contre les bulletins de l'impôt sur le revenu pour les années 1990 et 1991;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 novembre 2000;

Vu la rupture du délibéré prononcée le 28 mars 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins critiqués;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Fernand ENTRINGER et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives aux audiences publiques des 31 janvier et 27 juin 2001;

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Par acte passé pardevant Maître …, à l’époque notaire de résidence à …, du 27 janvier 1988, Monsieur … FISCHER et Madame … JEITZ, préqualifiés, constituèrent la société à responsabilité limitée XY, établie et ayant son siège à … au capital social de 1.250.000 LUF, souscrit et apporté à concurrence de 950.000 LUF par Monsieur FISCHER et à concurrence de 300.000 LUF par Madame JEITZ, la gérance de cette société ayant été confiée à Monsieur FISCHER.

Monsieur FISCHER et Madame JEITZ s’engagèrent dans les liens du mariage en date du 15 septembre 1990.

Par bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1990 à l’adresse de Monsieur FISCHER, émis le 22 décembre 1994, le bureau d'imposition Clervaux qualifia le montant de … LUF de « dividendes distribués ne profitant pas de la Loi Rau » et le montant de … LUF de distributions cachées de bénéfices pour retenir dans le chef de Monsieur FISCHER un revenu net de capitaux mobiliers à hauteur de … LUF.

Par bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1990 à l’adresse de Madame JEITZ, émis à la même date, le bureau d’imposition Clervaux retint dans le chef de cette dernière un revenu net de capitaux mobiliers à hauteur de … LUF, montant composé de dividendes à concurrence de … LUF et de distributions cachées de bénéfices de … LUF.

Suivant bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1991 à l’adresse des époux FISCHER-JEITZ, imposables collectivement à partir de cette année d’imposition, également émis à la même date, le même bureau d’imposition leur imputa un revenu net de capitaux mobiliers de … LUF, se décomposant en des dividendes imposables à hauteur de … LUF et en des distributions cachées de bénéfice de … LUF.

Les époux FISCHER-JEITZ réclamèrent à l’encontre des trois bulletins d’impôt précités par courrier de leur fiduciaire du 22 février 1995 dans lequel ils firent valoir que les dividendes mis en compte, provenant intégralement de la sociétéXY, devraient être exemptés de l'impôt sur le revenu.

Cette réclamation étant restée sans réponse de la part du directeur de l’administration des Contributions directes, les époux FISCHER-JEITZ ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision implicite de rejet suite au silence observé par le directeur face à leur prédite réclamation.

Ainsi que le délégué du Gouvernement le précise à juste titre, l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif n’admet l’introduction d’un recours devant le tribunal administratif, en cas de silence de plus de six mois du directeur suite à une réclamation, que contre « la décision qui fait l’objet de la réclamation », en l’espèce les trois bulletins d’impôt prévisés du 22 décembre 1994, et non pas contre une décision implicite de rejet du directeur (cf. doc. parl. 3940A2, amendements adoptés par la commission des institutions et de la révision constitutionnelle, p. 5, ad (3) 3.:

« Par opposition au domaine administratif, le silence de l’administration n’est pas à considérer comme le rejet de la demande. .. Il en résulte également que dans ce cas le recours est dirigé, non pas contre une décision implicite de rejet mais contre la déclaration initiale contre laquelle la réclamation avait été interjetée »). Il s’ensuit que le recours sous discussion, visant concrètement les bulletins de l'impôt sur le revenu pour les années 1990 et 1991, versé comme pièce par les époux FISCHER-JEITZ, doit être considéré comme étant dirigé directement contre ces mêmes bulletins d’impôt.

Au vœu des dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts, communément appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 3. de la loi précitée du 7 novembre 1996, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé contre un bulletin de l'impôt sur le revenu en cas de silence du directeur de plus de six mois suite à une réclamation dûment introduite par le contribuable. Il s’ensuit 2 que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal, lequel est encore recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi dans la mesure où il entend déférer au tribunal les trois bulletins litigieux du 22 décembre 1994. Le recours subsidiaire en annulation est dès lors irrecevable.

La perception de l’impôt se divise en trois phases, à savoir la phase d’assiette, la phase de liquidation de l’impôt et la phase de recouvrement de l’impôt (cf. Jean OLINGER, Le droit fiscal, Etudes Fiscales nos 93-95, p. 63). Un bulletin de l’impôt sur le revenu, dans la mesure où il comporte les seules détermination du revenu imposable et fixation de la cote d’impôt sur le revenu y relative, ne porte que sur les deux premières phases. Les questions relatives respectivement à l’obligation du contribuable de régler un solde d’impôt ou son droit de se voir restituer un impôt déjà payé relèvent par contre de la phase de recouvrement.

