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18/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12863

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 juillet 2001, 12863


Numéro 12863 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 février 2001 Audience publique du 18 juillet 2001 Recours formé par les époux … DURAKOVIC et … …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12863 du rôle, déposée le 6 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Lynn SPIELMANN, avocat à

la Cour, assisté de Maître Eric SUBLON, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre d...

Numéro 12863 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 février 2001 Audience publique du 18 juillet 2001 Recours formé par les époux … DURAKOVIC et … …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12863 du rôle, déposée le 6 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Lynn SPIELMANN, avocat à la Cour, assisté de Maître Eric SUBLON, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DURAKOVIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame … …, née le … à Bérane, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 18 octobre 2000, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 16 janvier 2001, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 février 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2001 par Maître SPIELMANN pour compte des époux DURAKOVIC-…;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier TAMAIN et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 mai 2001.

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Le 21 juin 1999, Monsieur … DURAKOVIC et son épouse, Madame … …, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux DURAKOVIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Ils furent entendus séparément en date du 26 janvier 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux DURAKOVIC-…, par lettre du 18 octobre 2000, notifiée en date du 11 décembre 2000, que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait pas établie dans leur chef.

Le recours gracieux formé par les époux DURAKOVIC-… moyennant courrier de leur mandataire daté au 10 janvier 2001 à l’égard de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 16 janvier 2001.

A l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 18 octobre 2000 et 16 janvier 2001, les époux DURAKOVIC-… ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 6 février 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent faire partie de la communauté religieuse musulmane et provenir d’une région où les Serbes et les Albanais ne parviendraient pas à cohabiter « ce qui entraîne un sentiment d’insécurité très vif ». Ils font valoir que Monsieur DURAKOVIC aurait refusé de faire partie de la réserve, que des militaires auraient effectué avant leur fuite des visites domiciliaires à des heures indues pour le rechercher et l’emmener à la réserve et enfin qu’il risquerait d’être pénalement condamné en raison de son insoumission et d’être persécuté de ce chef. Ils se prévalent encore du fait que Monsieur DURAKOVIC serait membre du parti DPS. Estimant que les motifs ainsi énoncés à la base de leur crainte de persécution devraient être pris en compte 2 cumulativement et non isolément, les demandeurs reprochent au ministre un examen superficiel des faits et le défaut de prise en compte de leurs craintes réelles de persécution, tout en faisant remarquer la simple existence d’un projet de loi d’amnistie en Yougoslavie ne saurait pas suffire pour écarter tout risque de persécution et des représailles à l’encontre de Monsieur DURAKOVIC et de sa famille.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux DURAKOVIC-… lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne l’insoumission de Monsieur DURAKOVIC, force est de relever que les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, Monsieur DURAKOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des 3 raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou que la peine afférente soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

Quant à l’affiliation de Monsieur DURAKVIC au parti DPS, force est encore de constater que si des activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution au sens de la Convention de Genève, il n’en reste pas moins que la simple qualité de membre est à elle seule insuffisante à cet égard. En l’espèce, les demandeurs ont déclaré lors de leurs auditions ne pas avoir subi de persécutions personnelles et Monsieur DURAKOVIC avance en tant que seul élément en relation avec son affiliation politique que « la police militaire est surtout venu chercher les membres du DPS ». A défaut de tout autre fait personnel concret, cette allégation ne saurait, à elle seule, constituer un motif suffisant permettant de justifier une crainte de persécution.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 juillet 2001 par:

4 M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. SCHOCKWEILER 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12863
Date de la décision : 18/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-18;12863 ?

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