La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/07/2001 | LUXEMBOURG | N°12058

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juillet 2001, 12058


Tribunal administratif N° 12058 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2000 Audience publique du 11 juillet 2001

============================

Recours formé par Monsieur … SCHEIFFER, … contre un arrêté grand-ducal ainsi qu’un avis préalable de la Cour supérieure de justice du Grand-Duché de Luxembourg en matière de nomination

-------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12058 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2000 par Maître Fernand ENTRINGER, assisté de Maître Dean

SPIELMANN, tous les deux avocats à la Cour, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au ...

Tribunal administratif N° 12058 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2000 Audience publique du 11 juillet 2001

============================

Recours formé par Monsieur … SCHEIFFER, … contre un arrêté grand-ducal ainsi qu’un avis préalable de la Cour supérieure de justice du Grand-Duché de Luxembourg en matière de nomination

-------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12058 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2000 par Maître Fernand ENTRINGER, assisté de Maître Dean SPIELMANN, tous les deux avocats à la Cour, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SCHEIFFER, juge de paix-directeur adjoint, demeurant à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de « la nomination du 18 mars 2000, de C.N. au poste de conseiller à la cour d’appel » publiée au Mémorial B N° 18 du 21 avril 2000 et, pour autant que de besoin, de la procédure préalable d’avis de la Cour supérieure de justice et, plus particulièrement, de l’avis rendu par ladite Cour en date du 17 février 2000;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Pierre BIEL, demeurant à Luxembourg, du 20 juin 2000 portant signification de ce recours à Monsieur C.N., ancien vice-président au tribunal d’arrondissement de Diekirch, conseiller à la Cour d’appel, demeurant à L-…;

Vu la constitution d’avocat de Maître … WELTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur C.N., préqualifié, déposée au greffe du tribunal administratif le 3 juillet 2000;

Vu le mémoire en réponse déposé le 17 novembre 2000 au greffe du tribunal administratif au nom de Monsieur C.N., notifié en copie au mandataire constitué du demandeur en date dudit 17 novembre 2000;

Vu le mémoire en réponse déposé le 17 novembre 2000 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement;

Vu le mémoire en réplique déposé le 12 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif au nom du demandeur;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Marc GRASER, demeurant à Luxembourg, du 13 décembre 2000 portant signification de ce mémoire en réplique au mandataire constitué de Monsieur C.N.;

Vu le mémoire en duplique déposé le 15 janvier 2001 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement;

Vu le mémoire en duplique déposé le 15 janvier 2001 au greffe du tribunal administratif au nom de Monsieur C.N., notifié en copie au mandataire constitué du demandeur en date dudit 15 janvier 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maîtres Fernand ENTRINGER, Henri DUPONG et Jean WELTER ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience du 11 juin 2001, l’affaire, initialement fixée pour plaidoiries au 5 février 2001, ayant subi des remises à la demande des parties lors des audiences des 5 mars et 25 avril 2001.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

---

Le 24 janvier 2000, le procureur général d’Etat lança un appel de candidatures, entre autres, pour un poste de conseiller à la Cour d’appel. Ledit appel précisa que les candidatures étaient à introduire, par la voie hiérarchique, pour le 4 février 2000 au plus tard.

Par lettre datée du 26 janvier 2000 à l’adresse du procureur général d’Etat, Monsieur … SCHEIFFER, préqualifié, postula pour le poste de conseiller à la Cour d’appel en question.

Dans sa réunion du 17 février 2000, l’assemblée générale de la Cour supérieure de justice désigna trois candidats pour le susdit poste, à savoir Messieurs C.N. (1er candidat), M.

