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18/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12986

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 juillet 2001, 12986


Numéro 12986 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 février 2001 Audience publique du 18 juillet 2001 Recours formé par Les époux … SAHITI et … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12986 du rôle, déposée le 28 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc THEWES, avocat à la C

our, assisté de Maître Thierry POULIQUEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre...

Numéro 12986 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 février 2001 Audience publique du 18 juillet 2001 Recours formé par Les époux … SAHITI et … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12986 du rôle, déposée le 28 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, assisté de Maître Thierry POULIQUEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SAHITI, né le … à Nedakovac (Kosovo), et de son épouse, Madame … …, née le … à Madjera (Kosovo), tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-1130 Luxembourg, 12, rue d’Anvers, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 27 novembre 2000 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 avril 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2001 par Maître Marc THEWES pour compte des époux SAHITI-…;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Thierry POULIQUEN et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 juin 2001.

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Le 3 novembre 1998, Monsieur … SAHITI et son épouse, Madame … …, préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux SAHITI-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité. Monsieur SAHITI fit l’objet d’une audition complémentaire par un agent du ministère de la Justice quant à son itinéraire pour venir au Luxembourg en date du 3 mars 1999.

Les époux SAHITI-… furent entendus séparément en date du 1er septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux SAHITI-…, par lettre du 27 novembre 2000, notifiée en date du 29 janvier 2001, que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet de leur demande d’asile, les époux SAHITI-… ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 28 février 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

Les demandeurs font reprocher en premier lieu à la décision critiquée que son auteur serait inconnu alors qu’elle a été signée d’une manière illisible « pour le ministre de la Justice » suivi de la mention « conseiller de direction première classe », sans qu’il lui aurait été possible de déterminer l’identité du signataire et de vérifier la légalité de la décision critiquée à cet égard. Ils se prévalent encore de l’impossibilité de vérifier l’existence effective d’une délégation de pouvoir ou de signature dans le chef du fonctionnaire signataire.

Un administré peut avoir intérêt à vérifier l’identité de la personne ayant signé la décision lui adressée, notamment afin d’être en mesure d’examiner si la personne en question avait pouvoir de ce faire, et en tant que personne justifiant d’un intérêt légitime pour prendre connaissance d’une éventuelle délégation de signature émise en faveur du signataire de la décision en question, il est autorisé, sur base de l’article 3, alinéa 3 de l’ordonnance grand-

ducale du 30 janvier 1970 concernant les délégations de signature par le Gouvernement, à prendre inspection de l’éventuelle délégation de signature auprès des services du ministère d’Etat.

D’un autre côté, un administré qui conteste la qualité du signataire d’un acte administratif doit spécifier en quoi les dispositions de l’ordonnance grand-ducale précitée du 31 janvier 1970 n’ont pas été respectées. Il lui appartient, le cas échéant, de s’enquérir au ministère d’Etat si la signature apposée sur la décision attaquée est conforme au spécimen de 2 la signature du fonctionnaire délégué, conformément à l’article 3 de l’ordonnance précitée (trib. adm. 27 février 1997, n° 9605 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Actes administratifs, V.

Divers, n° 39, p. 23 et autres références y citées).

En l’espèce, force est de constater qu’alors même que l’indication du nom du signataire ne figure pas sur l’expédition de la décision critiquée, la mention « conseiller de direction première classe » y apposée, entraînant nécessairement que seul un fonctionnaire auprès du ministère de la Justice revêtant le grade ainsi défini peut être l’auteur de la signature, restreint le cercle des signataires possibles dans une mesure suffisante pour permettre au demandeur ou à son mandataire de s’enquérir auprès du ministère d’Etat sur l’identité du fonctionnaire signataire, sur l’existence d’une délégation en sa faveur et sur la conformité au spécimen de sa signature figurant en bas de la décision critiquée du 22 septembre 2000.

En outre, il y a lieu de relever que la simple omission des nom et prénom du signataire d’une décision administrative, même au cas où cette indication figure dans la formule de signature telle qu’inscrite dans la délégation de signature afférente, ne constitue pas l’omission d’une formalité substantielle dont pourrait découler la nullité, voire l’inexistence de la décision ainsi signée par le titulaire de la délégation, à condition que le signataire en question dispose effectivement d’une délégation de signature pour prendre le type de décision en cause (trib. adm. 28 mai 2001, Kocan, n° du 12239, non encore publié).

Dans la mesure où le demandeur n’a pas contesté en l’espèce l’existence même d’une délégation en faveur du fonctionnaire signataire de la décision critiquée du 22 septembre 2000, le moyen est partant à rejeter.

Quant au fond, les demandeurs exposent être originaires du Kosovo, faire partie de la communauté religieuse musulmane et craindre des persécutions de la part de leurs voisins serbes qui auraient déjà « mis à sac et brûlé leur maison ». Apprenant de façon répétée par les médias que les Serbes « avides de vengeance continuent leurs exactions et s’en prennent toujours aux musulmans » et craignant de voir les Serbes brûler à nouveau leur maison, ils font valoir ne plus avoir d’endroit où retourner et d’être forcés de vivre dans la rue et « à la merci des Serbes » en cas de retour. Ils ajoutent avoir déjà subi quotidiennement les visites de personnes qui leur étaient mal intentionnées et qu’ils seraient encore actuellement recherchés par ces dernières pour être « punis d’avoir quitté leur pays ».

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant 3 compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il ressort en effet des auditions respectives des demandeurs qu’ils se fondent en premier lieu sur une persécution de la part de la police serbe qui se serait présentée à leur domicile pour emmener Monsieur SAHITI la veille de sa fuite, parce qu’il aurait transporté durant un mois de l’aide et de la nourriture aux habitants du village de Drenica où la guerre aurait commencé à ce moment. N’ayant pas été présent au domicile lors du passage de la police et averti par sa famille, Monsieur SAHITI aurait pris immédiatement la fuite.

A cet égard, force est de relever que les forces militaires et de police serbes ont quitté le territoire du Kosovo et qu’une force armée et une administration civile internationales y sont en place, de manière qu’un risque de persécution émanant de la part de la police serbe ne peut plus être admis à l’heure actuelle.

D’autre part, les demandeurs se prévalent d’une crainte de persécutions émanant de la population serbe avoisinante. Force est de constater que la persécution ainsi alléguée provient non pas d’autorités étatiques ou locales, mais d’un groupe de la population en place. Or, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s ; Cour adm. 30 janvier 2001, Hajdarpasic, n° 12483C, non encore publié).

4 La reconnaissance de l’existence d’une crainte justifiée de persécutions suppose dès lors la preuve concrète d’un défaut caractérisé d’une telle protection de la part des forces armées et administration civile internationales actuellement en place au Kosovo. Les demandeurs se prévalent certes d’un acte de la part des Serbes, à savoir la destruction de leur maison, mais restent en défaut d’établir, voire d’alléguer qu’ils ont recherché la protection de la part des forces internationales, ainsi que, le cas échéant, un défaut caractérisé de protection de la part de ces dernières.

Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle il est toujours difficile pour un membre de la communauté musulmane du Kosovo de se réinstaller dans une partie du Kosovo à majorité serbe, les demandeurs ne précisent pas des raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de s’installer dans une autre partie du Kosovo et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans leur pays d’origine. Monsieur SAHITI a en effet expressément déclaré lors de son audition du 1er septembre 1999 : « Je n’ai pas peur à cause de ma religion, mais j’ai peur parce que je suis albanais ».

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 juillet 2001 par:

Mme LENERT, premier juge, Mme LAMESCH, juge M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12986
Date de la décision : 18/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-18;12986 ?

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