La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12772

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 juillet 2001, 12772


Tribunal administratif Numéro 12772 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 janvier 2001 Audience publique du 18 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … REDZOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12772 du rôle, déposée le 15 janvier 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-François BOUCHOMS, avocat à la Co

ur, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … REDZOVI...

Tribunal administratif Numéro 12772 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 janvier 2001 Audience publique du 18 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … REDZOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12772 du rôle, déposée le 15 janvier 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-François BOUCHOMS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … REDZOVIC, né le … à Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 12 octobre 2000 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le courrier de Maître Jean-François BOUCHOMS du 15 janvier 2001, avec en annexe une lettre afférente du bâtonnier de l’Ordre des avocats à Luxembourg, informant le tribunal administratif de ce que Monsieur … REDZOVIC bénéficie de l’assistance judiciaire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mars 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-François BOUCHOMS et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 mai 2001.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 8 mars 1999, Monsieur … REDZOVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur REDZOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur REDZOVIC fut entendu en date du 11 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur REDZOVIC, par lettre du 12 octobre 2000, notifiée en date du 15 décembre suivant, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet, Monsieur REDZOVIC a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 15 janvier 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre d’avoir estimé à tort que la crainte d’une peine d’emprisonnement en raison de son insoumission ne constituerait pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique et il expose qu’en vertu du code pénal yougoslave, il risquerait une peine d’emprisonnement de 5 à 20 ans pour avoir quitté le pays afin d’éviter de servir l’armée yougoslave en temps de guerre. Il soutient que cette sanction serait constitutive d’une persécution du fait d’opinions politiques dans la mesure où le refus d’être enrôlé dans les rangs d’une armée constituerait l’expression d’un droit à la liberté d’opinion et de conscience, étant donné que la Commission des droits de l’homme des Nations-Unies considérerait que les Etats devraient accorder l’asile aux objecteurs de conscience craignant d’être persécutés lorsqu’aucune disposition légale n’admet l’objection de conscience. Il fait ajouter que l’OTAN aurait appelé les membres de l’armée yougoslave à déserter et à désobéir aux autorités fédérales et qu’il serait dès lors incohérent de refuser l’assistance aux personnes ayant donné suite à cet appel et risquant de « payer un lourd tribut » dans leur pays d’origine. Il fait enfin valoir que sa confession musulmane l’exposerait également à des risques « croissants » de persécution en cas de retour.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

En cours de procédure contentieuse, le demandeur a pu prendre inspection, par l’intermédiaire de son mandataire, d’une traduction de la loi d’amnistie votée récemment par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave produite en cause par le délégué du Gouvernement.

2 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 11 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore qu’il subsiste à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée le cas échéant de ce chef serait encore effectivement exécutée à l’heure actuelle. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas que les condamnations prononcées seraient encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et notamment, à travers les articles visés dans son article 1er, également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

3 Il s’ensuit dès lors également que le demandeur ne saurait plus faire valoir à l’heure actuelle une persécution ou un risque de persécution dans son pays d’origine du fait de son insoumission en tant qu’expression d’un droit à la liberté d’opinion et de conscience.

En outre, les craintes de persécutions du demandeur en raison de sa confession musulmane constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son d’origine, étant remarqué que les insultes et autres discriminations par lui invoquées lors de son audition ne sont pas à elles seules de nature à lui rendre la vie intolérable dans son pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, donne acte au demandeur qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 juillet 2001 par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. SCHOCKWEILER 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12772
Date de la décision : 18/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-18;12772 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award