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12/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12812

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2001, 12812


Tribunal administratif N° 12812 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 janvier 2001 Audience publique du 12 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … RASTODER et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12812 et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 2001 par Maître Sylvie KREICHER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des a

vocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RASTODER, né le … à Ponor (Monténégro), et de son épouse,...

Tribunal administratif N° 12812 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 janvier 2001 Audience publique du 12 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … RASTODER et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12812 et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 2001 par Maître Sylvie KREICHER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RASTODER, né le … à Ponor (Monténégro), et de son épouse, Madame … …, née le … à Bor (Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, … et … (sic) …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-6350 …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 8 novembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mars 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Sylvie KREICHER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 6 mai 1999, Monsieur … RASTODER et son épouse, Madame … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, … et … (sic), tous préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur RASTODER et Madame … furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur RASTODER et Madame … furent ensuite entendus séparément en date du 12 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 12 juillet 2000, notifiée le 19 septembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux RASTODER-… que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Monténégro fin avril 1999 à bord d’un camion de couleur blanche. Vous ne pouvez pas donner de renseignements quant au trajet emprunté. Vous êtes arrivés au Luxembourg le 6 mai 1999 et vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le jour même.

Vous, Monsieur, vous exposez que vous avez reçu une convocation pour la réserve fin avril 1999. Vous vous cachiez déjà dans les bois parce qu’à l’époque la police ramassait les hommes dans la région pour les emmener à la guerre au Kosovo. Vous ne vouliez pas aller au Kosovo parce que vous aviez peur de vous faire tuer. Vous dites que vous ne vouliez pas non plus tuer des Albanais. Finalement vous affirmez que vous ne vouliez pas rejoindre l’armée, qualifiée par vous comme étant celle de Milosevic et non pas la vraie armée, parce que vous êtes père de famille avec cinq enfants à charge. Maintenant vous déclarez ne pas vouloir retourner parce que vous avez peur d’être condamné pour insoumission et à cause de l’état de guerre qui règne dans la région.

En ce qui vous concerne, Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous ajoutez que vous ne possédez plus rien dans votre pays parce que vous avez tout vendu pour venir au Luxembourg. Vous dites ne pas vouloir retourner parce que vous n’avez pas les moyens nécessaires pour faire soigner votre fils malade et pour envoyer vos enfants à l’école.

Il résulte également de vos déclarations à tous les deux que vous n’êtes pas membres d’un parti politique et que vous n’avez pas d’opinions politiques.

Concernant le fait pour vous, Monsieur, de vous être soustrait à la réserve, je souligne que la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Force est également de constater que le Monténégro ne se trouve pas actuellement en état de guerre et que la paix règne dans la région.

Vous, Madame, vous basez votre demande en obtention du statut de réfugié exclusivement sur des motifs d’ordre personnel sans citer un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. De tels motifs ne sauraient toutefois fonder une demande d’asile politique au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte 2 justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

(…) ».

Par lettre du 18 octobre 2000, les époux RASTODER-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 juillet 2000.

Par décision du 8 novembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 23 janvier 2001, les époux RASTODER-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, … et … (sic) … ont fait introduire un recours en réformation sinon en annulation dirigé contre la décision ministérielle précitée du 8 novembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Monténégro et de religion musulmane, qu’ils ont quitté leur pays d’origine au motif qu’à la suite d’une convocation reçue par Monsieur RASTODER en vue de rejoindre la réserve de l’armée fédérale yougoslave au cours du conflit armé ayant eu lieu au Kosovo, il aurait refusé de donner suite à cette convocation, préférant s’enfuir ensemble avec sa famille pour ne pas avoir à « servir un régime autoritaire dont il désapprouvait la politique ». Ledit acte d’insoumission serait motivé par des considérations d’ordre religieux voire politique et Monsieur RASTODER risquerait de ce fait une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à dix ans. Ils précisent en outre qu’à part le fait qu’ils auraient refusé de combattre des personnes appartenant à leur communauté religieuse, ils auraient eu pour principal objectif de préserver la vie des membres de leur famille, alors que celle-ci se serait trouvée « physiquement en danger » dans leur pays d’origine.

Ils font encore exposer qu’il serait dans l’intérêt de leur enfant Enes d’être autorisé à résider au Luxembourg au vu des graves problèmes de santé dont il souffrirait, nécessitant un traitement médical au Luxembourg, d’autant plus qu’un traitement approprié ne pourrait lui être administré dans leur pays d’origine.

En droit, les demandeurs concluent à la réformation de la décision ministérielle pour violation de la loi sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

3 En substance, ils reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec l’insoumission de Monsieur RASTODER, leur appartenance ethnique et leur croyance religieuse, qui constitueraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux RASTODER-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux RASTODER-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur RASTODER et son épouse, Madame …, lors de leurs auditions respectives en date du 12 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur l’état d’insoumission de Monsieur RASTODER, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

4 En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur RASTODER risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de sa religion musulmane, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur RASTODER n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Ensuite, concernant la situation des demandeurs au Monténégro en raison de leur appartenance à la communauté religieuse des musulmans, il est vrai que la situation générale des musulmans au Monténégro est difficile, mais elle n’est cependant pas telle que tout musulman, du seul fait de son appartenance à ladite minorité, aurait raison de craindre une persécution de la part des autorités en place, et, en l’espèce, il ne ressort pas des éléments du dossier que les demandeurs, considérés individuellement et concrètement, risquent de subir des traitements discriminatoires en raison de leur appartenance à ladite minorité ou que de tels traitements leur auraient été infligés dans le passé, de sorte que la crainte y afférente qu’ils ont exprimée s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, en ce qui concerne les problèmes de santé d’un enfant des demandeurs, aussi tragiques qu’ils puissent être, ils ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève, étant donné que ni les problèmes de santé en question ni encore la qualité des soins que peuvent assurer les médecins dans leur pays d’origine, ne sont de nature à justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

5 condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12812
Date de la décision : 12/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-12;12812 ?

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