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18/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12971

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 juillet 2001, 12971


Tribunal administratif N° 12971 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 février 2001 Audience publique du 18 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … CAKA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12971 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 février 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau

de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CAKA, né le … à Rubiq (Albanie), ayant de ...

Tribunal administratif N° 12971 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 février 2001 Audience publique du 18 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … CAKA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12971 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 février 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CAKA, né le … à Rubiq (Albanie), ayant de fait élu domicile auprès de la Fondation Caritas, sise à L-1017 Luxembourg, 29, rue Michel Welter, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 décembre 2000, notifiée en date du même jour, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre en date du 22 janvier 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2001 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2001 pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Katia AIDARA, en remplacement de Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 juillet 2001.

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Monsieur … CAKA, préqualifié, est arrivé au Luxembourg au courant du mois d’octobre 2000 et fut placé au courant du mois de novembre 2000 au Centre Pénitentiaire de Schrassig dans le cadre d’une mesure de mise à disposition du Gouvernement. Il s’adressa par écrit au ministre de la Justice pour solliciter le statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur CAKA fut entendu en date du 16 novembre 2000 par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur CAKA fut en outre entendu en date du 1er décembre 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 4 novembre 2000, notifiée en date du même jour, le ministre de la Justice informa Monsieur CAKA de ce que sa demande avait été rejetée aux motifs que les problèmes par lui allégués relèveraient plutôt du domaine de la criminalité de droit commun et que les familles des prisonniers de l’époque où son père aurait été gardien de prison ne sauraient être considérées comme agent de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le ministre relève en outre que la police albanaise aurait connu des changements importants depuis les deux dernières années en ce sens qu’elle serait épaulée par des policiers en provenance de l’Union Européenne et de l’OSCE et que la neutralité politique serait devenue un important critère d’embauche auprès de la police albanaise, pour conclure que Monsieur CAKA n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Par lettre datant du 2 janvier 2001, Monsieur CAKA a introduit un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 4 décembre 2000. Ledit recours gracieux s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 22 janvier 2001, il a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 4 décembre 2000 et 22 janvier 2001 par requête déposée en date du 26 février 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire d’Albanie et de confession musulmane. A l’appui de sa demande, il fait valoir que l’activisme politique de son père, ainsi que le comportement de ce dernier en tant que gardien de prison au service de l’Etat albanais auraient développé de très forts sentiments de vengeance, de sorte qu’en cas de retour en Albanie il risquerait de devenir personnellement victime d’actes de vengeance de la part d’anciens prisonniers, qui auraient été sous la garde de son père, sinon du fait d’un collègue de travail de son père lequel chercherait aussi vengeance. Le demandeur relève plus particulièrement que son cousin aurait été assassiné dans un tel contexte de vengeance trouvant sa cause dans l’interprétation qui aurait été faite du comportement de son père. Il relève que les circonstances de cet assassinat seraient restées non éclaircies faute d’une quelconque volonté des autorités compétentes de prospérer en ce sens. Concernant plus particulièrement les activités de son père, il relève que jusqu’en 1990, celui-ci aurait été secrétaire du parti communiste d’Enver Hoxha pour la région de Mirëdita pendant environ 25 à 40 ans et que jusqu’en 1986, il aurait été gardien de prison à Burrel et à Spac. Le demandeur fait valoir que 2 le risque d’être exposé à des actes de vengeance serait actuel dans son chef, étant donné qu’avant son départ pour le Luxembourg lui et sa famille auraient fait l’objet de menaces de la part des anciens prisonniers et de leurs fils. Il insiste encore sur le fait qu’à l’heure actuelle il ne trouverait pas de protection auprès des autorités en place et ce pour des considérations politiques lesquelles sembleraient également motiver l’attitude vengeresse de ses agresseurs.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur CAKA et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur CAKA lors de ses auditions en date du 1er décembre 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que le risque de persécution allégué par le demandeur émane en substance de certains groupes de la population albanaise, de sorte que ledit risque de persécution ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées 3 ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p.

113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre point que les autorités en place seraient incapables d’assurer un niveau de protection suffisant. En effet, même à admettre que la motivation des personnes privées ayant commis les actes de persécution allégués est susceptible d’avoir trait à l’activité professionnelle à conotation politique du père du demandeur à l’époque où celui-ci était gardien de prison, il n’en demeure cependant pas moins que ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié politique, mais que l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

C’est encore à juste titre que le représentant étatique a relevé que l’assassinat du cousin du demandeur invoqué à l’appui de la demande d’asile sous examen est à considérer plutôt comme un acte de vengeance personnelle par rapport au père dudit cousin, lequel s’inscrit dans un cadre de criminalité de droit commun pour remonter à une altercation entre le père du demandeur et son chef lequel se serait fait licencier par l’oncle du demandeur.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 juillet 2001 par:

M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge 4 en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Campill 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12971
Date de la décision : 18/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-18;12971 ?

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