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11/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12668

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juillet 2001, 12668


Tribunal administratif N° 12668 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2000 Audience publique du 11 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … RAMA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12668 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2000 par Maître Claudie PISANA, avocat à la Cour, inscr

it au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RAMA, né le … à Mitrovica (Ko...

Tribunal administratif N° 12668 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2000 Audience publique du 11 juillet 2001

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Recours formé par Monsieur … RAMA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12668 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2000 par Maître Claudie PISANA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RAMA, né le … à Mitrovica (Kosovo/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 9 octobre 2000, notifiée en date du 28 novembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er février 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Claudie PISANA et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 mai 2001 ;

Vu la rupture du délibéré prononcée en date du 18 mai 2001 afin de permettre au mandataire du demandeur de prendre connaissance de la traduction rectifiée de la loi d’amnistie du 26 février 2001 de la République Fédérale Yougoslave versée au dossier par le délégué du Gouvernement ;

Ouï Maître Claudie PISANA et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries complémentaires en date du 28 mai 2001.

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Le 10 juin 1998, Monsieur … RAMA, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, 1 approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur RAMA fut entendu en date du 18 juin 1998 par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur RAMA fut en outre entendu le 15 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 9 octobre 2000, notifiée en date du 28 novembre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur RAMA de ce que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« Il résulte de vos déclarations faites à l’agent du ministère de la Justice que vous n’avez pas fait votre service militaire. Vous avez cependant été appelé en 1992 mais vous ne vous êtes pas présenté, préférant quitter le pays pour venir au Luxembourg. Vous ajoutez que par la suite, vous n’avez plus été appelé par l’armée.

Vous dites avoir été membre du parti politique LDK mais sans être politiquement actif.

En ce qui concerne les persécutions que vous auriez subies, vous exposez que, quand vous êtes rentré au Kosovo en 1997, vous auriez été accusé d’avoir eu des activités d’opposant au régime, en d’autres termes d’avoir été membre de l’UCK. Vous précisez avoir été battu à plusieurs reprises par la police, et vous dites que votre père aurait subi le même sort après votre départ. Vous ajoutez que votre sœur aurait été tuée par des paramilitaires lors de la guerre du Kosovo.

Suite aux accusations dont vous auriez été l’objet, vous dites que vous auriez été traduit devant le tribunal militaire de Mitrovica et vous invoquez un jugement vous condamnant à trois ans de prison pour activités terroristes pour le compte de l’UCK. Vous dites que cette condamnation vous effraye et que la ville de Mitrovica n’est toujours pas sûre.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui établit, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

S’il est vrai qu’au moment de votre départ pour le Luxembourg en 1998, la situation des Albanais du Kosovo était précaire, tel n’est plus le cas actuellement. L’organisation UCK a été régulièrement démilitarisée et la force internationale qui, sous l’égide des Nations Unies, est installée dans cette région, assure la coexistence pacifique des différentes communautés ethniques.

Vous n’alléguez donc aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social n’est pas établie.

2 Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2000, Monsieur RAMA a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 9 octobre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il aurait été condamné à une peine d’emprisonnement ferme de trois ans pour des faits qui ne seraient pas spécifiés avec précision dans le jugement fort sommaire à d’autres égards, puisqu’on n’y trouverait aucune mention des preuves sur lesquelles il serait basé, sous des apparences trompeuses de légalisme formel, mais que ces faits seraient indubitablement à relier à ses opinions politiques, de sorte que l’exécution du jugement, qui pourrait se faire à tout moment en cas de retour dans son pays d’origine, le mettrait dans la situation d’avoir à subir une persécution en raison de ses opinions politiques.

Le demandeur relève en outre qu’un point du dossier aurait été insuffisamment instruit, en l’occurrence celui ayant trait à l’assassinat de sa sœur qui aurait eu lieu après l’entrée de la KFOR sur le territoire. Il signale encore à cet égard que sa famille n’aurait toujours pas pu procéder aux funérailles de sa soeur, apparemment à cause d’une enquête en cours, et qu’il serait dès lors « osé » d’affirmer que l’installation d’une force internationale au Kosovo serait de nature à assurer la coexistence pacifique des différentes communautés ethniques dans ce pays. Le demandeur signale par ailleurs que son domicile familial se trouverait dans la partie serbe de la ville de Mitrovica pour soutenir que le risque de représailles dans son chef serait d’autant plus grand de par ce détail géographique, lequel revêtirait une grande importance à cet égard.

Le délégué du Gouvernement rétorque que la situation générale du pays d’origine ne justifierait pas à elle seule la reconnaissance du statut de réfugié et que, relativement aux persécutions par les Serbes invoquées par le demandeur, il y aurait lieu de constater que l’armée yougoslave a quitté le Kosovo et qu’une force internationale de paix y est installée, de sorte qu’un risque de persécution par les autorités yougoslaves n’existerait plus à l’heure actuelle. Concernant plus particulièrement le décès de la sœur du demandeur, le représentant étatique fait valoir que la situation au Kosovo se serait largement calmée depuis 1999 et que, même à supposer que le demandeur soit persécuté dans le quartier serbe de Mitrovica, il resterait toutefois en défaut de prouver qu’il lui serait impossible de s’installer soit dans un autre quartier de Mitrovica, soit dans une autre partie du Kosovo pour profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait 3 de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur RAMA lors de son audition en date du 15 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

C’est en effet à juste titre que le ministre a relevé dans la décision déférée que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine de répressions et d’exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire et qu’une force internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies s’y est installée, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies a été mise en place.

Concernant la condamnation pénale invoquée par le demandeur à l’appui de sa demande, dont le jugement afférent est versé en copie au dossier, force est de constater que même en admettant l’authenticité de l’original dudit document non versé en tant que tel, l’affirmation du demandeur que cette condamnation pénale serait intervenue en raison de ses seules activités politiques n’est pas suffisamment précise pour permettre de conclure, au regard notamment des chefs d’accusation effectivement portés contre le demandeur, que cette peine revête un caractère disproportionné et s’analyse de ce fait effectivement en un acte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Cet élément de preuve n’emporte dès lors pas la conviction du tribunal en tant qu’indice suffisamment précis pour corroborer utilement le caractère justifié de la crainte éprouvée par le demandeur relative à des poursuites disproportionnées à son égard de la part du pouvoir en place en raison de son activité politique.

Quant à l’assassinat de la sœur du demandeur et à la crainte de persécution s’en dégageant dans son chef, force est encore de constater que cette crainte ne peut s’analyser qu’en une crainte de persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne saurait dès lors être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si 4 la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les éléments du dossier ne permettent pas de retenir que le demandeur ait concrètement recherché la protection des autorités en place dans son pays, ni l’incapacité de ces dernières pour lui assurer un niveau de protection suffisant, ni encore le défaut de toute poursuite des actes de persécution allégués comme ayant été commis à l’encontre de sa sœur.

Il convient enfin de relever que le demandeur reste en défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles il ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre partie du Kosovo et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juillet 2001 par:

M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge 5 en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Campill 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12668
Date de la décision : 11/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-11;12668 ?

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