R. (2ème candidat) et … SCHEIFFER (3ème candidat).

Il se dégage d’une copie d’un extrait conforme du registre aux délibérations de la Cour supérieure de justice du Grand-Duché de Luxembourg que le procès-verbal relativement auxdites désignations, est libellé comme suit:

« La Cour supérieure de justice du Grand-Duché de Luxembourg, réunie après due convocation, le jeudi, dix-sept février deux mille à 10.30 heures du matin, en assemblée générale où étaient présents :

(…) Absents :(…) excusés a pris les délibérations suivantes :

1. Présentation de trois candidats pour un poste de conseiller à la Cour d’appel :

2 Vu l’article 90 de la Constitution et les articles 43 et 152 de la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire ;

Vu les demandes présentées par Monsieur … SCHEIFFER, juge de paix-directeur adjoint à Luxembourg, Monsieur C.N., vice-président au tribunal d’arrondissement de Diekirch, Monsieur M. R., vice-président au tribunal d’arrondissement de Luxembourg.

Vu la dépêche de Monsieur le procureur général d’Etat en date du ? [sic].

La Cour présente ;

comme premier candidat Monsieur C.N., préqualifié, sur le résultat du scrutin secret ci-

après :

1er scrutin :

Nombre de votants : 30 … SCHEIFFER :

12 voix C.N. : 8 voix M. R. : 7 voix Bulletins blancs :

3 BALLOTTAGE :

2e scrutin :

Nombre de votants : 30 … SCHEIFFER :

13 voix C.N. : 14 voix Bulletins blancs :

2 Nul :

1 comme deuxième candidat Monsieur M. R., préqualifié, sur le résultat du scrutin secret ci-après :

Nombre de votants : 30 … SCHEIFFER :

10 voix M. R. : 17 voix Bulletins blancs :

3 comme troisième candidat Monsieur … SCHEIFFER, préqualifié, sur le résultat du scrutin secret ci-après :

Nombre de votants : 30 … SCHEIFFER :

11 voix 3 Bulletins blancs :

19 (…) ».

Par lettre du 21 février 2000, le procureur général d’Etat transmit la susdite proposition de la Cour supérieure de justice au ministre de la Justice, tout en avisant ce dernier de ce qu’il se « rallie à la proposition de la Cour Supérieure de Justice quant au poste de conseiller à la Cour d’Appel ».

Par arrêté grand-ducal du 18 mars 2000, Monsieur C.N. fut nommé conseiller à la Cour d’appel. Ledit arrêté grand-ducal fut publié au Mémorial, Journal officiel du Grand-

Duché de Luxembourg, Recueil administratif et économique, B - n° 18 du 21 avril 2000.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 juin 2000, Monsieur SCHEIFFER a introduit un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de « la nomination du 18 mars 2000, de C.N. au poste de conseiller à la cour d’appel » publiée au Mémorial B N° 18 du 21 avril 2000.

Ladite requête est en outre dirigée, pour autant que de besoin, contre la procédure préalable d’avis de la Cour supérieure de justice et, plus particulièrement, contre l’avis précité du 17 février 2000.

QUANT AU RECOURS EN REFORMATION Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre les actes critiqués, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre les mêmes actes.

Aucune disposition légale ne conférant compétence, à la juridiction administrative, pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation des actes critiqués.

QUANT AU RECOURS EN ANNULATION QUANT A LA RECEVABILITE Aucun recours spécifique n'étant prévu en la matière, le recours en annulation, recours de droit commun, est donc, en principe, admissible contre les actes critiqués.

Les parties défenderesse et intéressée concluent à l’irrecevabilité du recours en annulation en ce qu’il est dirigé contre la procédure d’avis ayant précédé l’arrêté grand-ducal de nomination.

Dans cet ordre d’idées, la partie demanderesse, prenant appui sur une décision juridictionnelle française, soutient que le recours à l’avis préalable et impératif ferait de cet avis un acte administratif différent de la nomination proprement dite et donc attaquable séparément.

La recevabilité d’un recours en annulation contre un acte émanant d'une autorité administrative est conditionnée par l’exigence que l’acte attaqué constitue, dans l'intention de 4 l'autorité qui l'émet, une véritable décision, à qualifier d'acte de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Si le caractère décisoire de l'acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n'est pas pour autant une condition suffisante. Pour être susceptible de faire l'objet d'un recours, la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief (cf. trib. adm. 18 mars 1998, n° 10286 du rôle, Pas. adm.

