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11/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12962

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juillet 2001, 12962


Numéro 12962 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2001 Audience publique du 11 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … HUSOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12962 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2001 par Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, assis

tée de Maître Sophie BRONKART, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des a...

Numéro 12962 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2001 Audience publique du 11 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … HUSOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12962 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2001 par Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, assistée de Maître Sophie BRONKART, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HUSOVIC, né le … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 13 octobre 2000, notifiée le 23 janvier 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 avril 2001;

Vu la lettre du 8 février 2001 déposée au greffe du tribunal administratif par Maître Sophie BRONKART, par laquelle le tribunal est informé de ce que le demandeur a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sophie BRONKART et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 juillet 2001.

Le 25 octobre 1999, Monsieur … HUSOVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur HUSOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 10 novembre 1999, Monsieur HUSOVIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur HUSOVIC, par lettre datant du 13 octobre 2000, notifiée le 23 janvier 2001, de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

A l’encontre de cette décision, Monsieur HUSOVIC a fait introduire un recours en réformation par requête déposée en date du 23 février 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que le ministre n’aurait pas apprécié à ses justes proportions sa situation individuelle en ce qu’il serait indéniable que les différences ethniques et notamment religieuses préexistantes au Monténégro se seraient fortement accentuées après la fin de la guerre du Kosovo, de sorte que la population musulmane vivant au Monténégro, dont il ferait partie, subirait toujours de nombreuses persécutions provenant de la politique d’épuration ethnique du gouvernement serbe. Le demandeur fait valoir que l’hostilité ainsi alléguée à l’encontre de la population musulmane serait particulièrement répandue au sein de l’armée et que, enrôlé de force au mois de mars 1998 dans l’armée pour être envoyé par la suite en tant que réserviste au Kosovo durant une partie du conflit armé, il aurait subi tout au long de son service militaire des tortures et des traitements inhumains de la part de ses supérieurs en raison de sa religion. Le demandeur relève ainsi avoir reçu une balle dans sa cuisse pour avoir refusé d’obéir à son officier qui lui aurait enjoint d’infliger aux Albanais du Kosovo des traitements inhumains et que, après avoir été hospitalisé en Serbie pour traiter cette blessure, il aurait de nouveau été envoyé au Kosovo pour continuer son service militaire, dans le cadre duquel les traitements inhumains auraient alors repris. Après avoir été blessé une nouvelle fois à la main, le demandeur expose avoir préféré déserter de l’armée plutôt que de subir d’avantage de tortures et de traumatismes psychologiques. Il fait valoir que suite à sa désertion, il aurait dû se cacher chez des amis, alors que la police militaire l’aurait activement recherché et qu’encore actuellement la police militaire serait à sa recherche et se serait rendue à différentes reprises chez ses parents afin d’obtenir des renseignements à son sujet. Le demandeur estime que sa crainte de revivre la même situation traumatique par le retour à la caserne serait à assimiler à une crainte de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable au sens de la Convention de Genève. Il signale en outre que sa désertion lui vaudrait plus que certainement une peine de prison de trois à cinq ans en cas de retour dans son pays et que par ailleurs le respect des libertés de conscience et de religion ne serait pas garanti dans son pays d’origine.

2 Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 10 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur HUSOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent encore de lui être infligés dans le cadre de son service militaire, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait effectivement exécutée à son encontre.

Concernant ce dernier point, il convient en effet de relever que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur HUSOVIC n’établit pas que les condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie récemment votée par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont également, à travers les articles visés, ceux qui ont quitté le pays en vue de se soustraire à leurs obligations militaires.

Ensuite, concernant la situation du demandeur au Monténégro en raison de son appartenance à la communauté religieuse des musulmans, il est vrai que la situation générale des musulmans au Monténégro est difficile, mais elle n’est cependant pas telle que tout musulman, du seul fait de son appartenance à ladite minorité, aurait raison de craindre une persécution de la part des autorités en place, et, en l’espèce, il ne ressort pas des éléments du dossier que le demandeur, considéré individuellement et concrètement, risque 3 de subir des traitements discriminatoires en raison de son appartenance à ladite minorité ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé, de sorte que la crainte y afférente qu’il a exprimée s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, donne acte au demandeur qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juillet 2001 par:

Mme Lenert, premier juge Mme Lamesch, juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12962
Date de la décision : 11/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-11;12962 ?

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