Les demandeurs sollicitent à travers le dispositif de leur requête la restitution des impôts payés indûment avec les intérêts légaux à partir du paiement jusqu’à solde.

Dans le cadre de l’impôt sur le revenu et de la réformation d’un bulletin par une instance de recours, le contribuable tire à la fois de l’article 154 LIR et du paragraphe 151 AO un droit au remboursement du trop-payé d’impôt sur le revenu. Dès lors que l’administration n’entend pas exécuter le remboursement dans la mesure voulue par le contribuable, elle doit, conformément au paragraphe 150 (2) AO, matérialiser son refus par un bulletin qui constitue ainsi une décision autonome propre à la phase de recouvrement de l’impôt et soumise aux voies de recours prévues par le paragraphe 235, n° 5 AO.

Une décision du bureau d’imposition prise sur base du paragraphe 251 AO concernant l’effet suspensif à conférer à une réclamation est étrangère à la restitution d’impôts payés, même si elle a pareillement trait à la phase de recouvrement, et constitue par essence une décision autonome.

En l’espèce, le tribunal est saisi des trois bulletins de l’impôt sur le revenu se confinant à déterminer le revenu imposable dans le chef des demandeurs au titre des années 1990 et 1991 et à fixer les cotes d’impôt sur le revenu afférentes dont ils sont redevables, mais ne comportant aucun élément décisionnel quant à une restitution d’impôt. En l’absence d’une décision de l’administration, préalablement contestée devant le directeur de l’administration des Contributions directes, sur le remboursement d’un trop-perçu d’impôt sur le revenu aux demandeurs et faute de disposition légale investissant le tribunal d’un pouvoir spontané pour ordonner un remboursement d’impôts, le tribunal, bien qu’étant en principe compétent pour connaître de ces contestations, ne saurait connaître à ce stade de la demande en question laquelle doit dès lors être déclarée irrecevable.

Les demandeur se prévalent en premier lieu du non-respect par le bureau d'imposition du paragraphe 205 (3) AO en ce qu’il aurait d’office changé leurs déclarations fiscales sans les en avertir préalablement en vue de leur conférer une possibilité d’y prendre position.

Le paragraphe 205 (3) AO dispose que : « Wenn von der Steurerklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äusserung mitzuteilen ».

Cette disposition met en substance à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au sujet desquels il décide de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration.

3 Le paragraphe 205 (3) AO constitue une application du principe général du droit pour le contribuable d’être entendu par le bureau d’imposition (« Anspruch auf Gehör »), tel qu’il résulte du paragraphe 204 (1) AO. L’application de ce principe général a pour conséquence que sans une consultation appropriée du contribuable, il n’est pas possible d’asseoir correctement l’obligation fiscale de ce dernier compte tenu de sa situation patrimoniale.

A cet effet le contribuable est appelé d’abord à indiquer les éléments et données qui lui sont demandés dans le cadre de la déclaration d’impôt, ainsi que, par ailleurs, dans le cadre de son devoir de collaboration, tel que défini au paragraphe 171 AO, les informations lui réclamées le cas échéant en vue d’établir les bases d’imposition.

Cette obligation de collaboration du contribuable dans le cadre de l’établissement des bases d’imposition de son revenu a comme corollaire son droit d’être entendu avant la prise d’une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers sa déclaration, lorsque cette « wesentliche Abweichung » en sa défaveur provient d’une divergence au sujet des informations et documents par lui communiqués au bureau d’imposition à travers sa déclaration d’impôt ou encore dans le cadre de son devoir de collaboration, suite à une demande afférente du bureau d’imposition.

Il est constant que dans le cadre des critiques élevées à travers leur recours contentieux, les demandeurs ne contestent pas les ajouts de distributions cachées au niveau de leurs revenus de capitaux mobiliers des deux années d’imposition en cause. De plus, force est de constater que la situation de fait à la base de l’imposition litigieuse, à savoir la distribution d’un montant brut par la société XY s’élevant pour l’exercice fiscal 1990 à … LUF et pour l’exercice 1991 à … LUF fut acceptée dans toute sa teneur par le bureau d’imposition. La divergence mise en avant par les demandeurs, tant à travers leur réclamation qu’à travers le recours contentieux sous analyse, ne provient d’aucun ajout quelconque d’éléments ou de données par rapport à ceux produits par les contribuables à travers leurs déclarations d’impôt, mais s’analyse en substance purement en une question d’application de la loi qui relève de la compétence du bureau d’imposition, seul appelé à apprécier à ce stade de la procédure d’imposition, si les conditions légales pour une exemption d’impôt selon l’article 4 de la loi modifiée du 27 avril 1984 visant à favoriser les investissements productifs des entreprises et la création d’emplois au moyen de la promotion de l’épargne mobilière, communément appelée « loi Rau » étaient remplies.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le premier moyen des demandeurs tendant à l’annulation des bulletins déférés pour cause de violation du paragraphe 205 (3) AO n’est pas fondé.

