La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12547

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 juillet 2001, 12547


Numéro 12547 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 décembre 2000 Audience publique du 18 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … ADROVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12547 du rôle, déposée le 6 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscr

it au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ADROVIC, né le … ...

Numéro 12547 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 décembre 2000 Audience publique du 18 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … ADROVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12547 du rôle, déposée le 6 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ADROVIC, né le … à Bérane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001;

Vu l’avis du tribunal administratif du 16 mars 2001 prononçant la rupture du délibéré;

Vu le courrier du délégué du Gouvernement du 23 avril 2001 portant dépôt et communication à Maître Jeannot BIVER d’une copie de la loi d’amnistie votée le 26 février 2001 par le parlement fédéral yougoslave;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maîtres Laurent HARGARTEN et Zohra BELESJAA et Messieurs les délégués du Gouvernement Guy SCHLEDER et Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives aux audiences publiques des 12 mars et 7 mai 2001.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 27 mai 1999, Monsieur … ADROVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-

York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur ADROVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur ADROVIC fut entendu en date du 29 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur ADROVIC, par lettre du 22 septembre 2000, notifiée en date du 8 novembre 2000, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet du 22 septembre 2000, Monsieur ADROVIC a fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation par requête déposée le 6 décembre 2000.

Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation, le tribunal doit examiner en premier lieu l’existence éventuelle d’un recours au fond en la matière, étant donné que l’admissibilité de cette voie de recours emporte l’irrecevabilité du recours en annulation introduit à titre principal.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation. Il s’ensuit que le recours principal en annulation est irrecevable. Le recours subsidiaire en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur reproche en premier lieu à la décision critiquée que son auteur serait inconnu alors qu’elle a été signée d’une manière illisible « pour le ministre de la Justice » suivi de la mention « conseiller de direction première classe », sans qu’il lui aurait été possible de déterminer l’identité du signataire et de vérifier la légalité de la décision critiquée à cet égard.

Après avoir relevé qu’aux termes de la loi précitée du 3 avril 1996 il appartiendrait au ministre de la Justice de statuer sur le bien-fondé d’une demande d’asile, le demandeur conclut ainsi à l’annulation de la décision critiquée pour ne pas avoir été prise par ledit ministre lui-même.

Un administré peut avoir intérêt à vérifier l’identité de la personne ayant signé la décision lui adressée, notamment afin d’être en mesure d’examiner si la personne en question avait pouvoir de ce faire, et en tant que personne justifiant d’un intérêt légitime pour prendre 2 connaissance d’une éventuelle délégation de signature émise en faveur du signataire de la décision en question, il est autorisé, sur base de l’article 3, alinéa 3 de l’ordonnance grand-

ducale du 30 janvier 1970 concernant les délégations de signature par le Gouvernement, à prendre inspection de l’éventuelle délégation de signature auprès des services du ministère d’Etat.

D’un autre côté, un administré qui conteste la qualité du signataire d’un acte administratif doit spécifier en quoi les dispositions de l’ordonnance grand-ducale précitée du 31 janvier 1970 n’ont pas été respectées. Il lui appartient, le cas échéant, de s’enquérir au ministère d’Etat si la signature apposée sur la décision attaquée est conforme au spécimen de la signature du fonctionnaire délégué, conformément à l’article 3 de l’ordonnance précitée (trib.

adm. 27 février 1997, n° 9605 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Actes administratifs, V. Divers, n° 39, p. 23 et autres références y citées).

En l’espèce, force est de constater qu’alors même que l’indication du nom du signataire ne figure pas sur l’expédition de la décision critiquée, la mention « conseiller de direction première classe » y apposée, entraînant nécessairement que seul un fonctionnaire auprès du ministère de la Justice revêtant le grade ainsi défini peut être l’auteur de la signature, restreint le cercle des signataires possibles dans une mesure suffisante pour permettre au demandeur ou à son mandataire de s’enquérir au ministère d’Etat sur l’identité du fonctionnaire signataire, sur l’existence d’une délégation en sa faveur et sur la conformité au spécimen de sa signature figurant en bas de la décision critiquée du 22 septembre 2000.