1/2000, V° Acte administratif, I. Décisions susceptibles d’un recours, n° 3 et autres références y citées).

En outre, échappent au recours contentieux les actes préparatoires qui ne font que préparer la décision finale et qui constituent des étapes dans la procédure d'élaboration de celle-ci (cf. Cour adm. 22 janvier 1998, n°s 9647C et autres du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Acte administratif, I. Décisions susceptibles d’un recours, n° 11). Tel est notamment le cas des avis émis par des organes consultatifs préalablement à une décision administrative, lesquels ne constituent pas des actes finaux dans la procédure, mais ne sont que de simples mesures d’instruction destinées à recueillir des éléments d’information, afin de mettre l’auteur de la décision en mesure de prendre celle-ci. Ces avis ne peuvent donc, en eux-mêmes, faire l’objet d’un recours. Toutefois leur irrégularité propre et les vices dont ils peuvent être affectés, peuvent être analysés dans le cadre du recours dirigé contre la décision administrative. Ces avis sont censés faire partie intégrante de la décision administrative dès que celle-ci y fait expressément référence et un recours intenté contre la décision s’étend nécessairement à l’avis qui en constitue le complément indispensable (trib. adm. 27 février 1997, n° 9601 du rôle, Pas.

adm. 1/2000, V° Acte administratif, I. Décisions susceptibles d’un recours, n° 15 et autre référence y citée).

En l’espèce, sur base des considérations qui précèdent, l’avis querellé de la Cour supérieure de justice, qui, au voeu de l’article 90 de la Constitution, constitue un acte obligatoire et préalable à la décision du Grand-Duc portant nomination d’un conseiller à la Cour, n’est pas sujet à un recours en annulation, étant donné qu’il ne constitue pas un acte final de la procédure et qu’il n’est pas de nature à faire grief séparément de l’acte de nomination dont il constitue le préalable. Il s’ensuit que le recours doit être déclaré irrecevable sous ce rapport.

Le recours en annulation est recevable dans la mesure où il est dirigé contre l’arrêté grand-ducal précité du 18 mars 2000 pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

- Dans ce contexte, comme l’a relevé le mandataire de Monsieur C.N., il y a lieu de faire abstraction des éléments de terminologie équivoques sinon erronés employés dans la requête introductive d’instance en ce qu’elle vise la nomination ou la décision de nomination, laquelle est imputée tantôt, aux termes de l’exploit de signification à Monsieur C.N., au « ministère de la Justice » tantôt, aux termes du mémoire en réplique, au « ministre de la Justice », étant donné qu’il se dégage par ailleurs des développements principaux et des pièces y jointes, que le recours est dirigé contre l’arrêté grand-ducal portant nomination de Monsieur N. au poste de conseiller à la Cour, poste brigué par le demandeur, circonstance dont les parties défenderesse et intéressée ne se sont pas méprises, tel que cela se dégage de leurs mémoires subséquents.

QUANT AU FOND Le demandeur soutient en premier lieu que l’arrêté grand-ducal de nomination et l’avis de la Cour supérieure de justice ne seraient pas conformes à l’article 6 du règlement grand-

5 ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes qui exige que toute décision administrative doit être fondée sur des motifs légaux et que, lorsqu’elle refuse de faire droit à une demande d’un intéressé, la décision doit formellement indiquer les motifs.

Le demandeur soulève comme second moyen d’annulation la violation de l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 au motif que l’avis de la Cour supérieure de justice et l’avis du procureur général d’Etat ne seraient pas motivés à suffisance de droit.

Etant donné que, d’une part, ainsi qu’il se dégage des développements faits ci-avant, l’avis de la Cour supérieure de justice ne constitue pas une décision administrative proprement dite, mais un acte préparatoire dans un processus d’élaboration d’une décision de nomination, de sorte que l’article 6 du règlement grand-ducal précité de 1979, qui énonce l’obligation de motivation d’un certain nombre de décisions administratives - finales -, ne saurait être appliqué à cet avis, et que, d’autre part, les irrégularités qui entachent la procédure d’élaboration d’une décision administrative ont pour effet d’affecter la légalité de la décision finale, indépendamment de l’existence ou non d’un vice - de forme ou de fond - propre à cette dernière, il convient de ne pas suivre l’ordre des moyens d’annulation proposé par le demandeur et d’analyser en premier lieu le moyen tiré du prétendu vice de procédure, c’est-à-

dire le moyen basé sur le non-respect des règles propres à la procédure consultative, avant de procéder, le cas échéant, à l’analyse du moyen tiré du défaut de motivation de la décision finale.