Les demandeurs renvoient à la jurisprudence existante en la matière pour réclamer l’exonération des montants de dividendes distribués leur imputés par le bureau d'imposition au titre des deux années d’imposition en cause.

Il est constant, à travers les pièces versées au dossier, que le bureau d’imposition a refusé l’exonération, en vertu de la loi Rau, de l’intégralité des parts de bénéfice imputées à ce titre aux demandeurs pour les années 1990 et 1991.

L’article 4 (1) de la loi Rau précitée du 27 avril 1984 dispose que « les dividendes et parts de bénéfice alloués en raison des titres représentatifs d’apports en numéraire sont exempts de l’impôt sur le revenu, lorsque les titres sont détenus par le contribuable à la fin de l’année de leur acquisition. Toutefois, s’ils continuent à être détenus à la fin d’une ou de plusieurs années subséquentes, l’exemption se prolonge pendant cinq années d’imposition ».

4 Bien que l’article 4 (1) en question ait été remplacé par la loi du 7 juin 1989 portant prorogation et modification de la loi prédite du 27 avril 1984, entrée en vigueur le 1er janvier 1989, il n’en reste pas moins qu’en raison du principe de non rétroactivité, les apports en numéraire effectués pendant les années d’imposition 1984 à 1988 ont continué à engendrer de possibles exemptions conformément à l’article 4 (1) de la loi du 27 avril 1984 prérelatée pendant cinq années d’imposition suivant celle durant laquelle les apports en question ont été faits.

Concernant plus particulièrement les apports en numéraire effectués en l’espèce en 1988, des exemptions ont dès lors pu être demandées pendant les années d’imposition 1990 et 1991, de sorte que les demandeurs ont pu utilement solliciter ratione temporis l’exemption en vertu de l’article 4 (1) de ladite loi du 27 avril 1984 pour les mêmes années relativement auxquelles les bulletins d’imposition sont actuellement déférés au fond.

Etant donné qu’il ressort des éléments en cause que la société XY a été constituée au cours de l’année 1988, l’ensemble des apports souscrits et libérés en numéraire à raison de la constitution de cette société doit être qualifié d’acquisition de titres représentatifs d’apports en numéraire au sens de l’article 2 (2) de la loi Rau sans qu’il n’y ait lieu de procéder à une ventilation quelconque. Il s’ensuit qu’en l’absence de contestation quant à la réunion de toutes les conditions prévues par la loi Rau et plus particulièrement quant à la libération du capital de ladite société lors de sa constitution, l’ensemble des parts de bénéfices alloués par cette société doit être considéré comme ayant été alloués en raison des titres représentatifs d’apports en numéraire et bénéficier partant de l’exemption de l'impôt sur le revenu inscrite à l’article 4 de ladite loi au titre des années d’imposition 1990 et 1991. Il est par ailleurs constant que les distributions cachées de bénéfices ne peuvent être qualifiées de parts de bénéfices alloués en raison des titres représentatifs d’apports en numéraire au sens de l’article 4 (1) de la loi Rau.

Il se dégage des développements qui précèdent que le recours est fondé et que les trois bulletins déférés encourent la réformation en ce sens que les montants de dividendes distribués par la société XY de  … LUF imputé à Monsieur FISCHER au titre de l’année d’imposition 1990  … LUF imputé à Madame JEITZ au titre de l’année d’imposition 1990  … LUF imputés aux époux FISCHER-JEITZ au titre de l’année d’imposition 1991 doivent être exemptés de l'impôt sur le revenu.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme dans la mesure où il est dirigé contre les trois bulletins d’impôt critiqués, le déclare irrecevable pour le surplus, de même que le recours en annulation, 5 au fond, déclare le recours justifié, partant, par réformation des trois bulletins critiqués, dit que les montants de dividendes distribués par la société XY de  … LUF imputé à Monsieur FISCHER au titre de l’année d’imposition 1990  … LUF imputé à Madame JEITZ au titre de l’année d’imposition 1990  … LUF imputés aux époux FISCHER-JEITZ au titre de l’année d’imposition 1991 sont à exempter de l'impôt sur le revenu, renvoie l’affaire au directeur de l’administration des Contributions directes en vue de son transfert au bureau d'imposition compétent aux fins d’exécution, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 juillet 2001 par:

M. DELAPORTE, premier vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. DELAPORTE 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12033
Date de la décision : 25/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-25;12033 ?

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