Tribunal administratif N° 12746 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 janvier 2001 Audience publique du 12 juillet 2001
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Recours formé par Monsieur … RAMDEDOVIC et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 12746 du rôle, déposée le 9 janvier 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent HARGARTEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RAMDEDOVIC, né le … à Lagatore (Monténégro), et de son épouse, Madame … …, née le … à Bérane (Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, … et … RAMDEDOVIC, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 20 septembre 2000 par laquelle leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique a été déclarée non fondée ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2001;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Laurent HARGARTEN ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 19 octobre 1998, Madame … …, épouse RAMDEDOVIC, agissant tant en son nom personnel qu’en nom et pour compte de ses enfants mineurs …, …, … et … RAMDEDOVIC, tous préqualifiés, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
En date du même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Une demande tendant aux mêmes fins fut introduite en date du 22 mars 1999 par Monsieur … RAMDEDOVIC, préqualifié, dans le cadre de laquelle il fut également entendu par un agent du service de police judiciaire sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Monsieur RAMDEDOVIC et Madame … furent entendus séparément en date du 26 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile.
Le ministre de la Justice informa les époux RAMDEDOVIC-…, par lettre du 20 septembre 2000, notifiée en date du 6 novembre 2000, que leurs demandes avaient été rejetées aux motifs suivants : « (…)Il résulte de vos déclarations, Madame, qu'en date du 17 octobre 1998 vous avez quitté, en compagnie de vos quatre enfants, Lagatore pour vous rendre chez votre soeur à Rozaje. Le soir même, vous avez pris place à bord d'une camionnette de couleur rouge qui vous a conduits jusqu'au Luxembourg où vous êtes arrivés tôt le matin du 19 octobre 2000. Vous vous rappelez avoir transité par la Hongrie, mais vous ne pouvez pas donner d'autres renseignements sur le trajet emprunté. Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le jour de votre arrivée.
En ce qui vous concerne, Monsieur, vous dites avoir quitté, ensemble avec votre cousin, Ramdedovic Dejan, votre domicile au Monténégro environ quatre jours avant votre arrivée au Luxembourg. Vous avez pris le train jusqu'à Subotica où vous avez trouvé des passeurs pour vous emmener en Hongrie. Vous avez traversé la frontière hongroise à pied. Vous avez ensuite transité par l'Autriche et l'Allemagne pour arriver au Luxembourg le 22 mars 1999. Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le jour de votre arrivée.
Vous exposez, Monsieur, que vous avez reçu un appel pour la réserve le 15 juillet 1998. Vous vous êtes présenté et votre unité a été stationnée à Plav, à la frontière entre le Monténégro et le Kosovo. Après trois jours, vous avez déserté de l’armée et vous vous êtes rendu chez de la famille à Rozaje. Vous dites avoir déserté parce que vous ne supportiez plus le comportement des réservistes qui volaient dans les maisons et qui chantaient des chansons pour injurier les musulmans. Vous aviez également peur que vos compagnons du régiment découvrent que vous êtes musulman et qu'ils vous tuent.
Même en cas d'amnistie générale, vous n'envisagez pas de retourner dans votre pays.
Il résulte également de vos déclarations que vous n'êtes pas membre d'un parti politique. Vous estimez, que tant que Milosevic est au pouvoir, la politique discriminatoire à l'égard des musulmans ne va pas cesser et qu'il n'y aura pas de place dans votre pays pour les gens de confession musulmane.
En ce qui vous concerne, Madame, vous invoquez les mauvaises conditions de vie pour les musulmans comme motif de votre départ de votre pays d'origine. Vous prétendez également que depuis que votre mari a déserté de l'armée, la police militaire serait 2 venue tous les jours à la maison. Vous dites que lors de ces visites, les policiers vous auraient insultée.
Concernant le motif invoqué à l'appui de votre demande d'asile par vous, Monsieur, à savoir la crainte d'une sanction pénale pour désertion, je souligne que la crainte de peines du chef de désertion ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu'elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d'être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.
En ce qui concerne la situation particulière des ressortissants de confession musulmane au Monténégro, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d'asile, qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, il ne se dégage pas de vos allégations à tous les deux, qui ne sont d'ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquez d'être persécutés pour un des motifs énumérés par l'article ler, A., §2 de la Convention de Genève.
Par conséquent vous n'alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.
Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève (…) ».
Un recours gracieux daté du 7 décembre 2000, réceptionné par le ministère de la Justice en date du 8 décembre 2000, formulé par le mandataire des époux RAMDEDOVIC-…, et dirigé contre la décision ministérielle précitée du 20 septembre 2000, fut rejeté par une décision confirmative du 13 décembre 2000.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 janvier 2001, les époux RAMDEDOVIC-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants …, …, … et … RAMDEDOVIC, ont fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle précitée du 20 septembre 2000.
