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12/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12779

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2001, 12779


Tribunal administratif N° 12779 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 janvier 2001 Audience publique du 12 juillet 2001

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Recours formé par Madame … DEDA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12779 et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2001 par Maître Frédéric FRABETTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxem

bourg, au nom de Madame … DEDA, née le … à Shkoder, de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L...

Tribunal administratif N° 12779 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 janvier 2001 Audience publique du 12 juillet 2001

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Recours formé par Madame … DEDA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12779 et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2001 par Maître Frédéric FRABETTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … DEDA, née le … à Shkoder, de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 juin 2000, notifiée le 31 juillet 2000, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 14 décembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 mai 2001 au nom de la demanderesse ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Frédéric FRABETTI, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 3 août 1998, Madame … DEDA, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Madame DEDA fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi qu’en date des 23 février et 17 mars 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 15 juin 2000, notifiée le 31 juillet 2000, le ministre de la Justice informa Madame DEDA de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté l’Albanie le 30 juillet 1998 pour arriver au Luxembourg le 1er août 1998.

Vous exposez avoir participé à des manifestations anti-communistes au courant de l’année 1993. Vous auriez été maltraitée par la police à cette occasion.

Vous expliquez ne plus pouvoir vivre en Albanie étant donné que les communistes auraient exercé beaucoup de pressions sur votre famille.

Vous indiquez que votre famille aurait déjà été persécutée sous l’ancien régime communiste. Vous auriez à nouveau eu des problèmes à partir de l’été 1997. La police vous aurait rendu visite à plusieurs reprises. Elle aurait fait du chantage à votre encontre. Vous n’avez cependant jamais été maltraitée par la police.

Vous relatez que vous avez peur du régime communiste en général en raison de vos opinions politiques.

Force est cependant de constater que la vie politique s’est stabilisée dans toute l’Albanie, qu’il y a notamment eu un rapprochement entre le parti démocratique et le parti socialiste au courant de l’année 1999. Une persécution systématique de membres de l’opposition de la part du régime actuellement en place est à exclure.

De même, la police albanaise s’efforce actuellement avec succès de combattre la criminalité qui avait étranglé le pays depuis les émeutes de l’année 1997. Ce combat s’effectue dans un cadre de stricte neutralité politique.

En ce qui concerne les problèmes que vous avez eus avec la police, ces faits ne sont pas d’une telle gravité – même à les supposer établis – qu’ils justifieraient une crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Vous déclarez cependant que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

2 Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de son mandataire daté du 24 août 2000, Madame DEDA forma un recours gracieux contre ladite décision ministérielle.

Par lettre du 14 décembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision du 15 juin 2000.

Par requête déposée en date du 15 janvier 2001, Madame DEDA a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 15 juin et 14 décembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle aurait été sympathisante du parti démocratique en Albanie et que de ce fait elle aurait assisté à plusieurs manifestations anti-communistes avec son frère, qui aurait été bien connu des services de la police. Elle fait valoir plus particulièrement que sa famille aurait été persécutée pendant de longues années, notamment que sa famille aurait été « mise en isolement » de 1960 à 1965, que son père aurait été en prison pour des motifs politiques de 1960 à 1973, et qu’elle aurait personnellement été persécutée, étant donné qu’au courant de l’année 1997, la police lui aurait régulièrement rendu visite en « exerçant sur elle des menaces et une pression énorme afin qu’elle arrête toute action politique contre le régime socialiste, que la police recherchait son frère avec qui elle vivait, de sorte que les menaces n’étaient plus supportables ».

Elle relève encore que si un rapprochement entre les partis politiques en Albanie aurait eu lieu, néanmoins la situation politique ne serait pas telle qu’elle exclurait toute persécution des membres de l’opposition.

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse réaffirme qu’elle aurait eu des activités politiques propres et qu’elle aurait été persécutée à ce titre par la police. Elle invoque, à titre subsidiaire, les activités politiques que son frère ainsi que son père auraient eues et que les persécutions subies par ses proches parents seraient susceptibles de justifier dans son chef une crainte légitime de subir le même sort. Elle conclut qu’un retour forcé dans son pays d’origine l’exposerait à un risque certain de persécution par le régime politique actuel et constituerait dès lors un danger sérieux pour sa personne.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame DEDA et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait 3 de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n°9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame DEDA lors de ses auditions des 23 février et 17 mars 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant l’argument de Madame DEDA tel que développé dans son recours contentieux, basé sur ses prétendues activités politiques, force est de constater que Madame DEDA a déclaré lors de son audition qu’elle n’était pas membre d’un parti politique, qu’elle n’avait aucune activité politique, mais qu’elle avait néanmoins participé à « 2 ou 3 manifestations ». Elle précise dans ce contexte encore ce qui suit : « J’ai tout simplement participé aux manifestations du fait que je suis contre le parti Communiste. La police était venue pour garder l’ordre, mais j’ai constaté que la police voulait empêcher le déroulement normal des manifestations. J’ai aussi à titre personnel reçu des coups de matraques lors de ces manifestations (en 1993) ». Comme Madame DEDA n’a pas apporté d’autres précisions quant à ses prétendues activités politiques à l’exception de ce qu’elle aurait participé à des manifestations, force est de retenir que le fait d’avoir participé à des manifestations, non autrement spécifiées, est insuffisante pour établir qu’elle aurait le cas échéant joué un rôle actif au sein du parti démocratique. Or, les faits allégués ne constituent pas, à eux seuls, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié, la demanderesses n’ayant par ailleurs pas établi ni même allégué avoir joué un rôle actif au sein d’un parti politique.

Les autres éléments mis en avant par la demanderesse, à savoir le fait que sa famille aurait été « mise en isolement » de 1960 à 1965 par le régime communiste, que son père aurait 4 été incarcéré de 1960 à 1973 pour des motifs politiques, et que son frère aurait également été incarcéré de 1989 à 1990 pour ces mêmes raisons, sont des faits qui – à les supposer établis – pourraient tout au plus documenter que sa famille avait fait l’objet, dans le passé, d’une persécution de la part du régime communiste, mais ces faits, à eux seuls, ne sont pas de nature à établir dans son chef un risque actuel de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il échet encore de retenir que Madame DEDA avait précisé lors de son audition que sa famille et elle n’auraient plus eu de « problèmes » jusqu’en 1997, année où les communistes ont repris le pouvoir ».

Concernant les événements qui se seraient déroulés de 1997 jusqu’au jour de son départ qui aurait eu lieu le 30 juillet 1998, à savoir qu’elle aurait subi des « pressions de la part du régime communiste qui se traduisaient en visite par la police à notre domicile », événements ayant été précisés par elle comme suit : « La police faisait de nouveau du chantage en affirmant de nous remettre en isolement comme jadis. La police est venue à plusieurs reprises à notre domicile pour à chaque fois répéter les mêmes questions. Je n’ai jamais été maltraité par la police. Depuis le départ de mon frère DEDA Cesk pour se réfugier au Luxembourg, les policiers posaient également la question sur mon frère », le tribunal retient que la demanderesse n’a pas fait valoir des éléments suffisamment précis et circonstanciés desquels il se dégage que, considérée individuellement et concrètement, elle risque de subir des traitements discriminatoires, de sorte qu’en l’espèce, en l’absence d’un quelconque élément individuel et concret, la crainte exprimée par la demanderesse s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, les prédits faits ne sont pas d’une gravité telle qu’ils seraient de nature à rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine et ne dénotent pas une persécution de nature à justifier une crainte pour une des raisons énoncées à l’article 1er de la Convention de Genève.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

5 M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12779
Date de la décision : 12/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-12;12779 ?

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