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11/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12570

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juillet 2001, 12570


Numéro 12570 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2000 Audience publique du 11 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … SABAREDZOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12570 du rôle, déposée le 8 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Arsène KRONSHAGEN, avocat à la C

our, assisté de Maître Estelle PLANCON, avocat, tous les inscrits au tableau de l’Ordre de...

Numéro 12570 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2000 Audience publique du 11 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … SABAREDZOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12570 du rôle, déposée le 8 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Arsène KRONSHAGEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Estelle PLANCON, avocat, tous les inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SABAREDZOVIC, né le … à Sjenica (Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 11 septembre 2000 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001;

Vu le courrier de Maître Estelle PLANCON du 9 mars 2001 informant le tribunal de ce que Monsieur SABAREDZOVIC bénéficie de l’assistance judiciaire;

Vu l’avis du tribunal administratif du 16 mars 2001 prononçant la rupture du délibéré;

Vu le courrier du délégué du Gouvernement du 26 avril 2001 portant dépôt et communication à Maître Arsène KRONSHAGEN d’une copie de la loi d’amnistie votée le 26 février 2001 par le parlement fédéral yougoslave;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Messieurs les délégués du Gouvernement Guy SCHLEDER et Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries aux audiences publiques des 12 mars et 7 mai 2001.

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Le 7 juillet 1999, Monsieur … SABAREDZOVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur SABAREDZOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur SABAREDZOVIC fut entendu en date du 8 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur SABAREDZOVIC, par lettre du 11 septembre 2000, notifiée en date du 10 novembre suivant, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet, Monsieur SABAREDZOVIC a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 8 décembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il fait partie de la communauté religieuse musulmane et qu’il aurait reçu plusieurs convocations pour accomplir son service militaire, mais n’y aurait pas donné suite par peur de devoir participer à des opérations militaires périlleuses et de devoir tirer sur des civils musulmans. Il affirme qu’en cas de retour, il risquerait d’être traduit devant un tribunal militaire et d’être condamné à une sanction pénale lourde, étant donné que la police militaire serbe le rechercherait activement et aurait même harcelé sa famille afin d’obtenir connaissance de son lieu de séjour. Il fait encore valoir qu’il aurait été fréquemment insulté par des étudiants serbes comme étant un « Turc » qui n’aurait rien à faire en Serbie et qu’il aurait fait l’objet de « fréquentes humiliations » de la part des Serbes. Il ajoute que la situation générale en Serbie resterait très instable. Le demandeur argue finalement que ses droits découlant des articles 11, 2 et 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme risqueraient d’être violés en cas de retour 2 dans son pays d’origine dans la mesure où il serait condamné pour un acte qui ne constituerait pas un acte délictueux d’après le droit international et où les poursuites contre les membres de la communauté musulmane par un régime tyrannique constitueraient une atteinte à l’expression de ses opinions.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

En cours de procédure contentieuse, le demandeur a pu prendre inspection, par l’intermédiaire de son mandataire, d’une traduction de la loi d’amnistie votée récemment par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave produite en cause par le délégué du Gouvernement.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 8 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la 3 Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore la subsistance d’un risque actuel de poursuites en raison de son insoumission ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée le cas échéant de ce chef serait encore effectivement exécutée à l’heure actuelle.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la réticence du gouvernement monténégrin de coopérer avec les autorités fédérales en ce qui concerne l’exécution des peines prononcées et de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

En outre, force est de relever que les insultes et « fréquentes humiliations », non autrement précisées, dont le demandeur se prévaut, à les supposer établis, ne constituent pas des actes d’une gravité suffisante justifiant une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Etant donné qu’il résulte des développements qui précèdent que les faits avancés par le demandeur a l’appui de sa demande d’asile ne justifient pas la reconnaissance du statut afférent, les violations alléguées de la Convention universelle des droits de l’homme ne sauraient non plus justifier la réformation de la décision ministérielle critiquée dans la mesure où elles se fondent sur les mêmes faits.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Nonobstant le fait que le demandeur n’était pas représenté à l’audience publique à laquelle l’affaire avait été fixée pour les débats oraux, l’affaire est jugée contradictoirement à l’égard de toutes les parties, la procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

4 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juillet 2001 par:

M. CAMPILL, premier juge, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12570
Date de la décision : 11/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-11;12570 ?

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