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18/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12817

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 juillet 2001, 12817


Tribunal administratif N° 12817 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 janvier 2001 Audience publique du 18 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … BIBULJICA et son épouse, Madame … …, …, et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12817 du rôle, déposée le 26 janvier 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Esbelta de FREITAS, avocat à la Cour, assistée de Maître Mathieu ABBOUD, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l

’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom, d’une part, de Monsieur … BIBULJICA, né le …...

Tribunal administratif N° 12817 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 janvier 2001 Audience publique du 18 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … BIBULJICA et son épouse, Madame … …, …, et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12817 du rôle, déposée le 26 janvier 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Esbelta de FREITAS, avocat à la Cour, assistée de Maître Mathieu ABBOUD, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom, d’une part, de Monsieur … BIBULJICA, né le … à Bijelo Polje (Monténégro), et de son épouse, Madame … …, née le … à Bijelo Polje (Monténégro), agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants communs … BIBULJICA, née le …, et … BIBULJICA, née le …, et, d’autre part, de Monsieur … BIBULJICA, né le …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation de deux décisions du ministre de la Justice du 20 novembre 2000 portant rejet de leurs demandes en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mars 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en ses plaidoiries respectives.

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Le 2 février 1999, Monsieur … BIBULJICA et son épouse, Madame … …, agissant en leur nom personnel et en nom et pour compte de leurs trois enfants mineurs, …, …, et …, tous préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux BIBULJICA-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux BIBULJICA-… ainsi que leur fils, devenu entre-temps majeur, … BIBULJICA, furent en outre entendus séparément en date respectivement des 20 août 1999 et 9 novembre 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux BIBULJICA-…, par lettre du 20 novembre 2000, notifiée en date du 5 janvier 2001, de ce que leurs demandes avaient été rejetées. Ladite décision est motivée comme suit : « Monsieur, vous exposez avoir voulu sauver vos enfants et votre famille.

Vous auriez eu peur d’être engagé dans la réserve et d’être envoyé au Kosovo. Vous auriez peur d’être condamné à une peine d’emprisonnement.

Vous indiquez avoir quitté votre pays à cause de la guerre et de la situation politique.

Vous déclarez ne pas vouloir retourner tant que le pouvoir n’a pas changé.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari. Vous indiquez avoir peur qu’une guerre pareille à celle qui a eu lieu au Kosovo n’éclate au Monténégro.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité en raison de la situation politique. Vous déclarez cependant que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le conflit armé au Kosovo s’est terminé en mai 1999, avec le retrait des forces fédérales yougoslaves de ce territoire, de sorte que la crainte d’y être envoyé au combat n’est plus justifiée.

En plus, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

2 Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre datée également au 20 novembre 2000, notifiée le 27 décembre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur … BIBULJICA de ce que sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été refusée au motif que « Vous exposez avoir reçu une convocation pour le contrôle d’aptitude pour le service militaire il y a sept ou huit mois.

Vous expliquez avoir pris la fuite à cause de la guerre.

Vous indiquez avoir des problèmes de vivre avec les Serbes. Les Serbes auraient insulté votre mère.

Force est cependant de constater qu’il n’y a actuellement plus de conflit armé dans la région de la Yougoslavie.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Les problèmes que vous auriez eus avec les Serbes – même à les supposer établis – ne sauraient être considérés comme suffisamment graves pour justifier l’octroi du statut de réfugié.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre des deux décisions ministérielles de rejet du 20 novembre 2000, les époux BIBULJICA-… ainsi que Monsieur … BIBULJICA ont conjointement fait introduire un recours en réformation sinon en annulation par requête déposée le 26 janvier 2001.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation, au motif que les dispositions légales applicables prévoiraient un recours au fond.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre 3 les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

Il convient d’analyser la situation de Monsieur … BIBULJICA et de son fils … BIBULJICA ensemble, étant donné qu’il se dégage de la requête introductive d’instance qu’ils auraient quitté leur pays « pour des raisons identiques à savoir, le refus de prendre les armes dans les rangs de l’armée yougoslave lors de l’ouverture du conflit au Kosovo ».

Ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de leur situation de fait, étant donné que leur situation spécifique et subjective serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans leur pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

Ils font exposer plus particulièrement être de religion musulmane, originaires du Monténégro et qu’ils risqueraient des persécutions en raison de leur religion.

Ils soutiennent qu’ils auraient quitté leur pays par peur d’être enrôlés dans les forces militaires yougoslaves et d’être envoyés au Kosovo pour participer à une guerre qu’ils réprouvent. Ils soutiennent qu’en tant qu’objecteurs de conscience, ils risqueraient de faire l’objet d’une condamnation de portée disproportionnée pour le fait d’avoir refusé de combattre aux côtés des troupes yougoslaves au Kosovo. Ils estiment que tant qu’un « retour sécurisé » ne serait pas garanti, ils devraient bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Madame … … et ses filles font exposer qu’elles ont peur de la situation « inter-

ethnique entre musulmans et serbes orthodoxes », et que leur demande en obtention du statut de réfugié politique serait motivée par le respect de la vie privée et familiale. Dans cet ordre d’idées, elles exposent que leur refuser le statut de réfugié politique, « alors que celui-ci serait attribué à Messieurs … et … BIBULJICA irait à l’encontre de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ».

Sur base des faits ainsi soumis, les demandeurs estiment avoir établi des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’ils risqueraient de se voir exposer à des exactions en cas de retour dans leur pays d’origine, de sorte à devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique 4 a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux BIBULJICA-… lors de leurs auditions en date du 20 août 1999 et par Monsieur … BIBULJICA lors de son audition en date du 9 novembre 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Messieurs … et … BIBULJICA risquaient ou risquent de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et ils restent en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans leur chef en raison de leur prétendue insoumission.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Enfin, les craintes de persécutions en raison de leur appartenance à la communauté religieuse musulmane et la situation politique générale dans leur pays d’origine, en raison de leur peur du régime politique et des Serbes en général, constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que leur vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

5 En effet, lors de leurs auditions respectives, les demandeurs ont déclaré qu’ils n’ont pas personnellement subi des persécutions et qu’ils retourneraient dans leur pays d’origine si la situation « s’est calmée ».

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Dans la mesure où aucun des demandeurs ne s’est vu accorder le statut de réfugié politique, il devient superflu de prendre position par rapport au moyen invoqué relatif à la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Nonobstant le fait que les demandeurs n’étaient pas représentés lors de l’audience fixée pour plaidoiries, l’affaire est néanmoins jugée contradictoirement à l’égard de toutes les parties, la procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 18 juillet 2001, par le vice-président, en présence de M.

Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12817
Date de la décision : 18/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-18;12817 ?

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