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11/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12902

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juillet 2001, 12902


Tribunal administratif du N° 12902 du rôle Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 février 2001 Audience publique du 11 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … BUSKOVIC, …, et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 février 2001 par Monsieur … BUSKOVIC, né le … à Podgarica, et son épouse Madame … …, née

le … à Pec, et leurs enfants mineurs …, …, …, …, tous de nationalité yougoslave, tendant à la réformation et...

Tribunal administratif du N° 12902 du rôle Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 février 2001 Audience publique du 11 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … BUSKOVIC, …, et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 février 2001 par Monsieur … BUSKOVIC, né le … à Podgarica, et son épouse Madame … …, née le … à Pec, et leurs enfants mineurs …, …, …, …, tous de nationalité yougoslave, tendant à la réformation et d’une décision du ministre de la Justice du 12 octobre 2000, notifiée le 28 novembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique et d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre le 27 décembre 2000 ;

Vu le mémoire en réponse déposé le 12 avril 2001 par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif ;

Vu les pièces versées en cause et les décisions attaquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 juin 2001.

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En date des 10 novembre 1998 et 27 octobre 1999 Monsieur … BUSKOVIC et son épouse Madame … … et leurs enfants mineurs …, …, …, …, demeurant actuellement à Bettendorf, ont introduit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé” la Convention de Genève ".

Monsieur … BUSKOVIC et son épouse Madame … … ont été entendus en dates des 10 novembre 1998 et 27 octobre 1999 par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité.

Les 8 juin et 28 juillet 2000 ils ont été entendus par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 12 octobre 2000, notifiée le 28 novembre 2000, le ministre de la Justice les a informés de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Il résulte de vos déclarations que vous, Monsieur, vous êtes arrivé au Luxembourg le 27 octobre 1999 vers 6.30 heures.

Vous exposez avoir vécu clandestinement en Italie depuis 1994. Vous auriez eu des problèmes pendant la guerre de Bosnie. Fin hiver 1991 vous auriez déserté parce que vous auriez dû aller à Mostar.

Vous expliquez avoir été discriminé de la part des orthodoxes et des musulmans lorsque vous étiez dans l’armée. Vous auriez été arrêté et maltraité par la police de Berane en 1993.

Vous déclarez encore avoir reçu une convocation pour la réserve pendant la guerre du Kosovo.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari. Vous invoquez que la police civile et la police militaire seraient venus chez vous chercher votre mari et vous auriez été menacée à cette occasion.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, les problèmes que vous relatez, Monsieur, se situent surtout pendant la période de la guerre de Bosnie, qui s’est terminée en 1995.

Madame, les problèmes que vous auriez eus avec la police civile et la police militaire après le départ de votre mari pour l’Italie relèvent certes de pratiques condamnables, mais ne sauraient être suffisamment graves – même à les supposer établies – pour justifier l’octroi du statut de réfugié.

Il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité en raison de la nature mixte de votre mariage. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par courrier de leur mandataire datant du 28 décembre 2000, les époux BUSKOVIC -… et leurs enfants mineurs Anita, Ivana, Slobodan, Ivan ont fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée. Celui-ci s'étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 10 janvier 2001, ils ont fait introduire par requête déposée le 14 février 2001 un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 12 octobre 2001 et celle confirmative sur recours gracieux du 10 janvier 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l'appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu'ils sont originaires de Podgorica et sont de religion musulmane, qu'ils ont subi des persécutions et mauvais traitements dans leur pays d'origine, qu'ils étaient discriminés, que Monsieur BUSKOVIC a déserté de l'armée, qu'il ne voulait pas se battre contre ses beaux-frères, qu'actuellement il risque de subir du fait de cette désertion une peine disproportionnée allant jusqu'à 20 ans de prison.

Le délégué du gouvernement relève qu'une crainte "avec raison "d'être persécuté implique à la fois un élément subjectif et un élément objectif qui doivent tous les deux être pris en considération. La situation générale du pays d'origine ne justifie partant pas à elle seule la reconnaissance du statut de réfugié et que la simple appartenance à une minorité ethnique, en tant que telle, ne saurait suffire pour se voir accorder le statut de réfugié politique. Il estime que la même conclusion s’imposerait au sujet de la qualité d'insoumis et de déserteur invoqué par le demandeur. Il considère que le fait invoqué par les demandeurs dans leur requête, qu'ils seraient victimes de menaces, injures, humiliations de la part de leurs voisins serbes, à supposer que ces faits soient établis, ne présentent pas une gravité telle qu'ils justifient une crainte de persécution, que les voisins serbes ne sont pas considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.Il fait valoir que la simple appartenance à une minorité religieuse, en tant que telle, ne saurait suffire pour se voir accorder le statut de réfugié politique. Il estime que le motif en question ne serait pas de nature à rendre la vie des requérants intolérable dans leur pays d’origine et ne dénoterait pas non plus une persécution de nature à justifier une crainte pour un des motifs énoncés par la Convention de Genève dans leur chef.

Il donne encore à considérer que dans le cadre d'un recours en réformation il ne saurait être passé outre la nouvelle situation politique qui règne en République Fédérale yougoslave, non seulement un nouveau Président ayant été démocratiquement élu et un nouveau gouvernement formé, mais en outre, la République Fédérale Yougoslave faisant de nouveau partie de certaines organisations internationales à l'instar de l'ONU.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “réfugié” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner “.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur BUSKOVIC et son épouse Madame … lors de leurs auditions en date des 8 juin et 28 juillet 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit l’existence dans leur chef d’une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant le motif de l’insoumission invoqué par le demandeur Monsieur BUSKOVIC, force est de constater que l’insoumission ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A de la Convention de Genève.En effet, au-delà du fait que le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit avoir déserté l’armée fédérale yougoslave pour des raisons de conscience valables susceptibles de justifier, en application de la Convention de Genève, la reconnaissance du statut de réfugié politique, il reste encore en défaut d'établir, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie, qu’une condamnation pour insoumission, le cas échéant encourue, serait effectivement exécutée à son encontre.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef de une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, Monsieur BUSKOVIC … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de l'appartenance de son épouse à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la peine - d’emprisonnement - éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Par ailleurs, le parlement de la République fédérale yougoslave a voté une loi d’amnistie qui rend improbable une condamnation pour insoumission ou désertion.

Concernant les autres déclarations faites par les demandeurs, notamment quant à leur peur à l’égard d’une partie de la population serbe en raison de la religion musulmane de Madame … …, il échet de constater qu’elles constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que leur vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de leurs auditions respectives, ils n’ont fourni aucune indication précise à ce sujet, qu’ils ont indiqué ne pas avoir été accusés d’un crime ou d’un délit, ni incarcérés avec ou sans jugement et qu’ils n’établissent aucun fait d’une gravité suffisante pour constituer un motif justifiant dans leur chef une crainte légitime d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur religion musulmane ou pour un des autres motifs visés par la Convention de Genève.

Pour le surplus, le tribunal est amené à constater que les déclarations et récits des demandeurs restent vagues et qu’ils n’ont pas apporté suffisamment de précisions quant aux persécutions qu’ils risqueraient personnellement de subir du fait de leur appartenance ethnique et de leurs convictions religieuses, de sorte qu’il convient de conclure qu’ils n’ont pas fait état de persécutions vécues ou d’une crainte qui seraient telles que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par M. Ravarani, président, Mme. Maas, juge suppléant, Mme. Pauly, juge suppléant et lu à l’audience publique du 11 juillet 2001 par Monsieur le président, en présence de M.

Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Ravarani


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12902
Date de la décision : 11/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-11;12902 ?

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