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18/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12961

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 juillet 2001, 12961


Tribunal administratif N° 12961 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2001 Audience publique du 18 juillet 2001

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Recours formé par les époux … REDZEPAGIC et … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12961 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2001 par Maître François MOYSE, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … REDZEPAGIC, né le … à Vit...

Tribunal administratif N° 12961 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2001 Audience publique du 18 juillet 2001

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Recours formé par les époux … REDZEPAGIC et … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12961 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2001 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … REDZEPAGIC, né le … à Vitromirica (Kosovo/Yougoslavie) et … …, née le … à Rozaje (Kosovo/Yougoslavie), tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 décembre 2000, notifiée le 24 janvier 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2001 par Maître François MOYSE pour compte des époux REDZEPAGIC-… ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître François MOYSE, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 juin 2001.

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Le 14 juin 1999, les époux … REDZEPAGIC et … …, préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 En date du même jour, les époux REDZEPAGIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux REDZEPAGIC-… furent en outre entendus séparément le 7 octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 21 décembre 2000, notifiée le 24 janvier 2001, le ministre de la Justice informa les époux REDZEPAGIC-… de ce que leur demande avait été rejetée aux motifs qu’il ressortirait de leurs déclarations qu’ils ont fait état d’un sentiment général d’insécurité lequel ne constituerait pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, que la crainte du fait d’avoir simplement travaillé pour la police serbe ne serait pas non plus une crainte de persécution au sens de ladite Convention et que par ailleurs la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié.

Par requête déposée en date du 23 février 2001, les époux REDZEPAGIC-… ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 21 décembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Au fond, les demandeurs font exposer que Monsieur REDZEPAGIC aurait été policier sous commandement serbe dans la ville de Mitrovica, alors que lui-même ferait partie de la minorité musulmane, que Mitrovica serait une ville divisée entre Serbes et musulmans en proie à de très vives tensions « communautaires » et où il serait de notoriété internationale qu’un contingent français de la SFOR est stationné dans cette ville, près du pont séparant les quartiers entre les deux communautés. Ils font valoir que Monsieur REDZEPAGIC aurait été haï tant par les musulmans pour servir une « force ennemie » que par les Serbes en raison de sa confession musulmane. Ils exposent encore qu’il aurait déserté de la police suite à un incident lors duquel il aurait aidé un civil et son enfant, lesquels auraient été expulsés d’une maison, au lieu d’aider d’autres policiers masqués et en uniforme à les expulser par la force de leur maison, que d’un autre côté plusieurs des Albanais lui auraient dit qu’il était un espion à la solde des Serbes et que partant il se trouverait ensemble avec sa famille dans une situation impossible.

Les demandeurs critiquent la décision déférée d’abord d’un point de vue formel en faisant valoir qu’elle leur aurait été remise en main propres sans traduction et que la raison pour laquelle ils n’auraient pas voulu la signer au moment de la notification tiendrait au fait qu’ils n’auraient pas compris les motifs de ce refus, de sorte que la notification intervenue ne serait pas légale et devrait entraîner l’annulation de la décision déférée pour cause de violation des articles 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée et 14 du règlement grand-ducal du 8 2 juin 1979 réglementant la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.

Quant au fond, ils font valoir qu’outre les difficultés ci-avant relevées tenant à la personne de Monsieur REDZEPAGIC, Madame … aurait également subi « les affres » de la situation morale impossible dans laquelle se trouvait son mari. Ils se réfèrent à cet égard aux déclarations de Madame … renseignées dans le rapport dressé à l’occasion de son audition relatives au fait qu’elle aurait fait une fausse couche en 1998 à cause du stress et de la guerre ainsi qu’à ses problèmes psychiques y précisés. Les demandeurs se prévalent en outre de l’existence d’une persécution systématique à l’égard des minorités ethniques en Yougoslavie surtout dans la ville de Mitrovica pour soutenir que la motivation de la décision déférée serait contraire à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précitée pour être inexacte et trop floue pour répondre aux exigences légales et réglementaires en la matière.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec les activités de Monsieur REDZEPAGIC au sein de la police serbe, qui seraient susceptibles de leur être reprochées en cas de retour au Kosovo.

Dans leur mémoire en réplique, ils insistent pour dire que si la persécution par eux alléguée n’émane certes pas directement des autorités en place, mais de groupes de la population, il s’agirait néanmoins d’une cause reconnue de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’ils ne pourraient pas se prévaloir de la protection des autorités de leur pays à l’heure actuelle. Ils relèvent à cet égard que la présence de troupes étrangères attesterait de l’incapacité du Gouvernement d’imposer la sécurité aux habitants de la Ville de Mitrivoca, divisée par la « haine ethnique ». Ils estiment qu’il appartiendrait au ministre de prouver que le seul fait de la mise en place d’un nouveau gouvernement aurait amené une absence totale de danger pour les minorités et plus particulièrement pour eux-

mêmes.

Le représentant étatique prend position par rapport aux moyens de procédure invoqués en faisant valoir que les affirmations des demandeurs tenant à l’irrégularité de la notification de la décision déférée seraient dénuées de tout fondement, étant donné qu’à l’occasion de la notification de la décision le traducteur procéderait toujours à la traduction du contenu de celle-ci et préciserait, à la fin, que les requérants ont la possibilité d’introduire un recours en réformation devant le tribunal administratif par l’organe d’un avocat, et ce, dans un délai d’un mois à compter de la notification. Dans la mesure où les demandeurs contestent cette situation, le représentant étatique estime qu’il leur appartiendrait, le cas échéant, de prouver que la procédure de notification n’a pas été suivie en tant que telle. Quant au fond, il soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux REDZEPAGIC-… et que le recours laisserait d’être fondé.

Concernant le premier moyen invoqué tenant à l’irrégularité de la notification de la décision déférée aux demandeurs, force est de constater en l’espèce que les demandeurs ont eu la possibilité d’exposer l’ensemble de leurs doléances dans le cadre du recours contentieux sous examen, de sorte qu’aucune lésion de leurs droits de la défense ne saurait être retenue.

Or, en l’absence de pareille lésion cette prétendue irrégularité ne saurait en tout état de cause être sanctionnée que par la suspension des délais de recours sans que la légalité de la décision même ne puisse en être affectée. Il s’ensuit que ledit moyen laisse d’être fondé.

3 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux REDEZPAGIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 7 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En la présente matière, saisi d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. - Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Force est encore de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce de la population albanaise ou serbe du Kosovo, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour 4 maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre, mais les éléments du dossier ne permettent de retenir ni qu’ils aient concrètement fait l’objet d’actes de persécution, ni encore qu’ils aient concrètement recherché la protection des autorités en place dans leur pays d’origine, ni encore que ces dernières soient effectivement incapables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et lu à l’audience publique du 18 juillet 2001 par:

M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Campill 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12961
Date de la décision : 18/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-18;12961 ?

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