En outre, il y a lieu de relever que la simple omission des nom et prénom du signataire d’une décision administrative, même au cas où cette indication figure dans la formule de signature telle qu’inscrite dans la délégation de signature afférente, ne constitue pas l’omission d’une formalité substantielle dont pourrait découler la nullité, voire l’inexistence de la décision ainsi signée par le titulaire de la délégation, à condition que le signataire en question dispose effectivement d’une délégation de signature pour prendre le type de décision en cause (trib.

adm. 28 mai 2001, Kocan, n° du 12239, non encore publié).

Dans la mesure où le demandeur n’a pas contesté en l’espèce l’existence même d’une délégation en faveur du fonctionnaire signataire de la décision critiquée du 22 septembre 2000, le moyen est partant à rejeter.

Le demandeur critique encore la notification à son égard de la décision déférée, laquelle aurait été accomplie en langue française, incompréhensible pour lui, de manière qu’il n’aurait pas « pu saisir les termes de ladite décision » et que celle-ci devrait encourir l’annulation pour violation des droits de l’homme.

Un demandeur d'asile ne saurait se plaindre de ce que la décision ministérielle est rédigée en français, langue qui est incompréhensible pour lui, étant donné que le français est l'une des trois langues officielles du Grand-Duché en matière administrative, contentieuse ou non contentieuse ainsi qu'en matière judiciaire, et qu'il n'existe aucun texte de loi spécial obligeant le ministre de la Justice à faire traduire ses décisions dans une langue compréhensible pour le destinataire (trib. adm 16 avril 1997, Redzovic, n° 9635, confirmé par Cour adm. 10 juillet 1997, n° 9960C, Pas. adm. 1/2001, v° Etrangers, n° 17). Par ailleurs, il ressort de la minute du certificat de notification que le demandeur a déclaré avoir été informé au sujet des voies de recours, de manière que ses droits de la défense ont été préservés en l’espèce.

Quant au fond, le demandeur expose faire partie de la communauté religieuse musulmane, avoir reçu un appel pour accomplir son service militaire en mars 1999 et ne pas y avoir donné suite parce qu’il ne voulait « pas faire la guerre ». Il fait valoir qu’il risquerait 3 « une peine de prison plus une amende » et d’être maltraité. Il se prévaut enfin des insultes dont il aurait fait l’objet en raison de sa religion musulmane.

En cours de procédure contentieuse, le demandeur a pu prendre inspection, par l’intermédiaire de son mandataire, d’une traduction de la loi d’amnistie votée récemment par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave produite en cause par le délégué du Gouvernement. Lors des plaidoiries à l’audience, le demandeur a fait observer, par l’intermédiaire de son mandataire, qu’il ne serait pas certain qu’il entrerait dans le champ d’application de cette loi en tant qu’insoumis ayant quitté le pays afin de ne pas accomplir son service militaire et que l’insoumission constituerait une infraction continue, de manière qu’il risquerait ainsi d’échapper au champ d’application dans le temps de ladite loi d’amnistie.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas.

adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 29 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, le demandeur risque de devoir participer à des 4 actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’un risque actuel de poursuites en raison de son insoumission subsiste, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée le cas échéant de ce chef serait encore effectivement exécutée à l’heure actuelle. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des condamnations le cas échéant encourues sont encore effectivement exécutées.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées oralement par le demandeur tenant au fait que l’insoumission constitue une infraction continue, ainsi qu’à l’exclusion des personnes ayant quitté le pays du champ d’application de la loi d’amnistie, étant donné que, d’une part, cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par les affirmations du représentant étatique suivant lesquelles cette loi connaîtrait d’ores et déjà une large application, et que, d’autre part, cette dernière vise, à travers les articles énumérés dans son article 1er, également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, cette hypothèse se trouvant expressément inscrite à l’article 214 du code pénal de la République Fédérale Yougoslave.

En outre, les craintes de persécutions du demandeur en raison de sa confession musulmane constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son d’origine, étant remarqué que les insultes par lui alléguées sans autres précisions ne sont pas de nature à lui rendre la vie intolérable dans son pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours principal en annulation irrecevable, reçoit le recours subsidiaire en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

5 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 juillet 2001 par:

M. CAMPILL, premier juge, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12547
Date de la décision : 18/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-18;12547 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award