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12/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12808

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2001, 12808


Tribunal administratif N° 12808 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 janvier 2001 Audience publique du 12 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … HADZIBULIC et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12808 du rôle, déposée le 22 janvier 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour,

assisté de Maître Anne LAMBE, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à...

Tribunal administratif N° 12808 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 janvier 2001 Audience publique du 12 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … HADZIBULIC et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12808 du rôle, déposée le 22 janvier 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, assisté de Maître Anne LAMBE, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HADZIBULIC, né le … à Tutin (Serbie), et de son épouse, Madame … …, née le … à Sjenica (Serbie), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … HADZIBULIC, tous les quatre de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 26 septembre 2000 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative, rendue sur recours gracieux, du même ministre, du 21 décembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mars 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Catherine FABECK, en remplacement de Maître Roger NOTHAR, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 18 janvier 1999, Madame … …, épouse HADZIBULIC, agissant tant en son nom personnel qu’en nom et pour compte de ses enfants mineurs … et … HADZIBULIC, tous préqualifiés, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une demande tendant aux mêmes fins fut introduite par Monsieur … HADZIBULIC, préqualifié, en date du 24 février 1999. Monsieur HADZIBULIC fut également interrogé, en date du même jour, par un agent du service de police judiciaire, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur HADZIBULIC et Madame … furent entendus séparément en date du 20 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux HADZIBULIC-…, par lettre du 26 septembre 2000, notifiée en date du 21 novembre 2000, de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : «Monsieur, il résulte de vos déclarations que le 15 février 1999 vous avez quitté Tutin pour Novi Pasar. De là, avec un passeur, vous avez été à Novi Sad, puis à Budapest et ensuite à Vienne. Vous êtes arrivé au Luxembourg en passant par l’Italie et la France. Vous ne pouvez pas donner d’autres précisions quant au déroulement du voyage mais vous vous souvenez cependant de noms de villes comme Lyon et Dijon.

Vous, Madame, vous exposez que vous avez quitté avec votre famille la ville de Tutin pour aller en bus à Sarajevo et ensuite en Croatie. Vous dites que votre mari, qui vous avait accompagné jusque-là, a dû rester en Croatie par manque de place dans la voiture du passeur. Vous avez continué seule avec vos enfants en direction de la Slovénie, mais vous ne savez pas ensuite quels pays vous avez traversés pour arriver au Luxembourg.

Vous, Monsieur, vous dites avoir fait votre service militaire en 1981/1982 à Belgrade et Novi Sad. Vous avez été appelé à la réserve quatre ou cinq fois mais la dernière fois était en 1990 et vous n’avez plus été appelé récemment.

Vous déclarez encore que vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Vous avez dit que vous êtes parti à cause de la guerre et par crainte d’être un jour appelé à la réserve. Vous ajoutez que les événements qui se sont produits en Bosnie et en Croatie peuvent se reproduire au Sandzak.

Vous mentionnez encore que depuis 1995, vous n’avez plus travaillé : d’abord, vous êtes parti soigner un frère malade en Allemagne pendant deux ans, soit jusqu’en décembre 1997 et ensuite, vous n’avez plus repris votre travail.

En ce qui concerne les persécutions dont vous feriez l’objet, vous dites être seulement parti à cause de la guerre. Vous ajoutez avoir quand même fait l’objet de contrôles de routine par la police. Maintenant, vous ne voulez pas retourner en Yougoslavie parce que vos enfants se sont habitués au Luxembourg.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari et vous dites n’avoir subi personnellement aucune persécution. Vous confirmez que vous désirez rester au Luxembourg parce que vos enfants y sont bien accueillis.

2 Il convient d’abord de relever que les versions que vous donnez l’un et l’autre de votre voyage vers le Luxembourg diffèrent dans la mesure où il est impossible de savoir quelle partie du trajet vous auriez fait ensemble et à quel moment vous avez dû vous séparer.

Indépendamment de cette divergence, il faut noter que vous reconnaissez n’avoir ni l’un ni l’autre subi aucune discrimination ni persécution hormis des contrôles de routine.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En l’espèce, il ne se dégage nullement de vos allégations que vous risquiez l’un ou l’autre d’être persécutés pour une des raisons énumérées par l’article 1er A § 2 de la Convention.

Il résulte, au contraire, de vos dires à tous les deux que vos demandes en obtention du statut de réfugié sont basées sur des motifs d’ordre personnel et sur un sentiment général d’insécurité, sans que vous puissiez citer un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire des époux HADZIBULIC-… en date du 18 décembre 2000 à l’encontre de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 21 décembre 2000.

