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11/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12562

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juillet 2001, 12562


Numéro 12562 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 décembre 2000 Audience publique du 11 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … AGOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12562 du rôle, déposée le 7 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Martine MIRKES, avocat à la Cour, ass

istée de Maître Martine LAUER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des a...

Numéro 12562 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 décembre 2000 Audience publique du 11 juillet 2001 Recours formé par Monsieur … AGOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12562 du rôle, déposée le 7 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Martine MIRKES, avocat à la Cour, assistée de Maître Martine LAUER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … AGOVIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 novembre 2000 confirmant sur recours gracieux une décision du 11 août 2000 ayant porté rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2001;

Vu l’avis du tribunal administratif du 16 mars 2001 prononçant la rupture du délibéré;

Vu le courrier du délégué du Gouvernement du 23 avril 2001 portant dépôt et communication à Maître Martine MIRKES d’une copie de la loi d’amnistie votée le 26 février 2001 par le parlement fédéral yougoslave;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maîtres Ardavan FATHOLAHZADEH et Martine LAUER et Messieurs les délégués du Gouvernement Jean-

Paul REITER et Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives aux audiences publiques des 12 mars et 7 mai 2001.

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Le 1er juillet 1999, Monsieur … AGOVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur AGOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur AGOVIC fut entendu en date du 2 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le ministre de la Justice informa Monsieur AGOVIC, par lettre du 11 août 2000, notifiée en date du 26 septembre 2000, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé suivant courrier de son mandataire du 25 octobre 2000 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 8 novembre 2000, Monsieur AGOVIC a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielles du 8 novembre 2000 par requête déposée en date du 7 décembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose avoir reçu au cours du mois de mai 1999 trois convocations pour se présenter au service de l’armée, mais qu’il n’y aurait pas donné suite en raison de la subsistance du risque de guerre à ce moment et du fait qu’il aurait déjà été envoyé à la guerre et qu’il aurait déserté de l’armée après avoir été blessé. Il soutient avoir été condamné pour cette première désertion et qu’il ne serait pas établi que la peine encourue pour son insoumission ultérieure, par ailleurs disproportionnée, ne serait pas exécutée actuellement au vu de la situation au Monténégro et plus particulièrement de l’inopposabilité de la loi d’amnistie monténégrine aux autorités fédérales, et plus particulièrement à la police militaire serbe, entraînant qu’elle serait restée lettre morte. Il ajoute que des peines discriminatoires et partiales seraient prononcées en pratique à l’encontre des déserteurs de religion musulmane pour conclure à l’existence d’un risque de persécution dans son chef et à la réformation des décisions ministérielles entreprises.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

2 En cours de procédure contentieuse, le demandeur a pu prendre inspection, par l’intermédiaire de son mandataire, d’une traduction de la loi d’amnistie votée récemment par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave produite en cause par le délégué du Gouvernement. Lors des plaidoiries à l’audience, le mandataire du demandeur a fait observer lors des plaidoiries à l’audience qu’il ne serait pas certain qu’il entrerait dans le champ d’application de cette loi en tant qu’insoumis ayant quitté le pays afin de ne pas accomplir son service militaire.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 2 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ni encore que la condamnation qu’il risque d’encourir le cas échéant en raison de son 3 insoumission serait encore effectivement exécutée à son encontre. Concernant ce dernier point, il convient en effet de relever que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur AGOVIC n’établit pas que les condamnations prononcées seraient encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées oralement par le demandeur tenant à l’exclusion des personnes ayant quitté le pays de son champ d’application de la loi d’amnistie, étant donné que cette dernière vise, à travers les articles visés dans son article 1er, également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

En outre, les craintes de persécution du demandeur en raison de son appartenance à la minorité musulmane et de la situation politique générale dans son pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnel vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juillet 2001 par:

M. CAMPILL, premier juge, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. CAMPILL 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12562
Date de la décision : 11/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-11;12562 ?

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