La partie intéressée et l’Etat rétorquent que le règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 ne serait pas applicable aux avis à émettre par la Cour supérieure de justice en matière de nomination de magistrats, au motif que la vocation dudit règlement serait d’édicter des mesures garantissant le respect des droits de la défense des administrés et que le processus de décision légalement organisé en matière de nomination déborderait de ce cadre et qu’il n’y aurait pas de place ni de raison de l’y appliquer.

Dans ce contexte, le délégué du gouvernement, rejoint sur ce point par le tiers intéressé, soutient que la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire énoncerait dans son article 17 les conditions légales qui doivent être remplies pour pouvoir être nommé conseiller à la Cour d’appel, à savoir être âgé de 30 ans accomplis et avoir exercé des fonctions judiciaires ou suivi le barreau comme avocat inscrit pendant au moins 3 ans. Selon la thèse soutenue, ladite aptitude ne ferait cependant naître aucun droit subjectif au bénéfice des magistrats qui se portent candidats à un poste vacant et que « la non-nomination à une fonction briguée n’est pas de nature à affecter le candidat qui n’a pas été retenu, ni dans ses biens ni dans sa personne. La non-nomination ne peut être considérée comme une sanction, aucun candidat ne pouvant faire valoir une quelconque prérogative à une nomination à des fonctions déterminées et ne pouvant donc se considérer comme sanctionné du fait de ce que sa candidature n’a pas été prise en considération ». Or, en l’absence de droits, il n’y aurait pas de place pour une situation conflictuelle, imposant la garantie des droits de la défense et, partant, pas de raison d’appliquer la réglementation sur la procédure administrative non contentieuse.

Dans un deuxième ordre d’idées, allant dans le même sens, le délégué du gouvernement expose que l’ordre juridique luxembourgeois est fondé sur le principe de la séparation des pouvoirs, que l’exigence d’un avis de la Cour supérieure de justice préalablement à la 6 nomination, notamment aux fonctions de conseiller à la Cour d’appel, participerait des garanties par lesquelles la Constitution entend assurer l’indépendance du pouvoir judiciaire, de sorte qu’il ne saurait être question d’une procédure d’avis instituée dans l’intérêt des candidats à un poste.

Le mandataire du tiers intéressé soutient en outre que la loi précitée du 7 mars 1980 organiserait une « procédure qui, destinée à préparer la décision du Grand-Duc par un vote de la Cour en assemblée plénière statuant en connaissance des qualités des candidats et des besoins du service, contribue à empêcher l’arbitraire de la part de l’exécutif. Ce faisant elle apporte aux magistrats-administrés des garanties au moins équivalentes à celles instituées par les textes de 1978 et 1979 ». Il en déduit une non-applicabilité du règlement grand-ducal précité de 1979 à la matière visée et au cas d’espèce dont le tribunal est appelé à connaître.

Enfin, le mandataire du tiers intéressé soutient encore que la réglementation de la procédure administrative non contentieuse serait tenue en échec par le fait que la loi précitée de 1980 est postérieure en date et il relève qu’« on notera sous ce rapport que l’article 2 de la loi de 1978, en ce qu’il habilite l’exécutif à modifier les lois existantes « dans la mesure requise pour les adapter aux règles générales établies par le règlement grand-ducal », en déléguant par suite au pouvoir exécutif le pouvoir de modifier les lois, méconnaît l’article 36 de la Constitution ».

Aux termes de l’article 90 de la Constitution « (…) les conseillers à la Cour (…) sont nommés par le Grand-Duc, sur avis de la Cour supérieure de justice ».

