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12/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12853

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2001, 12853


Tribunal administratif N° 12853 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 février 2001 Audience publique du 12 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … LICINA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12853 du rôle, déposée le 2 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank NEU, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … LICINA, né le … à Radmance (Monténégro), demeurant

actuellement à L-3937…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du min...

Tribunal administratif N° 12853 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 février 2001 Audience publique du 12 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … LICINA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12853 du rôle, déposée le 2 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank NEU, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … LICINA, né le … à Radmance (Monténégro), demeurant actuellement à L-3937…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 5 octobre 2000 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 2 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 mai 2001 au nom du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 mai 2001 par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Frank NEU, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 5 mai 1999, Monsieur … LICINA, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur LICINA fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 17 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur LICINA, par lettre du 5 octobre 2000, notifiée en date du 21 novembre 2000, de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Vous exposez avoir fait votre service militaire régulier de 1996-

1997. Vous auriez été appelé à faire la réserve en juin 1999, alors que vous étiez déjà au Luxembourg. Quelqu’un dont vous ignorez s’il était de la police militaire ou de l’armée aurait apporté cet appel, mais aurait refusé de le donner à vos parents.

Vous expliquez ne pas avoir voulu tuer des gens dans votre pays.

Vous ignorez les sanctions exactes qui vous attendent, mais vous avez peur d’être traité comme déserteur.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même, l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 19 décembre 2000, Monsieur LICINA introduit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 5 octobre 2000.

Par décision du 2 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

2 Par requête déposée en date du 2 février 2001, Monsieur LICINA a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 5 octobre 2000 et 2 janvier 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation de fait, étant donné que sa situation spécifique et subjective serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans son pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

Il fait exposer plus particulièrement qu’il est de religion musulmane, originaire du Monténégro, qu’il aurait effectué son service militaire de décembre 1996 à décembre 1997 et que, lorsqu’il fut appelé par les autorités de son pays à « combattre sur le front kosovard », il aurait décidé de quitter son pays. Il fait valoir que son refus d’intégrer l’armée se serait imposer, au motif qu’il n’était pas d’accord avec la politique d’oppression menée par le gouvernement yougoslave. En effet, il considère qu’il ne saurait soutenir la « cause de la Yougoslavie, peuplée essentiellement de Serbes et dont le gouvernement compte également une majorité de Serbes, lorsque ce même pays opprime des régions comme le Monténégro pour éviter des tendances indépendantistes (…) ». Il considère qu’en cas de retour dans son pays, il ne serait pas vu comme simple déserteur par les autorités serbes, mais comme originaire d’une région qui manifeste des tendances indépendantistes, de sorte que son refus de servir dans l’armée fédérale yougoslave serait interprété comme un acte de résistance et qu’il risquerait d’être gravement sanctionné.

Concernant la situation générale de son pays, il estime que le changement du régime politique en Yougoslavie ne présenterait pas les garanties nécessaires pour qu’il puisse rentrer sans crainte dans son pays, la relative stabilité y régnant ne gommant qu’imparfaitement le principal problème, à savoir une haine profonde entre les différentes communautés serbe et musulmane. Quant à la possibilité d’une amnistie pour les insoumis et les déserteurs, il fait valoir que seul un projet de loi afférent aurait vu le jour jusqu’ici, et même à supposer qu’une telle loi aurait été votée, encore serait-il incertain si elle pouvait effectivement trouver application.

Sur base des faits ainsi soumis, le demandeur estime avoir établi des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’il risquerait de se voir exposer à des exactions en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte à devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut 3 ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur LICINA lors de son audition en date du 17 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur LICINA risque actuellement de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Enfin, les craintes de persécutions en raison de son appartenance à la communauté religieuse musulmane et de la situation politique générale dans son pays d’origine ainsi qu’en raison de sa peur du régime politique et des Serbes en général, constituent en substance 4 l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12853
Date de la décision : 12/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-12;12853 ?

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