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12/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12628

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2001, 12628


Tribunal administratif N° 12628 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 décembre 2000 Audience publique du 12 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … RASTODER, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12628 et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2000 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale PETOUD, avocat, tous les deux inscrits a

u tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RASTODER, né le … à Vitomi...

Tribunal administratif N° 12628 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 décembre 2000 Audience publique du 12 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … RASTODER, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12628 et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2000 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale PETOUD, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RASTODER, né le … à Vitomirica/Pec (Kosovo), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 5 juin 2000, notifiée le 17 juillet 2000, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, d’une décision implicite de refus résultant du silence gardé par le ministre de la Justice pendant plus de 3 mois suite au recours gracieux introduit le 16 août 2000, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 22 novembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé en date du 8 mars 2001 au nom de Monsieur RASTODER ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Pascale PETOUD, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 12 mars 1999, Monsieur … RASTODER, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur RASTODER fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi qu’en date du 17 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 5 juin 2000, notifiée le 17 juillet 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur RASTODER de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Vous affirmez avoir quitté le Kosovo à cause de l’imminence d’une convocation pour l’armée fédérale yougoslave et à cause de la guerre en précisant que vous ne voulez pas tuer d’autres musulmans. Vous faites également état d’une peur générale vis-à-

vis des Serbes et des Albanais, cette peur étant liée à votre confession musulmane. A cet effet, vous exposez avoir été arrêté à plusieurs reprises par la police serbe. Fin 1998, la police vous aurait arrêté durant des manifestations d’Albanais parce qu’elle pensait que vous étiez de nationalité albanaise. Puisque vous n’étiez pas en mesure de vous identifier, la police vous aurait alors giflé et traité de « turc ».

Quant aux motifs invoqués à l’appui de votre demande, il y a lieu de relever que l’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. Concernant la crainte de devoir tuer d’autres musulmans et donc de participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience, il ne ressort pas des éléments du dossier, que vous risquez de devoir participer effectivement et actuellement à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables.

En effet, l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes ont quitté le Kosovo et une force internationale de paix y est installée.

Concernant les craintes invoquées à l’égard des Serbes et des Albanais, il y a lieu de noter que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. En ce qui concerne votre situation individuelle, vous restez en défaut d’établir de façon crédible que vous ayez été arrêté et giflé par la police en raison de votre confession musulmane. Or, même à supposer établis les événements invoqués, ils ne sont pas d’une gravité telle qu’ils rendraient votre vie intolérable dans votre pays d’origine et ne dénotent pas une persécution de nature à justifier une crainte pour un des motifs énoncés dans l’article 1er de la Convention de Genève.

Dans ces circonstances, je considère que vous ne faites pas état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre pays d’origine.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

2 Par courrier de son mandataire daté du 16 août 2000, Monsieur RASTODER forma un recours gracieux contre ladite décision ministérielle.

Par lettre du 22 novembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision du 5 juin 2000.

Par requête déposée en date du 15 décembre 2000, Monsieur RASTODER a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 5 juin et 22 novembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Kosovo, qu’il est de religion musulmane et qu’il fait partie de la minorité des « bochniaques », qu’en 1998, il aurait été arrêté par la police fédérale « pour sa ressemblance avec un Albanais », qu’il aurait été régulièrement insulté en raison de son appartenance à la minorité bosniaque du Kosovo, que face au risque d’être enrôlé dans l’armée fédérale yougoslave et d’être envoyé au front, il aurait préféré quitter son pays plutôt que « d’être dans l’obligation de tuer des Albanais, de confession musulmane, ou d’être à son tour l’objet de représailles ».

Il soutient que même à l’heure actuelle, en présence des forces internationales installées sur le territoire du Kosovo, sa vie y serait menacée, étant donné que les « Bochniaques » seraient considérés comme des traîtres tant par la communauté serbe, en raison de leur confession musulmane, que par la communauté albanaise, qui les accuserait d’avoir collaboré avec l’armée yougoslave et de parler une langue proche du serbo-croate.

Il fait encore préciser que sa crainte de persécution serait d’autant plus fondée, que des membres de sa famille, vivant dans la région de Pec auraient déjà été maltraités voire tués. Par ailleurs, un « certain Nako RASTODER, habitant la région de Pec, ancien membre du parti du président Milosevic (SPS) est fortement soupçonné d’avoir collaboré avec l’armée fédérale yougoslave lors de son intervention au Kosovo », de sorte que le fait de porter le même nom patronymique constituerait « un risque pour la vie du requérant auquel la force de l’ONU ne pourra faire face alors qu’elle reste impuissante à assurer la sécurité de chaque individu ».

Il estime qu’au vu de ces faits, il lui serait impossible de retourner au Kosovo, où sa sécurité ne serait pas garantie et où il devrait craindre pour sa santé et sa vie.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur RASTODER et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut 3 ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n°9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur RASTODER lors de son audition du 17 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place. Il suit du constat qui précède que le demandeur n’a, à l’heure actuelle, plus de raison de craindre dans son pays d’origine, à savoir le Kosovo, une persécution de la part des autorités serbes.

Force est encore de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce de la population albanaise et, plus particulièrement de groupuscules extrémistes et terroristes du Kosovo, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des 4 actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo. - Il convient de rappeler, dans ce contexte, en ce qui concerne la situation des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », que s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, discriminations voire pire par les groupuscules extrémistes et terroristes, mais elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité visée aurait de ce seul chef raison de craindre une persécution au sens de la Convention de Genève, mais il doit faire valoir des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir des traitements discriminatoires, de sorte qu’en l’espèce, en l’absence d’un quelconque élément individuel et concret, la crainte exprimée par le demandeur s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, le seul élément concret invoqué par le demandeur à la base de sa demande d’asile consiste à soutenir que des membres de sa famille auraient été persécutés « voire tués » et qu’un certain Nako RASTODER serait fortement soupçonné d’avoir collaboré avec l’armée fédérale yougoslave. Cependant à défaut d’avoir établi des circonstances particulières susceptibles de justifier dans son chef de subir le même sort - encore qu’en l’espèce le demandeur n’a même pas établi de façon suffisamment circonstanciée que des proches de sa famille ou le dénommé Nako RASTODER ont effectivement subi des persécutions pour une des raisons énoncées à l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève - il y a lieu de retenir qu’il n’existe aucun élément individuel et concret de nature à établir qu’il risque de subir des traitements discriminatoires pour une des raisons énoncées par la Convention de Genève.

Il convient enfin de relever que même à admettre qu’un retour dans la ville de Pec ou même au Kosovo ne soit plus concevable pour le demandeur, il reste également en défaut d’établir des raisons précises et suffisantes pour lesquelles il ne serait pas en mesure de s’installer au Monténégro, où il s’était déjà réfugié pendant la période allant de novembre 1998 à mars 1999 et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Il y a par ailleurs lieu de donner acte au demandeur que suivant la déclaration formulée par son mandataire dans la requête introductive d’instance, il bénéficie de l’assistance judiciaire.

5 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

donne acte au demandeur de ce qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12628
Date de la décision : 12/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-12;12628 ?

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