A l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 26 septembre et 21 décembre 2000, les époux HADZIBULIC-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … HADZIBULIC, ont fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 22 janvier 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de leur situation de fait, étant donné que leur situation spécifique et subjective serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans leur pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

Ils font exposer plus particulièrement être de confession musulmane et être originaires de la région du Sandzak située en Serbie, à la frontière avec le Monténégro, que leurs versions respectives quant au déroulement de leur voyage pour se rendre au Luxembourg seraient 3 divergentes, en ce que, pour des raisons de contrôle à la frontière avec la Croatie, ils auraient été dans l’obligation de se séparer et suivre des itinéraires différents pour se rendre au Luxembourg, que dans leur pays d’origine leur famille aurait fait l’objet de persécutions dans la mesure où Monsieur HADZIBULIC se serait fait contrôler « sans cesse sans aucune raison », notamment dans le cadre de ses déplacements dans son village d’origine et qu’il aurait été obligé « de payer régulièrement des amendes aux autorités serbes », sans aucune raison apparente et en l’absence d’une infraction à la loi. Les demandeurs estiment que ce comportement des autorités serbes serait à considérer comme constituant « une pure provocation en vue de trouver un prétexte pour arrêter [Monsieur HADZIBULIC] ». Ils exposent encore que le père de Monsieur HADZIBULIC aurait été arrêtés arbitrairement à trois reprises au moins pour être interrogé au sujet de son fils. Au cours de ces interrogatoires, le père aurait été attaché à un radiateur et il aurait été maltraité « en ce sens qu’il a été soumis à des pressions morales et des menaces de représailles contre lui-même et l’ensemble de la famille ». Ils font enfin valoir qu’au cours de l’un de ces interrogatoires, le père de Monsieur HADZIBULIC aurait reçu des coups de la part des policiers serbes chargés de son interrogatoire.

Sur base des faits ainsi soumis, les demandeurs estiment avoir établi des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’ils risqueraient de se voir exposer à des exactions en cas de retour dans leur pays d’origine, dues à leur appartenance à la religion musulmane et à un environnement « serbe et anti-musulman » dans leur pays d’origine, de sorte à devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève. Ils se basent encore sur le non-respect par la République Fédérale Yougoslave de ses engagements pris au titre de la déclaration universelle des droits de l’homme et du pacte international relatif aux droits civils et politiques, pour soutenir que la violation, par leur Etat d’origine, des droits qu’ils pourraient tirer de ces instruments internationaux devrait justifier « leur crainte raisonnable d’être persécutés par les autorités en place » au sens de la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie 4 également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur HADZIBULIC et Madame … lors de leurs auditions respectives en date du 20 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne les prétendus contrôles de Monsieur HADZIBULIC effectués par la police serbe, la prétendue obligation de payer régulièrement des amendes en l’absence d’une infraction à la loi et le comportement qu’auraient eu des agents de la police serbe à l’égard du père de Monsieur HADZIBULIC, ces derniers faits n’étant pas à considérer comme constituant des faits personnels aux demandeurs, il échet de constater que ces faits, même à les supposer établis, ne sont pas suffisamment graves pour conclure que la vie en République Fédérale Yougoslave, et plus particulièrement dans la région du Sandzak située en Serbie, serait à l’heure actuelle devenue insupportable pour les demandeurs.

Les arguments et déclarations faites par les demandeurs constituent plutôt l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils fassent état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine. En effet, lors de ses auditions, Monsieur HADZIBULIC a déclaré n’avoir jamais été frappé ou maltraité physiquement et qu’il avait surtout peur de la guerre, en précisant qu’il a préféré fuir son pays d’origine, alors qu’il n’y avait plus de travail et qu’il y vivait très mal. Interrogée sur les raisons qui l’ont amenée à quitter son pays d’origine, Madame … a précisé qu’elle l’a quitté « à cause de la guerre, afin de sauver les enfants », en précisant que dans son pays d’origine « la situation est instable, il y a des tirs, des insultes », en ajoutant que son mari y aurait perdu son travail et qu’ils y auraient très mal vécu.

Les faits dont font état les demandeurs en relation avec le comportement de policiers serbes à l’égard du père de Monsieur HADZIBULIC, même à les supposer établis, ne sont pas non plus de nature à établir dans le chef des demandeurs une crainte personnelle et individuelle de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, la simple violation d’instruments juridiques internationaux par le pays d’origine des demandeurs, d’ailleurs non établie en l’espèce, ne saurait justifier dans leur chef une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, en l’absence de tout élément ayant trait à la situation individuelle et concrète des demandeurs de nature à établir que le non respect des engagements internationaux souscrits par leur pays d’origine permet de justifier une crainte de persécution dans leur chef pour l’une des causes prévues par la Convention de Genève.

Enfin, il échet de relever qu’au cours des plaidoiries, le mandataire des demandeurs a insisté sur la maladie de l’un des enfants des demandeurs en vue de l’obtention du statut de réfugié politique. Les problèmes de santé d’un enfant des demandeurs, aussi tragiques qu’ils 5 puissent être, ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève, étant donné que ni les problèmes de santé en question ni encore la qualité des soins que peuvent assurer les médecins dans leur pays d’origine, ne sont de nature à justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12808
Date de la décision : 12/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-12;12808 ?

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