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11/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12665

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juillet 2001, 12665


Numéro 12665 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 décembre 2000 Audience publique du 11 juillet 2001 Recours formé par les époux … RASTODER et … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12665 du rôle, déposée le 21 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Fabienne MONDOT, avocat

à la Cour, assistée de Maître Anita WILLMANN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l...

Numéro 12665 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 décembre 2000 Audience publique du 11 juillet 2001 Recours formé par les époux … RASTODER et … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12665 du rôle, déposée le 21 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Fabienne MONDOT, avocat à la Cour, assistée de Maître Anita WILLMANN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RASTODER, né le … à Radmance (Monténégro), et de son épouse, Madame … …, née le … à Trepez (Monténégro), les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 6 novembre 2000 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er février 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Christian GAILLOT et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 avril 2001.

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Le 12 avril 1999, Monsieur … RASTODER et son épouse, Madame … …, préqualifiés, agissant en leur nom personnel et en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux RASTODER-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Monsieur RASTODER fut entendu en date du 13 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, tandis que l’audition de correspondante de Madame RASTODER eut lieu le 15 suivant.

Le ministre de la Justice informa les époux RASTODER-…, par lettre du 6 novembre 2000, notifiée en date du 21 novembre 2000, que leur demande avait été rejetée au motif qu’il ne se dégagerait pas de leurs allégations qu’ils risqueraient d’être persécutés pour une des raisons énumérées par l’article 1er A § 2 de la Convention de Genève.

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet, les consorts RASTODER-… ont fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 21 décembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être originaires d’une région du Monténégro peuplée par une majorité de Serbes, de religion orthodoxe, tandis qu’eux-

mêmes feraient partie de la communauté musulmane. Ils se prévalent en premier lieu de leur crainte à l’égard de la majorité serbe dans leur région et dans leur village d’origine qui éprouverait « une indestructible rancœur à l’égard de toute autre population non orthodoxe et qui de plus est non serbe » et ils renvoient au fait qu’une bombe aurait été placée par une « personne en civil » dans la voiture de Monsieur RASTODER. Ils font valoir en deuxième lieu avoir fait l’objet de persécutions de la part de la police, laquelle serait encore dominée au niveau local par des Serbes, et notamment aux « soubresauts d’humeur d’un commandant de la police locale qui, au moindre des déplacements [de Monsieur RASTODER], lui demandait et de lui présenter ses papiers d’identité et de lui justifier du lieu de sa destination », de même qu’à des refus réitérés de l’administration de lui délivrer des documents officiels sans rétribution. Les demandeurs se fondent encore sur l’appartenance de Monsieur RASTODER au parti politique SDA et sur son rôle actif au niveau local en faveur de ce parti, en faisant valoir que cet engagement aurait eu pour conséquence des perquisitions répétées et arbitraires ainsi que d’autres mesures d’harcèlement de la part de la police serbe. Ils signalent par ailleurs qu’un cousin de Monsieur RASTODER aurait disparu de chez lui au début de l’année 1999 et aurait été retrouvé assassiné quelques jours plus tard.

Les demandeurs invoquent en tant qu’autre motif de crainte de persécution la convocation à deux reprises au mois de mars 1999 de Monsieur RASTODER pour intégrer les forces armées serbes, appel auquel il n’aurait pas donné de suites pour ne pas devoir aller se battre et, comme suite à son refus d’intégrer l’armée, à la convocation remise à sa mère de se présenter devant un tribunal pour le 14 juin 1999, pour conclure que Monsieur RASTODER risquerait d’être immédiatement emprisonné en cas de retour au Monténégro. Quant à la 2 situation générale dans leur pays d’origine, les demandeur signalent qu’il serait « inexact de prétendre qu’une situation de calme et de paix se serait désormais instaurée en Yougoslavie », que des actes de violence seraient encore commis quotidiennement et que les tensions risqueraient de croître dans le cadre des discussions sur l’indépendance du Monténégro. Les demandeurs signalent enfin avoir toutes les qualités requises pour s’intégrer au Luxembourg et que, plus particulièrement, Monsieur RASTODER aurait déjà travaillé pour un patron luxembourgeois à la satisfaction de ce dernier et que leurs enfants seraient bien intégrés au système scolaire luxembourgeois.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

Les demandeurs se prévalent en effet en premier lieu d’une crainte émanant de la majorité serbe dans leur région d’origine. Force est de constater que la persécution ainsi alléguée proviendrait non pas d’autorités étatiques ou locales, mais d’un groupe de la population en place. Or, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine 3 pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-

Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s ; Cour adm. 30 janvier 2001, Hajdarpasic, n° 12483C, non encore publié).

S’il est vrai à cet égard que les demandeurs invoquent des persécutions subies de la part de la police serbe à la fois en raison de leur appartenance à la minorité musulmane et de l’activité politique de Monsieur RASTODER, il y a lieu de relever que la situation politique en République Fédérale Yougoslave a évolué en ce sens que les anciens détenteurs du pouvoir politique, en place au moment des faits dont les demandeurs se prévalent, ont été écartés du pouvoir et qu’un nouveau président et un nouveau gouvernement ont été démocratiquement élus. Force est dès lors de conclure que les autorités en place à l’heure actuelle, dont également la police, ne peuvent plus être considérées comme agents de persécution au moment où le tribunal statue, les demandeurs restant en défaut de faire valoir, au-delà des faits survenus avant leur départ du Monténégro, des éléments suffisamment concrets de nature à indiquer la subsistance à l’heure actuelle d’un risque de subir des actes de persécution de la part de la police.

Il s’ensuit que les demandeurs n’établissent pas un défaut de protection de la part des autorités en place qui se cristalliserait encore à l’heure actuelle. Il s’ensuit pareillement que l’activité politique de Monsieur RASTODER ne justifie plus, au vu de l’évolution susrelevée de la situation politique en Yougoslavie, la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Quant au moyen des demandeurs tenant à l’insoumission de Monsieur RASTODER, force est de relever que la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou que la peine afférente soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi 4 d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juillet 2001 par:

M. CAMPILL, premier juge, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12665
Date de la décision : 11/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-11;12665 ?

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