Encore que les demandeurs entendent exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.
d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection 3 temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Il s’ensuit que le recours principal en annulation est à déclarer irrecevable.
Le recours en réformation introduit en ordre subsidiaire ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Les demandeurs concluent d’abord à l’annulation de la décision précitée du 20 septembre 2000, au motif qu’au cours de la procédure d’instruction ayant abouti à la décision incriminée, ils n’auraient pas été informés de leur droit de choisir un avocat ou de se faire désigner un avocat par le bâtonnier de l’Ordre des avocats, en violation de la loi précitée du 3 avril 1996.
Il ressort de l’article 5 de la loi précitée du 3 avril 1996 que « le demandeur d’asile est informé de son droit de se faire assister à titre gratuit d’un interprète et de son droit de choisir un avocat inscrit au tableau de l’un des barreaux établis au Grand-
Duché de Luxembourg ou de se faire désigner un avocat par le bâtonnier de l’Ordre des avocats.
Le fait que ladite information a été donnée au demandeur d’asile devra ressortir du dossier ».
C’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen d’annulation en soutenant que tant Monsieur RAMDEDOVIC que Madame … ont été informés au début de leurs auditions respectives ayant eu lieu en date du 26 juillet 1999 de leur « droit à l’assistance d’un avocat à titre gratuit pour l’instruction de [leurs] demandes en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ». En effet, cette information ressort des deux comptes rendus précités relatifs aux auditions du 26 juillet 1999, dûment signés par les demandeurs en présence d’un interprète. Il ressort encore des deux comptes rendus que chacun d’eux a déclaré séparément « ne pas avoir besoin d’un avocat pour l’audition [de ce jour] » tout en prenant acte de ce que « à tout moment ultérieur de la procédure [ils pourraient] faire valoir [leur] droit d’assistance juridique ».
Il y a partant lieu de rejeter ce moyen comme n’étant pas fondé.
Les demandeurs concluent encore à l’annulation de la décision incriminée du 20 septembre 2000 dans la mesure où elle a été signée « pour le ministre de la Justice », suivie d’une signature et de la mention « conseiller de direction première classe », sans qu’il leur aurait été possible de vérifier l’identité exacte du signataire de ladite décision.
Par ailleurs, le signataire de la décision aurait violé non seulement la délégation de signature émanant du ministre de la Justice datée du 4 février 1998, par laquelle il a été autorisé à signer par la formule suivante : « pour le ministre de la Justice, Sylvain WAGNER, conseiller de direction première classe », mais également les articles 2 et 3 de l’ordonnance grand-ducale modifiée du 31 janvier 1970 concernant les délégations de signature par le Gouvernement. Ils concluent partant à l’incompétence du fonctionnaire ayant signé la décision déférée, en ce qu’il aurait violé sa délégation de signature et qu’il aurait en outre « manifestement [dépassé] l’habilitation législative », en s’abstenant de s’identifier conformément à la délégation qui lui a été conférée par le ministre.
4 Le délégué du gouvernement soutient que cette argumentation serait dépourvue de pertinence dans la mesure où les demandeurs auraient pu s’enquérir sur l’identité du signataire de la décision en procédant aux vérifications appropriées auprès du ministère d’Etat et où l’identité du signataire de la décision ministérielle sous analyse a été précisée en cours d’instance.
Le représentant étatique fait encore valoir que le fait de ne pas avoir signé par la formule prévue par la délégation de signature ne saurait être sanctionné par l’annulation pure et simple de la décision querellée, mais que ce fait pourrait tout au plus être assimilé à un défaut de motivation, entraînant que les délais de recours contentieux ne courent pas.
Enfin, il expose que les demandeurs n’auraient pas spécifié en quoi l’ordonnance grand-ducale précitée du 31 janvier 1970 n’aurait pas été respectée.
Il est constant en cause que la décision incriminée a été signée par Monsieur Sylvain WAGNER en sa qualité de conseiller de direction première classe, bénéficiant d’une délégation de signature émise par le ministre de la Justice en date du 4 février 1998, laquelle contient la formule de signature ci-après énoncée : « pour le ministre de la Justice, Sylvain WAGNER, conseiller de direction première classe ».
