La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12833

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2001, 12833


Tribunal administratif N° 12833 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2001 Audience publique du 12 juillet 2001

============================

Recours formé par Madame … MEHOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-----------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12833 et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2001 par Maître Esbelta DE FREITAS, avocat à la Cour, assistée de Maître Nadia JANAKOVIC, avocat, tout

es les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MEHOVIC, née...

Tribunal administratif N° 12833 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2001 Audience publique du 12 juillet 2001

============================

Recours formé par Madame … MEHOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-----------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12833 et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2001 par Maître Esbelta DE FREITAS, avocat à la Cour, assistée de Maître Nadia JANAKOVIC, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MEHOVIC, née le … à Bérane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-3230 Bettembourg, 7, route d’Esch, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 6 octobre 2000, notifiée le 27 novembre 2000, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 2 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mars 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Nadia JANAKOVIC, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 17 août 1999, Madame … MEHOVIC, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame MEHOVIC fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son 1 identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi qu’en date du 24 décembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 6 octobre 2000, notifiée le 27 novembre 2000, le ministre de la Justice informa Madame MEHOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Vous admettez ne pas être membre d’un parti politique. Vous auriez quitté votre pays d’origine en raison de la présence de réservistes serbes dans votre village.

Ces réservistes auraient la réputation de frapper, d’insulter et de maltraiter les filles, mais vous n’auriez pas personnellement eu de problèmes. Vous n’auriez pas été personnellement persécutée.

Force est de constater que vous n’invoquez qu’une peur générale des réservistes serbes, sans citer un quelconque fait constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Vous admettez d’ailleurs vous-même ne pas avoir été personnellement persécutée.

Or, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de son mandataire daté du 21 décembre 2000, Madame MEHOVIC forma un recours gracieux contre ladite décision ministérielle.

Par lettre du 2 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision du 6 octobre 2000.

Par requête déposée en date du 29 janvier 2001, Madame MEHOVIC a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 6 octobre 2000 et 2 janvier 2001.

En effet, même si la demanderesse conclut dans le corps de sa requête à l’annulation des décisions précitées, force est par ailleurs de constater que dans le dispositif de la prédite requête, elle conclut à se voir accorder le statut de réfugié politique, mesure qui ne peut être prise par le tribunal administratif que dans le cadre d’un recours en réformation, de sorte qu’on peut admettre qu’elle a entendu introduire un tel recours.

2 L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, qui a encore été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle serait de nationalité yougoslave et de confession musulmane, qu’avant la guerre, son village natal, Bérane, aurait été une ville « à population mixte » et qu’actuellement une cohabitation ne serait plus possible entre les Serbes et les « Bochniaques » y habitant. Elle fait valoir qu’une « grande insécurité » régnerait dans cette région et que par ailleurs « certains militaires ont maltraité des civils dans la région où résidait [sa] famille ». Elle conclut que du fait de ses origines, un danger de persécution serait à craindre.

Elle estime qu’au vu de ces faits, elle aurait établi que sa situation individuelle serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte justifiée de persécution au sens de l’article 1er A, paragraphe 2 de la Convention de Genève.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame MEHOVIC et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas.

adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n°9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame MEHOVIC lors de son audition du 24 décembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et 3 d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, d’après ses propres déclarations, la demanderesse n’a exercé dans son pays d’origine aucune activité politique, elle n’a pas personnellement subi des persécutions et sa demande d’asile est uniquement motivée par sa peur des réservistes serbes. A ce sujet, elle fait valoir que « dans notre village, il y avait beaucoup de réservistes serbes. J’avais entendu que certaines filles été frappées, maltraitées et insultées par les réservistes serbes. Je n’ai jamais été frappée ou insultée. Ma mère avait peur qu’il m’arrive quelque chose et elle m’a poussée à quitter le Monténégro ».

Force est de constater que ces faits, même à les supposer établis, ne sont pas suffisamment graves pour conclure que la vie au Monténégro serait à l’heure actuelle devenue insupportable pour la demanderesse. Les arguments et déclarations faites par la demanderesse constituent plutôt l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’elle fasse état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui seraient telles que la vie lui serait, à raison intolérable dans son pays d’origine.

Concernant encore sa peur vis-à-vis d’une partie de la population du Monténégro, il échet de relever qu’une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce de la population serbe du Monténégro, ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, la demanderesse n’a ni établi ni même allégué qu’elle aurait recherché une protection appropriée de la part des autorités étatiques et que ces dernières seraient incapables d’offrir une telle protection.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

4 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12833
Date de la décision : 12/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-12;12833 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award