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18/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12759

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 juillet 2001, 12759


Tribunal administratif N° 12759 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 janvier 2001 Audience publique du 18 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … BABACIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12759 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 janvier 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, in

scrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BABACIC, né le … à Niksi...

Tribunal administratif N° 12759 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 janvier 2001 Audience publique du 18 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … BABACIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12759 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 janvier 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BABACIC, né le … à Niksic (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 6 septembre 2000, notifiée le 3 novembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 7 décembre 2000 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2001;

Vu la constitution de nouvel avocat de Maître Lydie ERR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur BABACIC ;

Vu le courrier de Maître Lydie ERR du 29 juin 2001 informant le tribunal de ce qu’elle a déposé son mandat ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en ses plaidoiries à l’audience publique du 9 juillet 2001.

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Le 30 novembre 1998, Monsieur … BABACIC, préqualifié, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au 1 statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur BABACIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur BABACIC fut entendu en date du 2 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 5 septembre 2000, notifiée le 3 novembre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur BABACIC de ce que sa demande avait été rejetée aux motifs que la seule crainte d’une sanction pénale du chef d’insoumission ne constituerait pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, qu’une situation de paix régnerait dans la région, de sorte qu’il ne serait pas établi que l’appartenance à la réserve imposerait la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser et que, concernant les autres motifs invoqués (incarcération, chômage), même à les supposer établis, ils ne constitueraient que des motifs d’ordre personnel et non une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par courrier de son mandataire datant du 1er décembre 2000, Monsieur BABACIC a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 7 décembre 2000, il a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 5 septembre et 7 décembre 2000 par requête déposée en date du 11 janvier 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il est de religion musulmane, qu’il appartient à la minorité « bochniaque » de son pays et que tant lui même que l’ensemble de sa famille auraient fait l’objet de discriminations par les autorités serbes dans différents domaines en raison de leur appartenance à cette minorité ethnique. Il fait exposer en outre avoir quitté son pays d’origine en raison notamment du fait qu’il a refusé d’être enrôlé dans l’armée yougoslave pour ne pas avoir à tuer des innocents et partant accomplir des actes contraires à sa conscience. Dans la mesure où il serait à l’heure actuelle exposé au risque d’une condamnation pénale de portée disproportionnée pour le simple fait d’avoir refusé de donner suite à l’appel à la réserve pendant la proclamation de l’état de guerre, le demandeur estime qu’il aurait établi dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur BABACIC et que son recours laisserait d’être fondé.

2 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur BABACIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur BABACIC lors de son audition en date du 2 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur l’état d’insoumission du demandeur, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas en principe un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En l’espèce, il ne ressort pas à suffisance des éléments du dossier que Monsieur BABACIC risque à l’heure actuelle encore de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquent encore de lui être infligés, ou que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur BABACIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus 3 particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Ensuite, concernant la situation du demandeur au Monténégro en raison de son appartenance à la minorité « bochniaque », il est vrai que la situation générale des « bochniaques » au Monténégro est difficile, mais elle n’est cependant pas telle que tout « bochniaque », du seul fait de son appartenance à ladite minorité, aurait raison de craindre une persécution de la part des autorités en place, et, en l’espèce, il ne ressort pas des éléments du dossier que le demandeur, considéré individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires en raison de son appartenance à ladite minorité ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé, de sorte que la crainte y afférente qu’il a exprimé s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève. Dans ce contexte, le tribunal relève que l’allégation vague en rapport avec des « discriminations par les autorités serbes dans différents domaines » est insuffisante à elle-seule pour justifier que sa vie serait devenue insupportable dans son pays d’origine.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

La procédure devant le tribunal administratif étant essentiellement écrite le tribunal est amené à statuer contradictoirement en l’espèce encore que le demandeur n’a pas été représenté à l’audience publique à laquelle l’affaire fut fixée pour plaidoiries.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 juillet 2001 par:

M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge 4 M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Campill 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12759
Date de la décision : 18/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-18;12759 ?

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