En exécution de ladite disposition, l’article 43 de la loi précitée du 7 mars 1980 organise que « lorsqu’une place de (…) conseiller à la Cour d’appel (…) est vacante, il est procédé comme suit à l’émission de l’avis exigé par l’article 90 de la Constitution.

La cour procède en assemblée générale convoquée sur la réquisition du procureur général d’Etat.

Pour chaque place vacante, la cour présente trois candidats; la présentation de chaque candidat a lieu séparément.

En outre, le procureur général d’Etat émet un avis ».

L’article 152 de la susdite loi du 7 mars 1980 ajoute que « (…) S’il s’agit de nomination ou de présentation de candidats, il est procédé au scrutin secret. Dans ce cas, si aucun des candidats ne réunit la majorité absolue, il est procédé à un scrutin de ballottage entre les deux candidats qui ont obtenu le plus de voix.

En cas de parité de voix, la préférence est accordée à celui qui a été le premier reçu à l’examen de fin de stage judiciaire ou qui a été le premier reçu candidat-huissier de justice;

lorsque les candidats sont au même rang, la préférence est accordée au plus âgé (…) ».

L’article 4 alinéa 1er du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 dispose que « les avis des organismes consultatifs pris préalablement à une décision doivent être motivés et énoncer les éléments de fait et de droit sur lesquels ils se basent ».

7 Par l’avis que la Cour supérieure de justice est appelée à donner en application des articles 90 de la Constitution et 43 de la loi précitée du 7 mars 1980, elle est appelée à conseiller l’autorité de nomination, en l’occurrence le Grand-Duc, sur la personne à désigner.

Ledit avis est obligatoire, mais il n’a pas pour effet de limiter la compétence décisoire de son destinataire. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’un avis conforme que l’autorité de nomination serait tenue de suivre, mais celle-ci conserve son pouvoir d’appréciation.

Ledit pouvoir d’appréciation implique que l’autorité compétente puisse suivre l’opinion exprimée par l’organe consulté mais aussi qu’elle puisse s’en écarter.

Or, sous peine d’être vidé de sa substance, le pouvoir d’appréciation ne peut s’exercer que si l’autorité de nomination statue en connaissance de cause, c’est-à-dire si elle est éclairée sur les capacités et les qualités professionnelles des postulants.

Il est vrai, comme l’a relevé à juste titre le délégué du gouvernement, que l’avis de la Cour supérieure de justice est un des moyens mis en oeuvre par la Constitution tendant à assurer la séparation des pouvoirs et, plus particulièrement, l’indépendance du pouvoir judiciaire en garantissant sa participation dans la procédure de nomination (le pouvoir de nomination résidant entre les mains du titulaire du pouvoir exécutif) notamment des conseillers à la Cour d’appel, il est cependant erroné de déduire de cette considération que les règles protectrices des intérêts des magistrats postulants à un poste vacant, assurées par le règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, n’auraient de ce seul fait pas vocation à s’appliquer en ce domaine. En effet, le règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, qui constitue un corps de règles générales destiné à assurer le respect des droits de la défense des administrés, notamment en imposant la motivation des actes administratifs et en réglant le mode de procéder des organismes consultatifs, est compatible avec les dispositions de la loi précitée de 1980, à laquelle il ne fait qu’ajouter des règles complémentaires protectrices des intérêts des magistrats. - Dans ce contexte, il convient encore de souligner que les fonctionnaires de l’Etat, dont font partie, au sens large du terme, les magistrats, dans leurs relations avec l’administration, doivent être considérés comme étant des administrés au sens du règlement précité du 8 juin 1979 (trib. adm. 10 juillet 1997, n° 9703 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure administrative non contentieuse, I. Champ d’application, n° 2 et autres références y citées).

Pour la même raison que celle ci-avant retenue, à savoir la complémentarité et la compatibilité du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 avec la loi précitée du 7 mars 1980, ladite loi, même postérieure en date, ne saurait tenir le règlement grand-ducal de 1979 en échec et le moyen d’annulation afférent est à écarter.