D’après l’article 2, alinéa 1er de l’ordonnance grand-ducale précitée du 31 janvier 1970 « les délégations de signature sont écrites et formelles ». Par ailleurs, l’article 3, alinéas 2 et 3 de la même ordonnance grand-ducale, dispose que « le projet de toute délégation de signature est soumis à l’avis du ministre d’Etat. Une expédition de toute délégation de signature est déposée, avec un spécimen de la signature du fonctionnaire délégué, au ministère d’Etat qui en donne communication aux services publics intéressés.
Toute personne justifiant d’un intérêt légitime peut en obtenir connaissance ».
Un administré qui conteste la qualité du signataire d’un acte administratif doit spécifier en quoi les dispositions de l’ordonnance grand-ducale précitée du 31 janvier 1970 n’ont pas été respectées. Il lui appartient, le cas échéant, de s’enquérir au ministère d’Etat si la signature apposée sur la décision attaquée est conforme au spécimen de la signature du fonctionnaire délégué, conformément à l’article 3 de l’ordonnance précitée (trib. adm. 27 février 1997, n° 9605 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Actes administratifs, V. Divers, n° 39, p. 23 et autres références y citées).
Dans leur requête introductive d’instance, les demandeurs reprochent au signataire de la décision critiquée de ne pas avoir respecté les modalités de la prédite délégation de signature en ne mentionnant pas ses nom et prénom dans la formule de signature apposée sur la décision sous analyse.
Il échet tout d’abord de relever que les parties à l’instance ne contestent pas que la décision critiquée du 20 septembre 2000 a été signée par Monsieur Sylvain WAGNER, en sa qualité de conseiller de direction première classe, en indiquant comme formule de signature « pour le ministre de la Justice, conseiller de direction première classe ».
Il n’est en outre pas contesté que Monsieur WAGNER bénéficiait, au moment de la signature de la prédite décision, d’une délégation de signature émise par le ministre de la Justice en date du 4 février 1998, en vertu de laquelle il était autorisé à « signer toutes 5 affaires relatives aux attributions du Ministère de la Justice, pour autant qu’à son jugement ces pièces correspondent à la politique établie par le Ministre et ne requièrent pas son attention personnelle », avec la spécification que ladite délégation « ne comprend pas les affaires financières ».
Il est vrai qu’un administré peut avoir intérêt à vérifier l’identité de la personne ayant signé la décision lui adressée, notamment afin d’être en mesure d’examiner si la personne en question avait pouvoir de ce faire et qu’en tant que personne justifiant d’un intérêt légitime pour prendre connaissance d’une éventuelle délégation de signature émise en faveur du signataire de la décision en question, il est autorisé, sur base de l’article 3, alinéa 3 de l’ordonnance grand-ducale précitée du 30 janvier 1970, à prendre inspection de l’éventuelle délégation de signature auprès des services du ministère d’Etat.
En ce qui concerne le moyen tiré d’une prétendue violation de l’article 2, alinéa 1er de la prédite ordonnance grand-ducale, en ce que le signataire de la décision sous analyse n’aurait pas respecté la formule de signature telle que figurant dans la délégation de signature précitée du 4 février 1998, force est de constater que la simple omission des nom et prénom du signataire d’une décision administrative, même au cas où cette indication figure dans la formule de signature telle qu’inscrite dans la délégation de signature afférente, ne constitue pas l’omission d’une formalité substantielle dont pourrait découler la nullité voire l’inexistence de la décision ainsi signée par le titulaire de la délégation, à condition bien entendu que le signataire en question dispose bien d’une délégation de signature pour prendre le type de décision en cause, hypothèse qui se trouve être vérifiée en l’espèce. Le moyen afférent est partant à rejeter.
Les demandeurs n’ayant pas précisé en quoi il y aurait eu violation de l’article 3 de l’ordonnance grand-ducale précitée du 31 janvier 1970, le tribunal n’a pas à prendre position par rapport au moyen tiré d’une prétendue violation de ladite disposition réglementaire.
Dans la mesure où les demandeurs critiquent encore la décision déférée dans la mesure où le ministre leur aurait à tort refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique, sans toutefois indiquer en quoi le ministre aurait violé la loi ou commis une erreur manifeste d’appréciation des faits, le tribunal est dans l’impossibilité de vérifier si le ministre de la Justice a exercé ses pouvoirs d’appréciation conformément à la loi, en l’absence d’une quelconque indication fournie par les demandeurs dans leur requête introductive d’instance et au cours des plaidoiries quant aux faits qui devraient justifier leur persécution ou leur risque de persécution au sens de la Convention de Genève et partant le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport au fond de l’affaire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours en annulation irrecevable ;
6 reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 12 juillet 2001 par le vice-président, en présence de M.
Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 7