La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12846

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2001, 12846


Tribunal administratif N° 12846 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 février 2001 Audience publique du 12 juillet 2001

============================

Recours formé par Madame … MURATOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-----------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12846 et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 février 2001 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lu

xembourg, au nom de Madame … MURATOVIC, née le … à Niksic (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeu...

Tribunal administratif N° 12846 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 février 2001 Audience publique du 12 juillet 2001

============================

Recours formé par Madame … MURATOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-----------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12846 et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 février 2001 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MURATOVIC, née le … à Niksic (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 25 septembre 2000, notifiée le 21 novembre 2000, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 2 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2001;

Vu la constitution de nouvel avocat par laquelle Maître Guy LOESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déclara qu’il a mandat d’occuper pour la demanderesse et qu’il se constitue en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, préqualifié;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Claudine ELCHEROTH, en remplacement de Maître Guy LOESCH, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 29 avril 1999, Madame … MURATOVIC, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New 1 York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame MURATOVIC fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi qu’en date du 30 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 25 septembre 2000, notifiée le 21 novembre 2000, le ministre de la Justice informa Madame MURATOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Il résulte de vos déclarations faites à l’agent du Ministère de la Justice que vous êtes copropriétaire d’un salon de coiffure à Niksic. Vous prétendez que, depuis les bombardements au Kosovo, la situation dans ce salon était devenue insupportable du fait de votre appartenance à la religion musulmane. Vous dites avoir été insultée par les clients, avoir reçu des lettres de menaces et des coups de téléphones anonymes. Vous ajoutez qu’à plusieurs reprises des individus vous ont attendue à la sortie de votre travail pour vous menacer de viol. Vous ajoutez que vous avez subi une tentative de viol mais que la police a fait fuir vos agresseurs.

Vous précisez n’être membre d’aucun parti politique et n’avoir aucune activité politique. Mais vous pensez que la situation ne se calmera au Monténégro que si cette région obtient son indépendance et Djukanovic les pleins pouvoirs.

Je me permets de vous signaler que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Tout en mesurant à leur juste valeur les difficultés que vous avez rencontrées dans votre travail et tout en condamnant les tentatives d’intimidation dont vous avez fait l’objet, je dois constater, Madame, qu’il ne se dégage de vos assertions, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucune preuve tangible, aucune crainte de persécution telle qu’énumérées par l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de son mandataire daté du 20 décembre 2000, Madame MURATOVIC forma un recours gracieux contre ladite décision ministérielle.

Par lettre du 2 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision du 25 septembre 2000.

Par requête déposée en date du 2 février 2001, Madame MURATOVIC a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation sinon à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 25 septembre 2000 et 2 janvier 2001.

2 L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle serait née à Niksic au Monténégro où elle aurait exploité un salon de coiffure, que depuis « le début des bombardements au Kosovo, la vie à Niksic [lui] est devenue insupportable (…) en raison de sa confession musulmane ». Elle expose plus particulièrement qu’elle aurait fait l’objet d’insultes quotidiennes de la part de sa co-exploitante et de sa clientèle, qu’elle aurait reçu des lettres de menaces et des coups de téléphones anonymes, et surtout que des inconnus l’auraient attendu à la sortie de son salon de coiffure pour la menacer de viol et elle aurait même subi une tentative de viol.

Elle estime qu’au vu de ces faits, et surtout en raison de la tentative de viol dont elle aurait fait l’objet, elle aurait établi que sa situation individuelle serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte justifiée de persécution au sens de l’article 1er A, paragraphe 2 de la Convention de Genève.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame MURATOVIC et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n°9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, non encore publié).

3 En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame MURATOVIC lors de son audition du 30 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la demanderesse a déclaré lors de son audition qu’elle aurait peur des « gens qui m’ont agressé », qu’il se serait agi de « gens inconnus » qui l’auraient attendu « dehors », devant son salon de coiffure. Elle a encore fait valoir qu’« ils disaient qu’ils allaient me violer.

Moi je suis rentrée dans le salon et attendais à l’intérieur pendant des heures jusqu’à ce que la situation se calme. Une fois ils ont essayé de me violer mais par hasard la police est passée par là ». Elle considère que les problèmes qu’elle aurait rencontrés dans son salon de coiffeur et les agressions dont elle aurait fait l’objet, seraient liés au fait qu’elle serait musulmane.

Force est de constater que ces faits, même à les supposer établis, ne sont pas suffisamment graves pour conclure que la vie au Monténégro serait à l’heure actuelle devenue insupportable pour la demanderesse. Les arguments et déclarations faites par la demanderesse constituent plutôt l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’elle fasse état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Concernant sa peur vis-à-vis d’une partie de la population du Monténégro, il échet de relever qu’une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce de la population serbe du Monténégro, ainsi que de certains « inconnus » la menaçant de viol, ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p.

113, nos 73-s).

En l’espèce, la demanderesse n’a ni établi ni même allégué qu’elle aurait recherché une protection appropriée de la part des autorités étatiques et que ces dernières seraient incapables d’offrir une telle protection.

4 Dans ce contexte, l’intervention de la police à l’occasion de la tentative de viol par des inconnus est même de nature à contredire l’impossibilité ou le refus d’agir des autorités ou pouvoirs en place en vue d’assurer une protection adéquate de la demanderesse.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12846
Date de la décision : 12/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-12;12846 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award