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12/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12760

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2001, 12760


Tribunal administratif N° 12760 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 janvier 2001 Audience publique du 12 juillet 2001

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Recours formé par Madame … HALIJAJ contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12760 et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 janvier 2001 par Maître Martine SCHAEFFER, avocat à la Cour, assistée de Maître Gilles DORNSEIFFER, avocat,

tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … HALIJAJ,...

Tribunal administratif N° 12760 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 janvier 2001 Audience publique du 12 juillet 2001

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Recours formé par Madame … HALIJAJ contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12760 et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 janvier 2001 par Maître Martine SCHAEFFER, avocat à la Cour, assistée de Maître Gilles DORNSEIFFER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … HALIJAJ, née le … à Decan (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 décembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que subsidiairement à la réformation d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux par le prédit ministre en date du 22 septembre 2000;

Vu la lettre du bâtonnier de l’Ordre des avocats à Luxembourg du 16 novembre 2000, déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2001, dont il ressort que Madame HALIJAJ bénéficie de l’assistance judiciaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mars 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Gilles DORNSEIFFER ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 15 mars 1999, Madame … HALIJAJ, préqualifiée, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 En date du même jour Madame HALIJAJ fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Madame HALIJAJ fut ensuite entendue le 20 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 22 septembre 2000, notifiée le 6 novembre 2000, le ministre de la Justice informa Madame HALIJAJ de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivée au Luxembourg le 15 mars 1999 vers 5.00 heures.

Vous exposez avoir quitté le Kosovo en raison de la guerre.

Vous expliquez avoir peur des militaires serbes. Vous n’auriez plus de maison et il y aurait toujours des gens qui seraient tués dans votre pays.

Force est cependant de constater que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l'origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Par ailleurs des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

Dans ces circonstances vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d’origine.

Les seules difficultés matérielles que vous invoquez ne sauraient justifier l’octroi du statut de réfugié.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

(…) ».

Par lettre du 4 décembre 2000, Madame HALIJAJ introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 22 septembre 2000.

Par décision du 14 décembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

2 Par requête déposée en date du 11 janvier 2001, Madame HALIJAJ a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation de la décision ministérielle précitée du 14 décembre 2000 et subsidiairement à la réformation de la décision également précitée du 22 septembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

S’il est vrai que dans sa requête introductive d’instance, la demanderesse indique diriger son recours principalement contre la décision confirmative du 14 décembre 2000 et subsidiairement contre la décision initiale du 22 septembre 2000, il y a lieu de considérer les deux décisions comme formant un tout indivisible dans la mesure où la décision confirmative ne fait que confirmer purement et simplement la décision initiale et où par ailleurs la décision confirmative se réfère implicitement mais nécessairement aux mêmes motifs que ceux se trouvant à la base de la première décision.

Au fond, la demanderesse fait exposer qu’elle serait née au Kosovo, mais qu’au moment où le conflit armé en Yougoslavie a éclaté, elle aurait résidé au Monténégro et qu’elle aurait quitté ce pays afin d’y échapper aux représailles éventuelles dirigées contre sa personne.

Elle indique ainsi plus particulièrement que sa maison d’habitation aurait été entièrement détruite et qu’en raison de sa confession musulmane, elle serait exposée « aux dangers réels et existants qui [l’] attendraient dans le cadre d’un retour dans son pays ». Elle fait encore valoir qu’elle ne pourrait rentrer ni au Monténégro ni au Kosovo, étant donné qu’elle serait perçue dans ce dernier pays comme étant « un traître ayant lâchement fui son pays en détresse » et qu’au Monténégro elle serait considérée comme une « représentante du peuple à cause duquel le Monténégro a été entraîné à la guerre malgré son souhait de rester en dehors de ce conflit ».

Enfin, elle se base sur la situation générale régnant au Kosovo où des affrontements violents entre les différentes populations et ethnies pourraient encore être constatés quotidiennement. Par ailleurs, la situation actuelle au Monténégro serait « tendue à cause des tendances d’indépendance vis-à-vis de la Serbie ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame HALIJAJ et que son recours laisserait d’être fondé.

Force est de constater que suivant les déclarations fournies par la demanderesse, celle-

ci est originaire du Monténégro. Partant, sa situation individuelle sera analysée au vu des risques de persécution ou persécutions qu’elle a pu encourir dans ce pays, sans que le tribunal ne soit amené à prendre en considération le fait qu’elle soit née au Kosovo, alors qu’elle a quitté celui-ci à une date non autrement spécifiée pour se rendre au Monténégro où elle a vécu d’une manière régulière avant de prendre la fuite pour le Luxembourg.

3 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Madame HALIJAJ.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame HALIJAJ lors de son audition en date du 20 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il échet de constater que la demanderesse n’invoque que des motifs tirés de la situation générale existant dans son pays d’origine, à savoir le Monténégro, sans apporter des éléments permettant d’établir qu’elle, considérée individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires en raison de son appartenance à la minorité musulmane résidant au Monténégro ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé, de sorte que sa crainte y afférente qu’elle a exprimée s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Elle n’a partant pas établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable au Monténégro.

En l’absence d’autres éléments apportés par la demanderesse, il échet de conclure que celle-ci reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève, dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique. Partant, le recours en réformation est à déclarer non fondé.

Par ces motifs, 4 le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

donne acte à la demanderesse qu’elle bénéficie de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12760
Date de la décision : 12/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-12;12760 ?

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