Ensuite, l’argumentation développée par le mandataire du tiers intéressé relativement à l’inconstitutionnalité de l’article 2 de la loi précitée du 1er décembre 1978 est à écarter pour manquer de pertinence dans le cadre de la présente affaire.

En effet, s’il est vrai que l’article 2 alinéa 2 de la loi du 1er décembre 1978 autorise le pouvoir exécutif à prendre « des règlements grand-ducaux [qui] peuvent également modifier les lois et règlements existants dans la mesure requise pour les adapter aux règles générales établies par le règlement grand-ducal visé à l’article premier », force est de constater que même à admettre que le moyen d’inconstitutionnalité suggéré ne soit pas dénué de fondement, 8 une éventuelle inconstitutionnalité ne saurait porter à conséquence dans le cas sous analyse. En effet, le règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, qui établit les règles de procédure à observer par toutes les administrations, n’a pas été pris en exécution de l’article 2 de la loi de 1978, mais il trouve sa base légale dans l’article 1er de ladite loi, de sorte qu’il ne saurait être affecté par une éventuelle inconstitutionnalité de l’article 2. Il convient d’ajouter qu’à l’heure actuelle, aucun règlement d’exécution n’a été pris sur base de la disposition critiquée.

Il convient encore d’analyser la branche du premier moyen d’annulation consistant à soutenir que la loi précitée du 7 mars 1980 « apporte aux magistrats-administrés des garanties au moins équivalentes à celles instituées par les textes de 1978 et 1979 ».

La thèse développée par le mandataire du tiers intéressé consiste à soutenir que l’article 4 du règlement précité du 8 juin 1979 n’aurait pas vocation à s’appliquer en l’espèce, au motif qu’il s’agirait d’un domaine où des dispositions spéciales organisent une procédure particulière qui serait de nature à garantir au moins une protection équivalente à celle contenue dans la réglementation générale.

Il est vrai qu’au voeu de la loi du 1er décembre 1978, les règles de la procédure administrative non contentieuse n’ont pas vocation à s’appliquer aux décisions administratives prises dans une matière régie par des dispositions garantissant aux administrés une protection au moins équivalente. Cette règle oblige l’autorité administrative, appelée à prendre une décision dans une matière où une procédure spéciale a été organisée - et, par la suite, le juge administratif - de confronter la réglementation spéciale à la réglementation générale et d’évaluer si la procédure spéciale offre au moins une égale protection à l’administré. Dans l’affirmative, l’administration doit appliquer la procédure spéciale, tandis que dans la négative, elle doit veiller à respecter les règles générales prévues par la loi du 1er décembre 1978 et son règlement d’exécution.

Or, en l’espèce, force est de constater que la loi précitée du 7 mars 1980 ne comporte aucune disposition particulière relativement à une obligation de motivation de l’avis pris par la Cour supérieure de justice appelée à intervenir lors de la procédure de nomination d’un conseiller à la Cour d’appel, c’est-à-dire qu’elle ne garantit pas une protection à l’administré à cet égard.

En effet, le procédé essentiellement mécanique, moyennant vote secret, organisé par l’article 152 de la loi précitée du 7 mars 1980, qui appelle l’assemblée générale de la Cour supérieure de justice à dresser une liste de 3 candidats préférentiels, exclut toute possibilité de motivation au stade du vote même. A ce niveau, la Cour est appelée à choisir et désigner, avec un ordre de préférence, 3 candidats. Ce choix implique une appréciation et une comparaison de la valeur et des capacités des différents postulants, lesquelles, eu égard à la spécificité du procédé de désignation, ensemble le vote secret, rendent la révélation des raisons du choix opéré par l’assemblée générale de la Cour supérieure de justice impossible. Dans ce contexte, non seulement la motivation est « en partie « ineffable » [mais] quand bien même elle pourrait être exprimée, à quoi servirait-il de déclarer, par exemple, que tel candidat à une nomination ou à une promotion paraît, aux yeux de l’autorité, plus habile, plus intelligent ou plus digne de confiance que son concurrent? Cette appréciation des qualités des individus découle d’impressions, d’observations, de souvenirs personnels que chacun peut affirmer en les accentuant ou en les nuançant plus ou moins. La seule garantie de celui que la décision concerne, réside dans le for intérieur du titulaire de l’autorité, dans son souci intime 9 d’impartialité et d’honnêteté et dans son dévouement réel et éclairé au bien commun.

L’explication plus ou moins adroite des motifs de la décision, dans pareils cas, risque seulement de heurter certaines des personnes concernées dans le sentiment de leur dignité, de rendre plus cruelles certaines déceptions et d’alimenter la contestation sur le bien-fondé ou le mal-fondé des mesures qui ont été prises (A. VANWELKENHUYSEN, note sous Cour de cassation belge, 1re chambre, 7 novembre 1975, Revue critique 1977) ».

Ceci étant, l’obligation de motivation contenue à l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 en tant que garantie protectrice des intérêts des magistrats concernés, ensemble le fait que la fonction d’« avis » posée par la Constitution, c’est-à-dire la présentation des candidats en tant que préalable indispensable pour que l’autorité de nomination puisse exercer son pouvoir d’appréciation et statuer en connaissance de cause exige que, complémentairement et par principe préalablement à la désignation des candidats préférentiels, l’organisme consultatif énonce les éléments objectifs relativement aux compétences et aptitudes professionnelles de chaque candidat et analyse son adéquation au poste à pourvoir. - Il convient de remarquer, dans cet ordre d’idées, que si l’ancienneté de service des postulants peut être un critère de sélection digne d’être relevé, elle ne constitue cependant pas nécessairement le critère déterminant.

En d’autres termes, il ressort des considérations qui précèdent qu’il appartient à l’assemblée générale de la Cour supérieure de justice de relever, dans un premier temps, les mérites des différents candidats au poste vacant, en émettant une appréciation personnelle à l’égard de chacun d’eux, avant de procéder, dans un second temps, à leur comparaison moyennant le vote réglementé par l’article 152 de la loi précitée du 7 mars 1980, afin de faire ressortir les éléments de fait sur lesquels les membres de ladite assemblée se sont basés en vue de l’émission de leur avis, un tel procédé ayant par ailleurs le mérite de permettre tant aux intéressés qu’à l’autorité de nomination et, le cas échéant, au juge administratif, de retracer les éléments de fait qui étaient à la disposition de ladite assemblée au moment du vote et sur lesquels la Cour supérieure de justice s’est basée. Par ailleurs, il échet de relever que cette formalité ne se heurte d’aucune manière ni à la règle du vote secret ni au procédé essentiellement mécanique suivant lequel, au deuxième stade, les opérations de vote se déroulent.

Or, en l’espèce, force est de constater que l’avis critiqué du 17 février 2000 omet de procéder à une « présentation », telle que ci-avant décrite, des différents candidats, de sorte que ledit avis ne répond pas à l’obligation de motivation énoncée par l’article 4 du règlement grand-ducal précité de 1979, de même d’ailleurs que l’avis du procureur général d’Etat qui ne contient aucune appréciation personnelle sur les mérites, compétences et aptitudes professionnelles des candidats au poste vacant, et que la procédure de nomination dont il est question en cause est dès lors viciée. Partant, l’arrêté grand-ducal de nomination litigieux, en tant qu’aboutissement de ladite procédure, est nécessairement affecté de ce vice et il encourt l’annulation, sans qu’il y ait encore lieu d’examiner les mérites des autres moyens invoqués par le demandeur à son encontre, cet examen devenant surabondant.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

10 se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;

déclare le recours en annulation irrecevable en ce qu’il est dirigé contre l’avis du 17 février 2000 de la Cour supérieure de justice;

reçoit le recours en annulation en la forme en ce qu’il est dirigé contre l’arrêté grand-

ducal du 18 mars 2000;

au fond le déclare justifié;

partant annule le susdit arrêté grand-ducal du 18 mars 2000 et renvoie l’affaire devant le ministre de la Justice en prosécution de cause;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 11 juillet 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12058
Date de la décision : 11/07/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-07-11;12058 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award